DE BEN-BARKA A PARFAIT KOLELAS, SIMILITUDES DE DEUX CRIMES NÉOCOLONIAUX DE LA FRANCE

David  NTOYO-MASEMBO

La mort de Parfait Kolelas est-elle en phase de devenir une  affaire Ben Barkha bis de la Ve République ? Toutes proportions historiques et contextuelles gardées, les caractéristiques de l’affaire Kolelas inspirent tel rapprochement entre deux crimes séparés par cinquante-six années d’intervalle. Quand bien même les enjeux internationaux distinguent les deux affaires en raison des implications tiers-mondistes du combat de Ben Barka, dune part, et de son opposition aux puissances occidentales incomparables à la portée strictement nationale de celui de Parfait Kolelas, d’autre part, l’implication directe de l’Etat français  motivée par ses considérations géopolitiques en Afrique et les péripéties abracadabrantes imposées leur dépouille respective en justifient amplement le rapprochement. Et la France dans tout cela ?

A titre d’historique,  le 29 octobre 1965, en exil dans une France sous la présidence de Charles de Gaulle, un célèbre homme politique marocain, socialiste et tiers-mondiste, farouche opposant au régime du Roi Hassan II du Maroc, Mehdi Ben Barka, fut enlevé dans une rue de Paris par un commando du contre-espionnage français de l’époque (la SDECE) et emmené sans retour vers une destination inconnue. Finalement supposé mort, son corps n’ayant jamais été rendu à sa famille, il demeure sans sépulture. C’est longtemps après que fut révélé qu’il avait été emmené au sud de Paris, à Fontenay-le-Vicomte, où  il fut sauvagement exécuté dans une villa d’un complice de son assassinat par le général Oufkir, le ministre marocain de l’Intérieur en séjour en France pour les besoins de la cause. La France facilita l’exfiltration de son corps du territoire français par le biais des valises diplomatiques du ministre. Un de ses bourreaux révéla tardivement qu’une fois à Rabat son corps avait été dissout dans de l’acide pour en effacer toute trace.

La perfection de l’exécution de cet assassinat rappelle un travail de professionnel conjointement abattu par des agents des services secrets marocains agissant sous les ordres du sommet de la monarchie chérifienne et de ceux de « La Piscine », la direction du renseignement français sur instructions de l’Elysée. Le général de Gaulle fut prétendument embarrassé par ce crime mué en affaire d’Etat dont le mystère n’a jamais été élucidé par aucun gouvernement français, même pas celui du  socialiste François Mitterrand. L’Elysée a toujours nié toute responsabilité française dans cette affaire jusqu’à présent sans toutefois la classer définitivement. La justice française brilla par une inefficience ahurissante, se contentant d’une parodie de procès qui dispensa les vrais décideurs pour ne condamner que de simples subalternes. Elle prouva son incapacité à affirmer son indépendance à l’égard de l’Exécutif dans des affaires politiques où prime la raison d’Etat sur le droit. Ainsi, l’affaire  Ben Barka est entrée, du fait de son originalité, dans la légende universelle des services secrets où  elle compose les recueils des grandes opérations en la matière.

Parfait KOLELAS, quant à lui, avait six ans à la mort de Ben Barka. Cinquante-cinq ans plus tard, il a, lui aussi, trouvé la mort dans des circonstances opaqures à Brazzaville un soir du 20 au 21 mars 2021 et son corps s’est retrouvé le surlendemain matin, 22 mars 2021 à 01 heure 45 minutes, sur le tarmac de l’aéroport du Bourget près de Paris. Sassou-Nguesso, son rival, lui a donné la mort personnellement à l’aube de l’élection présidentielle qu’il était prédestiné à remporter dès le premier tour du  scrutin. Le président sortant qui lui avait déjà inoculé du  poison dès qu’il avait manifesté son intention de candidater à l’élection présidentielle de mars 2021 pour l’en empêcher, se réjouissait de voir sa victime s’affaiblir en pleine campagne électorale. Il avait toutefois hâte de le voir s’éteindre avant le jour du scrutin. C’est pour parachever son acte d’empoisonnement qu’il l’a achevé à l’aube du scrutin certainement par étranglement  au CHU de Brazzaville où il l’avait fait transférer à dessein tout comme le général Oufkir avait lâchement poignardé Ben Barka à Fontenay-le-Vicomte.

La mort de Kolelas causa à  ses assassins un émoi qui leur suscita deux défis à relever immédiatement : le maquillage de son crime et le « débarrassage » de son cadavre encombrant. Dans les deux cas, l’assassin avait l’assurance de l’assistance indéfectible de son complice du meurtre, l’Elysée dont la promptitude et l’efficience en la matière confortent une réputation légendaire de la patrie des droits de l’homme. De ce point de vue, la France ne aucun moyen mais s’empresse, au contraire, de pourvoir son dispositif de premiers secours aux dictateurs en difficultés. Elle  ne manque pas de références évocatrices à propos. La proposition du 12  janvier 2011 de la ministre française des Affaires étrangères,  Michèle Alliot-Marie, au régime tunisien de Ben Ali en lutte contre les manifestants pour la démocratie au printemps arabe du « savoir-faire » français en matière de répression policière en est une parfaite illustration. La remarque vaut inversement pour le fossoyage de jeunes démocraties africaines par la France  et leur substitution par des dictatures déclarées ou camouflées. Ainsi en juin 1997, la France de Chirac mobilisa une coalition d’armées étrangères pour renverser la démocratie congolaise et rétablir la dictature « sassovite ». Pareillement, en 2010 en Côte d’Ivoire, Nicolas Sarkozy mobilisa l’armée française pour destituer Laurent Gbagbo, président légitime et vainqueur de l’élection présidentielle injustement contestée pour le remplacer par Alassane Ouattara acquis à la cause de la Françafrique. Le paroxysme de la complicité criminelle fut atteint en 1965 dans l’affaire Ben Barka où la France de De Gaulle complota pour l’exécution sur son sol de l’opposant marocain et facilita l’exfiltration de son corps du territoire français vers le Maroc. 

Dans l’affaire Pako, profitant de la conjoncture sanitaire, le pouvoir congolais préconisa l’habillage du crime d’un voile de covid-19 dès l’agonie de la victime. Aussi, pour préparer l’opinion à l’acceptation de cette justification mensongère, il fit faire frauduleusement un test antigénique positif auprès d’une institution tierce, le laboratoire national, établissement public de santé, tandis que la clinique où il était hospitalisé avait déjà réalisé le sien  révélé évidemment négatif à titre de protocole de prise en charge normal. Par  ailleurs, le pouvoir congolais entreprit une opération de communication avec la presse étrangère pour camoufler le crime sous le covod-19. Celle-ci déversa un flot d’encre pour répandre ce mensonge que l’opinion internationale non avertie assimila faute  de moyens de  vérifier l’authenticité de l’information et de la contester.

Toute la presse française, des quotidiens aux hebdomadaires, relaya un billet de l’AFP l’annonçant mort de covid-19. Tandis que RFI présentait « Parfait Kolélas hospitalisé pour le Covid-19 à la veille de la présidentielle » dès le vendredi 20 mars, c’est au lendemain du scrutin, le 22 mars que certains journaux annonçaient la cause de son décès depuis le titre de l’article y consacré : « Congo-Brazzaville : Guy-Brice Parfait Kolelas, principal opposant de Denis Sassou-Nguesso, meurt du Covid-19 » (Le Monde), « Élections au Congo. Le principal opposant décède du Covid-19 lors de son transfert en France » (Ouest-France) tandis que d’autres le précisaient dans le texte : « Positif au Covid-19, il s’est éteint en arrivant à Paris où il avait été transféré » (Libération) et « L’opposant congolais Guy-Brice Parfait Kolelas…est décédé des suites du Covid-19 lors de son évacuation sanitaire vers la France » (L’Express).

La thèse de  mort par covid-19 réfutée et le lieu de décès déterminé à Brazzaville par les récentes révélations sur son assassinat camouflé, l’affaire Parfait Kolelas rejoint celle de Ben Barka par son volet transfrontalier qui met en exergue l’avilissant rôle d’opérateur funéraire international de la France pour le compte des dictateurs africains. Il est entendu par cette expression l’autorisation tacite du gouvernement français de tout déplacement de son territoire vers un pays africain ou inversement de tout ou partie de restes humains d’un opposant politique éliminé dans des conditions obscures par un régime dictatorial soutenu par la France. En l’occurrence, Parfait Kolelas mort au Congo, Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian ont servi de croque-mort à Sassou-Nguesso pour le débarrasser de sa dépouille mortelle dont la présence à Brazzaville aurait présenté un énorme risque politique pour le pouvoir du dictateur au lendemain du scrutin. Il fallut donc déplacer, avec l’accord de l’Elysée, cette dépouille compromettante  du Congo vers la France où tout était prévu pour son incinération après déclaration de mort de covid-19 par l’administration française à l’arrivée sur le territoire conformément à la règlementation sanitaire d’urgence en vigueur dans l’Hexagone. L’accomplissement de ce plan était toutefois tributaire du consentement de la famille du défunt donné par la signature d’une décharge tendue à la descente de l’avion à la veuve Kolelas que celle-ci a rejetée. Si le consentement requis était obtenu, le trio Sassou-Nguesso, Le Drian et Macron aurait réussi à faire disparaitre la dépouille de Parfait Kolelas comme le firent De Gaulle, Oufkir et Hassan II pour celle de Ben Barka.

Conséquemment, comme dans l’affaire Ben Barka, la France, du haut de sa condescendance, ne reconnaîtra certainement jamais sa responsabilité directe ou indirecte dans l’assassinat de Parfait Kolelas en dépit des indices la démontrant. Les Congolais ne devraient pas s’attendre à ce geste politique, même à l’issue de la procédure judiciaire en cours, qui.aux yeux des Français passerait pour une considération imméritée pour  un peuple africain. Cette reconnaissance n’est donc pas requérir. Les Congolais doivent juste démontrer ladite responsabilité à leur opinion publique en vue d’en tirer les enseignements requis pour se réapproprier leur destin  confisqué et assurer l’avenir de leurs enfants. Cette démarche passe, primo, par un questionnement axé sur l’implication de la France dans l’assassinat de leur concitoyen puis sur l’ensemble des manœuvres machiavéliques concourant à la perpétuation de leur asservissement et, secundo,  par toues initiatives à prendre nécessairement pour leur affranchissement.

 Ainsi peut-on se demander : pourquoi l’Elysée a-t-il contribué au déguisement en covid de la cause de décès de Parfait Kolelas à travers le cautionnement de ce prétexte fallacieux d’une part et la proposition de signature d’une décharge à cet effet à l’arrivée du « jet-corbillard » en France d’autre part ? Pourquoi les média français ont-ils servilement diffusé l’alibi officiel de sa cause de décès au lendemain du scrutin ? Puisque Parfait Kolelas est bien mort à Brazzaville, pourquoi les autorités  françaises qui ne peuvent feindre de l’ignorer ont-ils autorisé l’évacuation du corps d’un patient prétendument décédé de covid vers leur territoire en violation flagrante des normes de santé publique ? Emmailloté sans délicatesse, sanglé comme du gibier sur le tarmac de l’aéroport de Maya-Maya, il ne s’agissait pas, à la lecture des  images publiées, du patient Parfait Kolelas mais de son cadavre dont on préparait le chargement dans l’avion. A quelles conditions secrètes Macron et Le Drian ont-ils osé faire  le croque-mort pour le compte d’un dictateur malfamé comme Sassou-Nguesso ? Ont-ils agi si audacieusement dans l’intérêt public ou en contrepartie de quelques commissions occultes contribuant à leur enrichissement personnel ? En assistant Sassou-Nguesso  dans l’évacuation de la dépouille de Parfait Kolelas, la France devient complice du meurtre de son protégé. Dès lors, cette France a-t-elle seulement un seuil éthique infranchissable dans son soutien aux dictateurs de la Françafrique ou dans la défense de ses intérêts dans ses ex-colonies d’Afrique ? En tout  cas, force est d’objecter que tel  seuil n’existe nullement dans le traitement par la France des peuples néo-colonisés qui sont regardés  à peine comme des être vivants indignes de toute considération. C’est cela, la  France du XXIe siècle, identique à celle du XVIIe, à savoir éternellement esclavagiste, colonialiste, néocolonialiste, obsolète et anachronique. En définitive, de Ben Barka à Parfait Kolelas, le paradigme français de la géopolitique africaine n’a évolué d’aucun iota de toute la Ve République car, en cinquante-six ans d’intervalle entre les deux affaires, les mêmes problèmes ont  appelé les  mêmes solutions.

Moralité : que nous  rapporte cette France anachroniquement esclavagiste et, surtout, comment nous en débarrasser pour une réelle indépendance ?

David  NTOYO-MASEMBO

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