L’ECOLE AU CONGO BRAZZAVILLE: ENJEUX POLITIQUES ET ECONOMIQUES. Par Justin Balonga

l’école congolaise est-elle sous influence?

 

De l’indépendance en 1960 à nos jours, cinq lois majeures ont régi le système éducatif congolais. Ces lois sont plus de tentatives de changement par rapport au modèle de l’école française, que de véritables projets originaux de l’école. Même la loi du 11 septembre 1980, instituant l’ « école du peuple » qui a semblé dégager une orientatiuon d’une nouvelle école a tiré l’essentiel de son inspiration de la doctrine marxiste. Aujourd’hui encore la loi du 6 septembre 1990 de libéralisation de l’école a été marquée par un contexte politique et économique particulier.

Quatre tendances majeures de la vie politique, institutionnelle et économique ont marqué l’évolution de l’enseignement au Congo. Au moment de l’indépendance, la première République institua un régime libéral largement inspiré du modèle français. Et la loi sur l’école du 28 septembre 1961 établit trois catégories d’établissements d’enseignement comme en France. D’une part les établissements assimilés, c’est-à-dire qui sont tenus aux mêmes obligations que les établissemnts publics (art.11). D’autre part, les établissements subventionnés qui ont passé des contrats avec l’Etat (art.13). Et enfin des établissements qui exercent librement, et qui ne perçoivent aucune subvention de l’Etat (art.14). Cette acculturation de l’école se perpétua avec l’avènement du régime révolutionnaire en 1963.

Une nationalisation de l’école guidée par des considérations politiques

La seconde phase marquante de l’enseignement est liée au tournent politique à partir de 1963, le régime en place est remplacé par un pouvoir révolutionnaire. Ce dernier met en place pendant une période dite de consolidation de la révolution, un Conseil National de la Révolution (M.N.R). Il est chargé de réaliser les objectifs fondamentaux de la révolution, d’élaborer la politique générale de l’Etat et de conduire son action en fonction des aspirations profondes des masses (art.85). Ce contexte nouveau de la politisation de toutes les couches sociales et de la volonté d’endoctrinement de la jeunesse ont permis l’adoption de la loi du 12 août 1965 dite de « nationalisation de l’enseignement au Congo »(1). Dans le rapport élargi à l’Assemblée Nationale de la loi présentée par le député Galibali Lambert, il est souligné « …ainsi pour combler le voeu vulgaire des masses révolutionnaires, l’enseignement a subi le sort qui lui convient dans un pays qui se veut indépendant » (2).

La nouvelle loi dispose à son article 8, l’enseignement est dispensé au Congo par des établissements publics d’Etat, à l’exception des établissements privés religieux habilités pour la formation des serviteurs de l’Eglise et des établissements bénéficiant d’un statut découlant d’une convention diplomatique. Ces différents établissements visés par l’article 8 ne pourront recevoir aucune subvention de l’Etat, et de la même manière la propriété des établissements d’enseignement n’entrant pas dans l’une des catégories défini par l’article 8 sont transférés à l’Etat, et donc nationalisés. Cette nouvelle loi dans son esprit est en contradiction avec les constitutions successives du 8 décembre 1963 et du 30 décembre 1969. La première reconnaissait l’égal accès de l’enfant et l’adulte à l’instruction et à la formation professionnelle, et qu’il est pourvu à cette éducation par des écoles publiques ou privées. Par ailleurs, les écoles privées peuvent être ouvertes avec l’autorisation et sous le contrôle de l’Etat (art.12). La seconde six ans après, aux termes de son article 19 garantissait aux citoyens la liberté de conscience et de religion, et donc dans le domaine de l’école la possibilité ouverte aux familles de choisir le mode d’éducation de leurs enfants.

« entrave au principe constitutionnel de la liberté de l’enseignement »

Dès lors, au plan juridique stricto sensu, la loi du 12 août 1965 constitue une entrave au principe constitutionnel de la liberté de l’enseignement , et dans le même temps met en lumière le contenu politique affirmé de cette loi. Il s’agissait d’exprimer la souverainté et l’indépendance nationale.

Quel fondement conceptuel de l’école?

A partir de la loi du 12 août 1965, l’enseignement est organisé en service public d’Etat, ce dernier assure directement la garantie exclusive en matière d’organisation et de financement de l’enseignement. Par comparaison à la France, au Congo les principes politiques de gestion de l’enseignement sont compris non comme une suprématie de l’enseignement civil sur l’enseignement religieux, mais plutôt trouvent leur justification dans la mission idéologique de reconstruction d’une école nouvelle au service de la nation. Et le principe de nationalisation de l’enseignement de 1965, méconnaît la liberté d’exercice de l’enseignement. En revanche, la loi du 9 décembre 1905 en France sur la séparation de l’Etat et de l’Eglise n’a pas entraîné la disparition des écoles confessionnelles, une cohabitation avec l’Etat a été rendue possible, au sein d’un grand secteur d’enseignement pluraliste. Ce qui revient à dire que le régime français d’enseignement est un régime de liberté. Il s’appuie entre autre sur l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, aux termes duquel  » nul ne peut être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » et la loi du 9 décembre 1905, tout en procédant à la séparation de l’Eglise et de l’Etat , a confirmé que  » la République assure la liberté de conscience ».

Par contre, au Congo, l’Etat s’était engagé dans une voie radicale et sans partage de l’enseignement, puisque que l’Eglise était dépossédée de sa charge d’éducation des jeunes et l’enseignement de tout dogme religieux à l’école était exclu. Au lycée par exemple, le programme de philosophie classique était remplacé par l’étude du marxiste-léniniste, dont les principaux thèmes étaient : le matérialisme historique, l’Etat et la révolution, et l’impérialisme stade suprême du capitalisme. Au cours de cette période, l’enseignement participa largement à la politisation et à l’endoctrinement de la jeunesse. Désormais deux organisations, le Mouvement National des Pionniers (M.N.P) et l’Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise (U.J.S.C) assurent la direction de la jeunesse congolaise. Par exemple les Statuts du Mouvement National des Pionniers soulignait à l’article 1,  » Le pionnier est un militant conscient et efficace de la jeunesse, dans tous ses actes, il obéit aux ordres du Parti ». De la même manière, l’Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise avait pour mission la discipline à l’école pour un meilleur rendement scolaire, mais surtout doit participer aux tâches de production et lutter contre les mauvaises habitudes de consommation, contre la délinquance (4). Tout porte à croire que dans les écoles, la formation idéologique et politique des idéaux socialistes passe avant les apprentissages scolaires, dans la mesure où les objectifs attribués à l’école sont préalablement politiques.

L’instrumentalisation de l’école comme moyen d’action politique

Cette évolution marquée à la fois par une organisation et une gestion fortement politisée se poursuivit avec la loi du 11 septembre 1980 instituant une nouvelle école dénommée  » Ecole du Peuple ». L’un des points importants de cette loi, est l’affirmation de la construction d’une société socialiste à travers l’école. Aussi dans sa conception et dans son fonctionnement, cette loi se démarque des précédentes, dans la mesure où qu’elle est conçue par le département de l’idéologie et de l’éducation du Parti Congolais du Travail. L’éducation et la formation deviennent des attributions du Parti d’abord et de l’Etat ensuite. De cette façon, l’article 1 définit l’Ecole du Peuple comme le moyen d’assurer et d’élever le niveau d’éducation de l’ensemble de la population congolaise, de fixer la couverture des besoins en personnel qualifié et politiquement engagé en vue de l’indépendance nationale et de la construction de la société socialiste. Il est également affirmé au dernier alinéa du même article , le monopole exclusif du Parti et de l’Etat sur l’éducation et la formation, excluant définitivement l’existence de l’enseignement privé.

Dans cette loi, l’école est liée au référent productif, puisqu’elle  » prépare l’enfant à entrer dans la vie productive ». Les programmes scolaires et de formation sont établis en fonction des besoins quantitatifs définis par le plan global de développement national du Parti Congolais du Travail.

Libéralisation ou désengagement de l’Etat

La loi scolaire actuelle du 6 septembre 1990, a posé à nouveau la question de la liberté de l’enseignement (art.3). Dorénavant, l’enseignement peut être assuré aussi bien par des établissements publics que par des établissements privés. A titre de rappel , il y a eu une succession des faits et d’actes qui ont à la fois fondé et légitimé la libéralisation de l’enseignement. D’une part, le Préambule de l’Acte Fondamental issu de la conférence nationale souveraine tenue à Brazzaville du 25 février au 10 juin 1991, son préambule réaffirmait son attachement aux principes de la démocratie pluraliste , et surtout aux droits définis par la Charte Internationale des Droits de l’Homme des Nations Unies de 1948. Parmi ces droits figurent le droit de chaque individu de bénéficier d’une éducation et le libre choix qui s’y attache du type d’enseignement, public ou privé. D’autre part, la Constitution du 15 mars 1992 consacre à son article 37 la libéralisation des activités économiques et sociales.

Aujourd’hui, il ne fait donc plus aucun doute que le principe de la liberté de l’enseignement a été rehabilité et se trouve constitutionnellement garanti. Par exemple, depuis l’Eglise (5) s’est réengagée dans sa mission d’éducation de la jeunesse. Toutefois, cette coexistence du service public de l’enseignement et de l’enseignement privé soulève des problèmes pratiques. Celui d’abord de la délimitation du champ d’action entre le public et le privé, et ensuite de l’obligation de l’Etat d’apporter son concours au fonctionnement de l’enseignement privé par des aides directes ou indirectes. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme à laquelle le Congo est signataire stipule clairement à son articule 26 alinéa 3  » Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants ». De manière concrète, à partir du moment où l’Etat a reconnu la liberté d’enseignement, il doit encourager et favoriser cette liberté. Et la liberté de l’enseignement reconnue légalement à d’autres intervenants, ne doit pas être comprise comme simplement la liberté de reproduire le modèle fourni par les établissements d’Etat dans un espace privé, mais plutôt l’occasion de dispenser le même enseignement dans un cadre spécifique et d’une certaine conception de l’homme et du monde différent. Or, force est de constater sur ce point, que le Congo a pris en charge par le passé une scolarisation massive selon un modèle que d’une part la raréfaction des ressources à partir des années 90 et d’autre part la pression démographique ont rendu intenable d’un point de vue financier. Toute la politique de libéralisation du secteur d’enseignement qui a suivi s’est faite sur fond d’une explication ultra libérale, donc économique et non philosophique et historique comme en France. Bien au delà, l’Etat congolais a fait fi du sacro saint principe de la liberté de l’enseignement, qui lui impose et cela quelles que soient ses contraintes bugdétaires , d’apporter une aide matérielle ou financière à l’enseignement privé considéré comme activité d’intérêt général.

En définitive, l’enseignement au Congo au cours de ces cinquante dernières années n’a cessé de connaître un balancement continuel, passant tantôt d’un modèle de liberté vers une gestion de monopole, puis son retour à la libéralisation. Tout aussi, sont différentes les motivations de ces changements permanents, de la volonté politique affirmée à partir de 1963 aux pressions économiques et financières actuelles. Ainsi le désengagement partiel de l’Etat à partir de la loi du 6 septembre 1990 visait avant tout de générer des ressources disponibles, nécessaires pour assurer le service de la dette extérieure. Il est évident qu’à terme sans mécanismes justes et efficaces de régulation étatique, cela risque de créer des rentes au profit de ceux qui peuvent investir dans un secteur ouvert. Et, il serait dommage , compte tenu des contraintes financières demandées aux familles, dans un domaine pourtant non marchand, que la recherche du profit devienne la première raison d’ouverture des écoles privées au Congo Brazzaville.

Geoffroy Justin Balonga

Spécialiste en éducation, docteur en droit.

Diffusé le 22 décembre 2016, par www.congo-liberty.org

Notes:

(1) Avant la loi du 12 août 1965 de nationalisation de l’enseignement, il y avait 333 écoles publiques contre 473 écoles privées, Prosper Ngakéni, in « Problèmes actuels d’éducation en République populaire du Congo », éd. Bantoues 1985, p.90.

(2) Op. cit. in  » Les constitutions congolaises » A. Gabou, L.G.D.J, 1984, p.257.

(3) Voir nos développements, in « Le service public de l’enseignement au Congo », Thèse de Doctorat en droit, Paris XIII, 1995, p.145.

(4) in  » Déclaration du 12/12/1975 du Comité Centrale du Parti congolais du travail, imprimerie nationale, p.18.

(5) L’église catholique dans son projet éducatif s’est fixée au moins deux objectifs, à la fois généraux et spécifique. D’abord, elle se propose d’accueillir tous les enfants sans distinction de race, de religion, d’ethnie et de classe sociale. De ce fait l’église accepte de respecter le principe d’accès de tous à son enseignement. Ensuite, l’enseignement catholique vise à éveiller le sens critique de l’enfant dans l’analyse des faits sociaux et en même temps de l’aider de devenir une personne responsable et efficace dans la société. Voir également l’article de l’abbé Séraphin Koualou Kibangou, « En quoi consiste le projet éducatif d’une école catholique », in  » la semaine africaine », n° 3250, du 14/12/2012, p.8.

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5 réponses à L’ECOLE AU CONGO BRAZZAVILLE: ENJEUX POLITIQUES ET ECONOMIQUES. Par Justin Balonga

  1. Elika dit :

    Un article fort intéressant qui donne un éclairage sur l’évolution de l’école au Congo.

  2. mwangou dit :

    la réalité est bien loin des apparences. j’ai déjà été dans tous ces coins cités par Loko Balossa. La réalité est bien loin des apparences. Ceci dit, un jour de 2016, un ambassadeur d’un pays historiquement parent, dit comprendre la politique de sassou nguesso. il dit que sassou nguesso ne voulait pas de gens instruits dans ce pays, pour qu’il règne sans partage, car des gens non instruits sont des gens qui vous laissent tranquille…pour le comprendre, il n’y a qu’à se référer à l’armée…
    Bonne fête de Noël à ce site et à tous ses intervenants.

  3. Inexcuable dit :

    Que se passe-t-il lorsqu’il pleut dans ces ‘bâtiments’ à ciel ouvert, plus de 50 années après ‘l’indépendance’?

    Mais où sont donc passées les toitures?

  4. La révolte dit :

    C’est à peine croyable dans un pays où on ne cesse de nous parler depuis plus de 15 ans de la municipalité accélérée, de voir des écoles sans toiture . Quand un pays ne pense pas à l’éducation des enfants, c’est que ce pays manque de perspective et d’avenir. C’est effectivement le souhait de monsieur 8% qui par son cynisme et son esprit machiavélique veut faire du Congo une terre d’ignorants où il régnerait en maître absolu.
    C’est pour cela tout congolais où qu’il soit sans attendre les ordres d’un mouvement politique doit absolument prendre à titre personnel ses responsabilités pour lutter contre le tyran de Mpila et son système.
    Chers compatriotes, par tous moyens, nous vaincrons.

  5. Anonyme dit :

    Quel bilan ?
    Quelle fierté d’avoir une compagnie aérienne qui engloutie une bonne partie du trésor publique , qui perd de l’argent et que l’héritage de la faillite à venir en incombera au peuple.
    Quelle fierté d’avoir 12 hôpitaux régionaux actuellement en construction alors que les structures existantes ne possèdent mêmes pas les matériels et surtout les personnels compétents nécessaires.
    Déjà pour les hôpitaux existants il manque cruellement de personnels et les compétences nécessaires n’existent pas, ce n’est pas en offrant 4 murs et 1 lit que les soins vont s’améliorer.
    Des murs et un lit sans médecins n’ont jamais guéris les gens.
    Quelle fierté d’avoir, un grand bâtiment de la télévision bourré d’incompétents incapables d’assurer une émission correcte digne d’un pays structuré, une honte pour l’image du pays à l’extérieur. Ou officie ces soit- disant journaleux, ces valets zélés du pouvoir, qui déshonorent la profession, le peuple saura, le jour venu, les remercier comme il se doit pour leur contribution à cette désinformation permanente et ce matraquage des consciences
    Quelle fierté d’avoir ce concept IDIOT de municipalisation accélérée ou l’on construit tous les ans un palais présidentiel (pour que le clan puisse ripailler à sa guise), un aéroport ou héliport (pour poser l’avion de petit satan), un boulevard pour le défilé, un stade de foot et le reste des projets ne voient pratiquement jamais le jour.
    Sassou ce grand bâtisseur infatigable, comme il aime l’entendre dire, ce qui est sur c’est qu’il assure surtout du travail pour ses amis chinois et la société Asperbras (au coeur d’un scandale international) mais ne construit nullement les têtes et les consciences de la population Congolaise.

    Pour la population tous les jours c’est:
    La malnutrition
    L’insalubrité
    Le manque de soins (les CH tUe)
    Le manque d éducation
    Le manque d’eau
    Le manque d’électricité
    Pas de liberté d’expression
    La corruption (24 ème pays sur 174 des pays les plus corrompus)
    Etc…

    Qui pouvait encore croire que ce tyran « sangsue nguesso » pourrait le cas échéant quitter le pouvoir de son plein gré. Dès le début les dés étaient pipés.
    La manipulation des urnes est une spécialité du Pct.
    Ayant trop de comptes à rendre seul son immunité présidentielle le protège (lui et son clan de mafieux) donc il va de soit qu’il ne partira pas de lui-même. D’ailleurs l’histoire, ou plutôt le piège, à CONS du dialogue sur la constitution c’est bien lui qui l’a déclenché et n’était en fait qu’un prétexte pour ouvrir la porte à son futur sacre.

    Elle est belle la paix que Sassou offre au peuple.

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