29 AOUT 1972- 29 AOUT 2022. 50 ans après, la disparition du lieutenant Pierre DOUGANGOYE et du sergent Bernard MABIKA reste une énigme

Lieutenant Pierre DOUGANGOYE

Par Roger MVOULA MAYAMBA

C’est une histoire douloureuse qui commence dans la matinée du 29 août 1972 sur le tarmac de la base aérienne militaire 01/20 de Brazzaville. Trois hélicoptères viennent de décoller pour une mission de reconnaissance dans les environs de la localité de GOMA TSE-TSE, dans la région du Pool. Cette mission s’inscrit dans le cadre de l’intensification des opérations militaires contre les maquisards du M22 emmenés par Ange BIDIÉ DIAWARA, Jean-Baptiste IKOKO et Jean Claude BAKEKOLO. L’un des hélicoptères de marque Alouette 2 est piloté par le Lieutenant Pierre DOUGANGOYE (1946-1972), Officier brillant et éloquent, ancien enfant de troupes (AET) à l’Ecole Général LECLERC de BRAZZAVILLE, formé à l’école Militaire de l’Air de CHALON-SUR-SÀONE-AIX-EN-PROVENCE, en France.

Quelques instants avant le décollage, le Sergent NGAMI, le mécanicien navigant accompagnant le pilote, est remplacé par le Sergent Bernard MABIKA, originaire de la région du Niari, tout comme le pilote. Lorsque le Lieutenant DOUGANGOYE, pilote expérimenté, fait décoller l’hélicoptère, il ne peut penser que c’est l’ultime voyage, sans retour, de ce qu’il ne reverra plus jamais son épouse MOMBO NIANGUI Elisabeth (1948-1990) et ses quatre enfants en bas âge.

Dans l’apres-midi, après plusieurs rotations dans la region du Pool, deux hélicoptères regagnent la base aérienne, mais le troisième appareil piloté par le Lieutenant DOUGANGOYE, avec à ses côtés le Sergent Bernard MABIKA, manque à l’appel. Vers 17 heures, le Haut commandement militaire porte à la connaissance des familles DOUGANGOYE et MABIKA la douloureuse nouvelle sur le crash de l’hélicoptère, survenu lorsque celui-ci survolait la forêt de Bangou, autour des localités de KILEBEMOUSIA et KINDAMBA.

Dès le lendemain, des équipes de militaires sont envoyées dans la zone géographique supposée de la disparition de l’appareil afin de retrouver l’équipage disparu ou ce qui reste de l’épave de l’appareil. Cependant, quelques jours plus tard, sans motif apparent, l’Etat major de l’armée décide d’abandonner les recherches. Cette décision est d’autant troublante qu’aucune information n’est livrée aux familles angoissées, ni sur l’état d’avancement de l’enquête ni sur le périmètre géographique où sont circonscrites les opérations de recherche. Le silence de l’Etat-Major des Armées, à la tête duquel se trouve le Commandant Jacques Joachim YHOMBY-OPANGAULT, sème le trouble et tranche avec l’information livrée auparavant aux familles suivant laquelle l’hélicoptère aurait fait un crash vers MAYAMA. L’incompréhension et la colère des familles arrivent à leur paroxysme lorsque l’état-Major Militaire refuse de recevoir Madame DOUGANGOYE, née MOMBO NIANGUI Elisabeth, en pleurs.

Cette tragédie a créé un émoi dans la société et bousculé les consciences en 1972. Elle reste une énigme jusqu’à ce jour, 50 ans après les faits, puisqu’on n’a jamais retrouvé ni l’épave de l’hélicoptère ni les corps des deux membres d’équipage. Il est donc difficile d’invoquer un accident, car celui-ci suppose l’existence des faits, d’indices concordants et matériellement vérifiables. Mais, il n’en est rien.

Tout de même, en pareilles circonstances, on est tenté de valider l’hypothèse du crash en s’adossant sur les allégations du Haut-commandement suivant lesquelles l’hélicoptère aurait disparu dans la forêt de Bangou, vers MAYAMA, ce 29 août 1972. Là aussi, le doute est légitimement permis. Personne n’a rapporté cette preuve, encore moins les paysans de cette localité. Et, jusqu’à ce jour, le Haut-Commandement n’a jamais communiqué sur les dernières conversations radio entre l’équipage et le tour de controle de l’armée afin d’apporter un éclairage sur les circonstances du supposé accident et sur la détresse de l’équipage.
De surcroit, d’après des sources concordantes, les opérations de l’armée contre les maquisards du M22 n’étaient pas menées vers MAYAMA mais elles étaient circonscrites dans les localités de GOMA TSE-TSE, KIBOSI, MADZIA-HAMON, KIBOUENDE et dans les environs de BOKO et BOKO SONGO à la frontière de la RDC.

Il est permis légitimement de douter que le crash se soit produit à MAYAMA, localité éloignée de GOMA TSE-TSE, d’autant que cet supposé accident est survenu dans un contexte de graves tensions et de purge au sein de l’armée marquées par l’arrestation de plusieurs officiers en 1972, accusés d’intelligence avec les rebelles du M22. Il s’agit de Luc KIMBOUALA NKAYA et Félix MOUZABAKANI. Des cadres civils et militaires sont arrêtés et torturés entre 1972 et 1973, tels que Pascal LISSOUBA, Bernard KOMBO MATSIONA, Pascal NGAMASSA, MOKONZI MOBE, EBOUNDIT, MOUGOUNGA KOMBO NGUILA, Camille BONGOU, Sylvain BEMBA, Ambroise NOUMAZALAYE et autre Maxime NDEBEKA. Pendant la même période, des élèves et étudiants sont placés sous écrou à la Maison d’arrêt. Il s’agit, entre autres, de BAYIMISSA Jean-Marie, Noel-Magloire NDOBA, SOUAMI Pierrre-Marie Joel et Benjamin TOUNGAMANI.

La thèse du crash survenu à Bangou etant disqualifiée, deux hypothèses sous forme d’interrogations semblaient s’imposer autrefois : l’accident du 29 août 1972 s’était-t-il produit à NGOMA TSE-TSE ? l’hélicoptère a-t-il été touché par les tirs des rebelles? Ces deux hypothèses sont fortement contredites par les rebelles du M22. En effet, depuis le maquis, par le biais d’un intermédiaire, Ange BIDIÉ DIAWARA échangeait sécrètement par lettres avec l’écrivain Sylvain BEMBA. Il reconnaitra par retour de courrier avoir vu les trois hélicoptères survolant GOMA TSÉ-TSÉ ce 29 août 1972 après plusieurs rotations et que les rebelles n’avaient jamais pensé les abattre de peur d’être localisés. C’est sur l’insistance de Sylvain BEMBA que DIAWARA adresse cette lettre, car Madame Elise-Thérèse GAMASSA, la cousine de Sylvain BEMBA, est l’épouse de Monsieur Pascal NGAMASSA. Celui-ci n’est autre que le cousin de Pascal LISSOUBA et le frère du Lieutenant Pierre DOUGANGOYE. D’ailleurs, à l’époque où il est en formation à l’Ecole de l’Armée de l’Air de CHÂLON-SUR-SAONE-AIX-EN-PROVENCE, en France, le Lieutenant Pierre DOUGANGOYE a une correspondance très soutenue avec Sylvain BEMBA.

De surcroit, en 1972, il est fortement soupçonné de collision avec le M22 par l’intermédiaire de son cousin Pascal LISSOUBA et Sylvain BEMBA, tous deux emprisonnés plus tard en compagnie de Pascal NGAMASSA. D’ailleurs, Pascal LISSOUBA et Pascal NGAMASSA sont libérés après le procès de NGOMA TSÉ-TSÉ en 1973 au bénéfice du doute à la faveur du témoignage de Madame Elise-Thérèse NGAMASSA.

Cela etant, d’après des sources familiales concordantes, Pierre DOUGANGOYE s’était confié aux proches et à son épouse, quelques jours avant le drame, faisant état de menaces pesant sur sa sécurité et son intégrité physique. Ses inquiétudes étaient d’autant fondées qu’il exposa à Pascal LISSOUBA la stratégie de certains officiers proches du President Marien NGOUABI consistant à purger l’armée des militaires progressistes proches du M22. Cette disparition sème d’autant le trouble que Pierre DOUGANGOYE est le cousin de Pascal LISSOUBA, et ce, dans un contexte où le projet des maquisards du M22 est de porter celui-ci à la tête du pays au seul motif tiré de son appartenance à une ethnie minoritaire, les Nzébis du Niari. Ce choix obéissait à une stratégie consistant à dépasser la bipolarité symbolique Nord-Sud en portant à la tête du pays un dirigeant clivant, transethnique et nationalitaire. Le M22 avait fait ce choix parce que Pascal LISSOUBA était dépositaire d’un double capital. Un capital intellectuel pour avoir été un brillant universitaire et un capital politique pour avoir été le Premier Ministre du régime du Président Alphonse MASSAMBAT-DEBAT, lequel avait un bilan économique positif. A la faveur de ces faits légitimants, le M22 avait jugé que Pascal LISSOUBA était le seul acteur politique capable de permettre au pays de solder tous les contentieux historiques et de fédérer toutes les composantes du Parti Congolais du Travail (PCT), de l’élite et du peuple.

En somme, le Lieutenant Pierre DOUGANGOYE a-t-il été victime de ses liens de parenté avec Pascal LISSOUBA et de son amitié avec Sylvain BEMBA ? celui-ci étant très proche d’Ange DIAWARA. De surcroit, le supposé accident qui l’a emporté est survenu dans un contexte où le régime du Président NGOUABI redoutait l’entrée des maquisards du M22 à Brazzaville. Cette éventualité impliquait-elle de neutraliser les cadres civils et militaires suspetibles de servir de relais au M22 au sein de l’armée pour la prise du pouvoir?. D’autant que la formation de pilote du Lieutenant DOUGANGOYE ainsi que ses puissants réseaux au sein de l’armée de l’Air, pouvaient simplifier les opérations aériennes du M22 en cas d’une attaque de Brazzaville ciblant des lieux ou des bâtiments stratégiques.

Deux autres interrogations s’imposent légitimement. D’abord, pourquoi quelques instants avant le décollage de l’hélicoptère le mécanicien navigant, NGAMI, a été remplacé par le Sergent Bernard MABIKA pour accompagner le Lieutenant Pierre DOUGANGOYE? Qui avait donné l’ordre pour ce changement d’équipage? Et pour quel motif? Ensuite, pourquoi le Haut-commandement militaire avait précipitamment décidé d’abandonner les recherches de l’hélicoptère? Avait-t-il des informations sur la réalité des faits au point de juger de l’inopportunité de l’enquête ?
En conclusion, la prudence implique de ne point se laisser aller à toutes sortes d’affirmations ou de supputations qui tendraient à valider une quelconque hypothèse sur le tragédie du 29 août 1972. Toutefois, la « Commission Assassinats de la Conférence Nationale Souveraine » de 1991 avait conclu formellement à l’assassinat politique du Lieutenant Pierre DOUGANGOYE et du Sergent Bernard MABIKA.

Dans une optique identique, dans son ouvrage  » Armée Populaire Nationale et Crime politique », le Colonel Philippe BINKINKITA retient sur un ton accusateur la thèse de l’assassinat physique du Lieutenant Pierre DOUGANGOYE. Philippe BINKINKITA etait-il inspiré des sources dissidentes au sein de l’armée qui exposaient que le Lieutenant Pierre DOUGANGOYE et le Sergent Bernard MABIKA avaient été assassinés après avoir été capturés vivants? Tout de même, cette tragedie reste une énigme jusqu’à ce jour.

Roger MVOULA MAYAMBA
Juriste

Diffusé le 30 août 2022, par www.congo-liberty.org

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2 réponses à 29 AOUT 1972- 29 AOUT 2022. 50 ans après, la disparition du lieutenant Pierre DOUGANGOYE et du sergent Bernard MABIKA reste une énigme

  1. Loubaki dit :

    C’est surréaliste en effet. Un aéronef qui disparaît sans laisser de traces. De la science fiction. L’engin volant était-il passé dans la troisième dimension ? Mais on se connaît. Au Congo, la réalité dépasse la fiction. La dynamique du crime commence dans la recomposition de l’équipage. Si le mécanicien qui avait eu « l’intuition » de se faire remplacer à la dernière minute est est encore en vie. il faudra le cuisiner. Cet heureux aviateur connaît une partie de la vérité ou alors il faudra se rendre à l’évidence : le triangle des Bermudes existe au dessus du Pool. Ce n’est pas pour rien que Ntoumi y est introuvable.

  2. Samba dia Moupata dit :

    Jusqu’aujourd’hui certains sudistes kongo continuent à croire à la même bêtise que Diawara , Kimbouala -Nkaya et Félix Mouzabakani qui ont trahit Massamba Débat ! Olivier et Benjamin deux grands amis sur Paris qui sont d’une naïveté mortifère d’ailleurs sont restés supporter de la bêtise de Diawara . La folie de Marien Ngouabi commencée atteint son paroxysme avec Sassou Dénis qui a créé son état Mbochi avec le pétrole kongo .

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