Un « printemps démocratique » en Afrique subsaharienne ?

Tensions électorales, manifestations populaires, émeutes de la faim, un peu partout en Afrique subsaharienne, les populations se mobilisent pour revendiquer plus de démocratie et le respect de leurs droits fondamentaux, de quoi se nourrir et accéder aux services les plus essentiels qu’un citoyen peut attendre d’un Etat. À l’aune d’une crise économique et sociale qui se prolonge depuis des décennies et s’aggrave encore, peut-on imaginer un printemps démocratique en Afrique subsaharienne qui aurait raison de régimes agonisants ?

Que disent les pillages ? émeutes de la faim, vie chère et demande de dignité

De telles manifestations « contre la vie chère » se multiplient ces dernières années. Après l’embrasement généralisé du Cameroun suite à des manifestations contre la cherté de la vie en février 2008, l’Egypte, le Maroc, le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Mozambique, la Mauritanie ont également connu de tels mouvements populaires au printemps 2008 à propos de la vie chère. Partout, les contraintes économiques entraînent d’importantes perturbations sociales, souvent aggravées par les crispations des pouvoirs. La faim est au cœur de toutes les mobilisations. Les économies africaines sont particulièrement vulnérables aux fluctuations économiques mondiales et le poids de la nourriture dans les dépenses des ménages africains est très élevé. Quand, face à l’expression populaire de l’inquiétude à propos de tels enjeux de survie, les pouvoirs n’affichent que de l’indifférence, le pillage et le chaos sont à craindre.

Au Swaziland, des manifestations ont eu lieu récemment, qui rappellent qu’au-delà de l’ampleur et de la permanence de la faim, c’est la reconnaissance de la justice et de la dignité humaine qui transparaît dans toutes ces mobilisations. Le président de l’association nationale des enseignants au Swaziland (interrogé par l’hebdomadaire sud-africain Mail and Guardian) rappelle ainsi que « en Siswati le mot qui signifie ‘paix ‘ est le même mot que pour ‘silence ‘, le Roi et ses sbires veulent maintenir la paix en nous contraignant au silence. Mais nous refusons de nous taire à propos de la faim et de la souffrance que nous endurons » (1).

L’enjeu est bel et bien la réaction des pouvoirs à ces manifestations populaires qui se déroulent aussi dans des régimes dits démocratiques, et dépassent la seule revendication démocratique au sens strict. Il s’agit d’une quête de justice envers les manifestants tombés sous les balles perdues, et de reconnaissance envers la misère subie depuis tant d’années et surtout la faim, en somme une demande de dignité est commune à toutes ces mobilisations. En Afrique du Sud, qui fêtera bientôt deux décennies de démocratie, aucun « retour à la normale » n’a été enregistré sur le plan économique et social. La pauvreté, les disparités raciales, régionales, l’absence généralisée d’accès aux services les plus essentiels ont déjà entraîné de graves flambées de violence y compris envers les étrangers en mai 2008. En témoignent encore les violences policières, vendredi dernier, à la suite d’une manifestation de quelques milliers de personnes dans le township de Ficksburg, à Meqheleng, dans la province du Free State (centre du pays). Un père de famille a été violemment frappé puis abattu par la police. Il manifestait pour réclamer de meilleurs services publics.

Les mutineries et journées de violence au Burkina Faso, la sortie de crise ivoirienne, les manifestations contre la vie chère dans bien d’autres Etats ont en commun de montrer des citoyens demandant les plus élémentaires des droits humains, la reconnaissance de leur liberté et de leur dignité, dans un continent secoué par le changement. Espérons qu’un printemps africain ait commencé, et qu’il permette partout la reconnaissance politique de ces enjeux primordiaux.

par Fanny Chabrol, chercheur associée à l’IRIS

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