Contribution au débat sur les futures institutions du Congo-Brazzaville

Des échanges profonds et fructueux conduits sous l’égide notamment de Congo-liberty ont déjà abouti, au cours de ces dernières années, à l’esquisse de schémas institutionnels applicables au Congo-Brazzaville dans la perspective de la fin de la tyrannie. Revenir sur cette question institutionnelle peut donc paraître à la fois tardif et superfétatoire. C’est un peu comme si on arrivait après la bataille. Le risque est en effet grand de se mettre à rabâcher ce que d’autres ont déjà analysé et souvent très bien analysé.

En réalité, il ne peut être ni trop tard, ni surabondant de contribuer à la réflexion commune sur les futures institutions de notre pays tant que les transformations attendues ne seront pas advenues. Le débat ne peut être définitivement clos tant que n’auront pas été mises sur la table et examinées avec minutie toutes les questions fondamentales ainsi que toutes les options sur l’avenir institutionnel de notre pays. Et puis, ce que d’autres ont déjà exposé peut à nouveau être présenté avec d’autres mots et sous d’autres approches. On ne perd rien à apporter de la nuance dans l’exposé de sujets complexes qui engagent l’avenir d’un peuple.

Dans cette contribution, il ne s’agit pas tant de proposition d’un modèle institutionnel idéal pour le Congo. Il s’agit surtout d’une réflexion sur la méthode. Le postulat de base est qu’on ne définit pas le cadre institutionnel d’un pays in abstracto. Ce cadre doit correspondre à une nécessité historique dont la définition doit elle-même être la résultante d’un compromis politique. Le raisonnement ou la démarche qui consisterait à affirmer, pour ne pas dire décréter, d’emblée, que le Congo doit être doté de tel modèle institutionnel : fédéral, confédéral, bonapartiste…puis de décliner à partir de cette axiome l’architecture institutionnelle est une mauvaise méthode. La démarche doit être inverse. L’architecture institutionnelle doit être le résultat des réponses à une série de questionnements articulés et hiérarchisés.

Parmi quelques-uns de ces questionnements présentés ici à titre d’illustration et sans hiérarchisation, car cette hiérarchie doit être le premier soubassement du compromis politique national à construire, il y a celui de la volonté commune de vivre ensemble, la volonté de construire une nation. Comment peut-on promouvoir l’émergence d’une nation congolaise au-delà des slogans stupides et creux dont les communistes-marxistes nous ont abreuvés depuis cinquante ans ? Quelle traduction symbolique et opérationnelle peut-on donner à cette volonté de vivre ensemble ? Comment concrétiser à travers les instruments de la vie collective (l’école, les médias, l’administration, le sport…) l’aspiration à une identité nationale ? Surtout, faut-il proclamer et incarner l’unité nationale dans une institution ?

La question de la forme de l’Etat focalise souvent l’attention. Et, les réponses habituellement apportées consistent à se positionner en argumentant pour ou contre tel ou tel modèle d’organisation. Cette façon d’aborder la question est intéressante pour les étudiants en droit et en science politique et pour leurs enseignants qui cherchent à analyser et à comprendre dans une perspective historique la façon dont des Etats se sont organisés au gré de leurs évolutions respectives.  En revanche, cela n’a aucun intérêt pour les citoyens congolais qui cherchent à bâtir un Etat viable qui les mettrait à l’abri des errements de ces cinquante dernières années. Pour nous, l’essentiel est de répondre aux questions suivantes et à beaucoup d’autres qu’il serait fastidieux et vain de chercher à lister de manière exhaustive. Quelle répartition des prérogatives de puissance publique est la plus adaptée afin de permettre la prise de décision à l’échelon local ou national adéquat ? Quels organes délibératifs, exécutifs, régulateurs et de contrôle seraient les plus pertinents pour notre pays et, quel serait leur mode de désignation ? Autrement formulé, quelles pratiques, quelles instances et quels processus faisant consensus dans notre culture commune pourraient être utilement amalgamés aux principes démocratiques d’un Etat moderne afin de nous générer des institutions originales et efficaces. Enfin, quelles prérogatives devraient être confiées à des instances locales afin de favoriser des pôles de développement autour de centres régionaux dans le but à la fois d’équilibrer le développement national et de freiner l’expansion sauvage des métropoles de Brazzaville et de Pointe-Noire confrontées à une urbanisation impensée et mal maîtrisée ? Autre interrogation à aborder : que ou qui doit-on représenter dans les instances délibératives : des territoires, des cultures, des individus ou des organisations politiques ? Pour illustrer l’intérêt que peut comporter ce questionnement, supposons qu’une assemblée parlementaire soit composée, selon le schéma traditionnel, de membres appartenant et représentant des groupements politiques et rassemblés autour des idéologies partisanes. Imaginons qu’une discussion soit ouverte sur le thème de la filiation et des successions au sein d’une telle assemblée dont la majorité serait tenue par les pseudos communistes du PCT. On peut alors aisément comprendre que la doctrine du PCT, y compris dans ses outrances et ses errements consuméristes et prédateurs, ne soit pas forcément la plus qualifiée pour éclairer le débat démocratique à l’aune de ce que sont les différentes approches culturelles de la filiation et des successions dans notre pays. En effet, nous savons que les approches familiales sont tantôt matrilinéaires, tantôt patriarcales selon les régions de notre pays. Donc, il peut paraître pertinent d’envisager une représentation des territoires ou des cultures au sein des assemblées parlementaires afin d’apporter cette lecture des terroirs sur des questions de société.

Sur le plan de la sécurité et de l’ordre public, quelles sont les menaces et les enjeux internes et externes auxquels notre pays et notre peuple sont et seront confrontés dans les cinquante prochaines années ? De quels instruments avons-nous besoin pour répondre à ces menaces éventuelles ? Une armée et une police : lesquelles et pourquoi faire ? Comment sortir de la militarisation de la vie publique ? Comment procéder pour parvenir à éradiquer le virus toxique des milices inoculé dans l’inconscient des congolais depuis 1963 par des dirigeants politiques irresponsables et inconséquents?

Comment intègre – t – on la question de notre place et de notre positionnement vis-à-vis des peuples frères qui nous entourent et en premier lieu ceux du bassin du Congo ? Quelle perspective se donne – t – on pour bâtir l’incontournable destin commun qui nous lie à eux et comment traduisons-nous cela dans notre schéma institutionnel ?

La question des organes de gouvernement est l’une des questions qui attisent, à juste titre, le débat public. Quelles autorités doivent être chargées de la direction des affaires de l’Etat ? Un président, un vice-président, un premier ministre, un gouvernement de combien de membres ? Une présidence tournante ou une présidence à mandat unique ou limité ? Et, comment désigne t – on ces autorités ? La réponse à ces questions varie en fonction des prérogatives dévolues aux organes centraux de l’Etat. Il s’agit surtout de garantir une légitimité des autorités désignées pour assurer la conduite des affaires de l’Etat. Cette légitimité résulte d’abord de la régularité et de la licéité du processus d’accession au pouvoir. Il s’agit de ce que Pierre ROSENVALLON appelle « la légitimité procédurale ». Mais, cette légitimité procédurale ne suffit pas. Elle doit être complétée par une légitimité dite « d’exercice ». Il ne suffit pas d’accéder au pouvoir de manière régulière et licité. Il faut en plus que l’exercice de ce pouvoir corresponde aux intérêts du pays et se fasse selon les règles en vigueur. Donc, les institutions nouvelles doivent répondre aux impératifs de cette double légitimité.

Comment assurer l’effectivité des droits et libertés fondamentaux ? Dans un pays où les détenteurs de la puissance publique tuent, violent, séquestrent, spolient et humilient impunément depuis cinquante ans, quels mécanismes pour garantir les libertés fondamentales ? Ce questionnement renferme en lui tout seul la problématique de l’Etat de droit et de la démocratie. La réponse à ces questions doit être minutieuse et précise ; l’approximation n’est pas permise. On comprend alors que s’y accroche la question de la justice. Quelle Justice pour quelle Droit ? Un Droit frelaté qui constitutionnalise le crime, ce que même la loi hitlérienne des pleins pouvoirs du 24 mars 1933 modifiant la constitution du IIIème Reich n’a jamais osé faire, ou un Droit qui sonde les ressorts de notre culture et adapte les prescriptions positives ?

L’épineuse question de l’ethnie doit être abordée frontalement et sans tabou. L’appartenance ethnique n’est ni bonne, ni mauvaise. Le fait est que nous nous reconnaissons tous de telle ou telle ethnie et nous ne sommes pas les seuls. En France, les béarnais, les basques, les bigourdans, les berrichons, les bourbonnais, les bourguignons, les picards, les normands, les gascons, les vendéens, les jurassiens, les savoyards, les bretons, les lorrains… sont autant d’appartenances revendiquées. Pour autant, ces appartenances n’empêchent pas, à quelques exceptions marginales près, de se reconnaître comme français et de construire la France les uns avec les autres. L’instrumentalisation politique de ces appartenances ethniques au Congo a été poussée à son paroxysme par le régime tyrannique en cours. L’enjeu pour les futures institutions sera de mettre en place des mécanismes qui garantissent la libre expression des particularismes ethniques, sans en faire des instruments de la conquête et de la conservation belliqueuses du pouvoir.

La somme des savoirs disponibles nous permet de mettre sur la table, dans une sorte de conférence de consensus, toutes les problématiques auxquelles se trouve confronté notre pays. De la préservation de notre environnement à la promotion d’un développement économique réfléchi, en passant par la définition d’un urbanisme et d’un habitat conformes à notre identité ; de la valorisation de notre culture à la réhabilitation des valeurs au cœur desquelles se trouve gravé le respect absolu de la vie humaine, tels sont les défis que devra relever le nouveau cadre institutionnel à construire.  Lorsque nous aurons répondu à tous ces questionnements et à beaucoup d’autres et, lorsque nous aurons traduit en organes, procédures et schémas fonctionnels les réponses consensuelles à ces questions ou les compromis politiques à établir, nous pourrons alors laisser aux professeurs de droit et de science politique ainsi qu’à leurs étudiants le soin de qualifier la nature du régime nouveau ainsi créé.

Serge TONGO

Diffusé le 02 mars 2022, par www.congo-liberty.org

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2 réponses à Contribution au débat sur les futures institutions du Congo-Brazzaville

  1. Val de Nantes dit :

    La nouvelle conception de notre schéma institutionnel doit être là conséquence de notre impensé institutionnel et il ne pourrait dépendre des humeurs de nos voisins immédiats…
    C’est une conception par soi et non pour soi … C’est une recherche des solutions institutionnelles,qui a pour mission d’appliquer à notre pays le modèle politique et le modèle économique qui garantissent à notre pays une prospérité économique fondée sur un modèle institutionnel idéal…
    J’entends par l’idéal institutionnel une symbiose intelligente entre le pouvoir politique issu des institutions bien pensées et l’économie dans sa forme la plus inclusive..
    Chaque pays a ses particularités sociologues et économiques , notre réflexion institutionnelle se devrait en être le reflet…
    Aux juristes effectivement de faire preuve d’intelligence dans la construction de nos futures institutions dont je souhaite qu’elle se drape d’un principe de précaution institutionnel ,en l’occurrence ,celui de mettre notre pays à l’abri d’une potentielle dictature….

  2. Samba dia Moupata dit :

    Cher Serge TONGO , l’impératif c’est mettre hors d’état de nuire le bourreau génocidaire Mbochi Sassou Dénis et ses lieutenant d’oyo . Après rétablir la république du Congo avec sa constitution de Mars 1992 . Toute fois une constitution peut toujours s’adapter aux réalités actuelles après consultation du peuples Congolais .

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