Régime parlementaire ou régime présidentiel en Afrique ?

La forme du régime politique est-elle importante ?

En première approximation, la forme du régime politique ne paraît pas avoir une importance démesurée. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Suisse sont parmi les pays les plus libres au monde et pourtant leurs régimes diffèrent. La « révolution libérale » s’est produite aussi bien dans le régime présidentiel américain que dans les régimes parlementaires anglais, australien ou néo-zélandais. Des réformes d’ampleur ont pu être menées aussi bien dans un régime parlementaire fédéral, tel le Canada, que dans un régime présidentiel fédéral, tels les Etats-Unis. Elles ont pu être portées aussi bien dans ces régimes fédéraux que dans des nations alors très centralisées, tel le Royaume-Uni.

Un régime politique n’est pas une fin en soi, ce n’est qu’un moyen dont la fin est de garantir les droits de l’homme. Et ceux-ci peuvent être préservés aussi bien dans une démocratie que dans une monarchie limitée, dans un régime parlementaire que dans un régime conventionnel ou présidentiel, dans un Etat fédéral que dans un Etat décentralisé ou régional.

Cela ne signifie pas pour autant que la question du régime politique soit anodine.

L’histoire du constitutionnalisme le démontre. Le parlementarisme s’est construit très progressivement en Angleterre à partir du Moyen-Age autour du problème du consentement à l’impôt et de l’habeas corpus, c’est-à-dire de l’interdiction des arrestations arbitraires. Après force vicissitudes, les monarques vont se voir imposer l’accord de ce qui deviendra le Parlement pour toute création d’impôts nouveaux d’abord, puis pour toute levée d’impôts périodiques. La Grande Charte de 1215-1225 consacre le principe « pas de taxation sans représentation », qui aura une influence nodale lors du conflit avec les colons aux Amériques cinq siècles et demi plus tard. Le rôle d’un Parlement est donc de donner son approbation à toute création, levée ou augmentation d’impôts, puisque celui-ci vient porter atteinte à la propriété des citoyens ou des sujets. Ce n’est que très progressivement là encore que les Parlements vont prendre part au processus d’édiction des normes en conseillant les monarques, puis en adoptant des textes ayant force de loi. Ils en viendront à remplir trois fonctions essentielles : donner naissance au Gouvernement, contrôler l’exécutif pour en empêcher l’arbitraire et voter les lois.

Régime parlementaire ou régime présidentiel ?

La doctrine va petit à petit tenter de sérier les différents régimes politiques et elle va distinguer le régime dit parlementaire du régime dit présidentiel. Le critère de distinction devient à la fin du XIXe siècle, avec le constitutionnaliste français Adhémar Esmein, la « séparation des pouvoirs ». Selon une vulgate, le régime parlementaire est analysé comme un régime de « collaboration des pouvoirs » et de séparation souple de ces derniers, tandis que le régime présidentiel est compris comme un régime de « séparation stricte des pouvoirs ». En réalité, cette théorie est fondée sur une interprétation très superficielle de l’oeuvre de Montesquieu.

Celui-ci, dans son maître ouvrage de 1748 De l’esprit des lois, n’a jamais parlé d’une « séparation des pouvoirs », mais d’une collaboration des « puissances » qu’il avait pu observer lors de son séjour en Angleterre. De plus, la description ultérieure du régime américain comme celui d’une « séparation stricte » des pouvoirs est contredite non seulement par la pratique des institutions, mais encore par la théorie elle-même qui insiste sur l’existence de « freins et contrepoids ».

La division classique entre régime parlementaire et régime présidentiel est une commodité pour l’exposé. Il s’agit d’une construction de l’esprit dont la vertu se veut heuristique, à savoir utile à la découverte. Cela ne veut pas dire que la distinction soit dénuée d’intérêt : elle renseigne sur la présence ou l’absence d’un certain nombre de mécanismes ou de techniques juridiques. Lorsque l’on parle de régime présidentiel, on sous-entend que la fonction dite exécutive appartient à une seule personne qui fait face à un Parlement chargé de voter la loi, devant lequel il n’est pas responsable politiquement et dont il ne peut abréger la durée.

Lorsque l’on parle d’un régime parlementaire, on sous-entend que le chef du Gouvernement est responsable de sa politique devant le Parlement ou, à tout le moins, devant l’une de ses chambres. Aujourd’hui, la doctrine est quasi-unanime à considérer que le régime parlementaire se définit par la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et elle laisse de côté le plus souvent l’arme corrélative de celui-là l’égard de celui-ci ou de l’une de ses chambres, sous la forme d’un droit de dissolution, c’est-à-dire la décision de mettre fin à leurs pouvoirs avant l’expiration de leurs mandats.

Paradoxalement, le critère contemporain du régime parlementaire – la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement – ne joue plus guère si le régime est stable. Les gouvernements chutent lorsque leurs chefs n’ont plus la confiance de leurs troupes ou lorsque la coalition de partis se déchire en dehors des chambres. Le droit de dissolution, lui, est utilisé de manière plus ou moins habituelle, même s’il est exact que la stabilité de la majorité interdit de décrire ce mécanisme comme une arme contre le Parlement. La virtualité de la responsabilité voisine ainsi avec l’effectivité de la dissolution. Quoi qu’il en soit, les meilleurs auteurs envisagent le régime parlementaire comme celui qui est fondé sur la confiance : le Gouvernement doit disposer à tout moment de l’approbation de sa majorité parlementaire.

Si l’on réfléchit au régime politique qui serait le plus adapté aux différents pays d’Afrique, ou du moins à la plupart d’entre eux, est-il indifférent qu’il s’agisse d’un régime parlementaire plutôt que d’un régime présidentiel ? Un grand sociologue du XIXe siècle aurait certainement répondu de manière positive.

Raymond Aron a remarqué à plusieurs reprises que Karl Marx et Auguste Comte n’envisageaient guère les institutions représentatives que comme un aspect secondaire de la société moderne, voire une survivance de la phase « transitoire » appelée à un dépérissement prochain. Ce n’est donc pas un hasard si Marx et Engels ont brocardé le « crétinisme parlementaire ». Les tenants de la démocratie libérale ne partagent évidemment pas ce point de vue. Il apparaît difficilement contestable que le « présidentialisme » africain – que l’on y voie une déformation du régime présidentiel ou du régime parlementaire, peu importe – n’est pas le régime idéal et que dès lors toutes ses manifestations doivent être jugulées. C’est en ce sens que le régime dit présidentiel ne semble pas le plus adapté. Il ne faut pas oublier que, à l’origine, la qualification de régime présidentiel, ne revoie pas à une quelconque primauté de la fonction, mais simplement à la forme de l’exécutif.

D’ailleurs, lorsque, en 1883, Woodrow Wilson, alors professeur à l’Université de Harvard, fait paraître son ouvrage majeur de droit constitutionnel, il l’intitule de manière révélatrice Le gouvernement congressionnel. Ce n’est qu’au XXe siècle, sous l’influence de la pratique du Pouvoir par des chefs de l’exécutif de plus en plus puissants, à commencer par les deux Roosevelt, que l’expression de régime présidentiel s’imposa.

Il est vrai aussi que certains auteurs ont érigé de nouvelles théories pour qualifier les régimes qui, pratiquement, semblaient partager des points communs avec les différents régimes classiques. Maurice Duverger va parler de « régime semiprésidentiel » pour qualifier les contrées dans lesquelles le chef de l’Etat est élu au suffrage universel et se trouve doté d’importants pouvoirs propres, alors que le Gouvernement est responsable devant le Parlement ou l’une de ses chambres.

Quoique cette interprétation ait été opportunément critiquée en théorie – pourquoi « semi-parlementaire » plutôt que « semi-présidentiel » ? Pourquoi « semi » plutôt qu’ « hyper » ? – et en pratique – Maurice Duverger étant dans l’obligation d’effectuer des sous-distinctions en isolant des autres le régime essentiel à ses yeux : celui de la Ve République -, elle est fréquemment utilisée.

Si les manifestations perverses du « présidentialisme » africain doivent être supprimées, alors il faut promouvoir un régime qui ne les consacre pas. Quelles sont-elles ? La surpuissance d’un chef d’Etat, élu au suffrage universel direct. Il n’est guère surprenant que les partisans de la démocratie libérale aient toujours suspecté les titulaires de la fonction dite exécutive : ceux-ci se meuvent dans le monde des volontés particulières, donc potentiellement de l’arbitraire. Mais cela ne veut pas dire pour autant, comme le croyaient de manière naïve ou intéressée les révolutionnaires anglais, puis surtout leurs homologues français, que les titulaires de la fonction législative soient au-delà de tout soupçon au motif qu’ils sont censés faire jaillir la « volonté générale ». Quoi qu’il en soit, tout régime qui permet de consacrer le pouvoir personnel ou de le générer plus facilement, est défaillant. L’analyse des pays que l’on appelait occidentaux, démontre que l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct ou quasi-direct ne charrie pas avec elle de manière automatique la prépondérance de cet organe. Néanmoins, la surpuissance présidentielle peut s’établir d’autant plus aisément que sa légitimité se fonde sur une telle élection qui, dès lors, doit être abolie. Pouvoir exécutif fort et élection au suffrage universel direct constituent un cocktail explosif. La compétition électorale ne doit plus opposer tant des hommes que des programmes, même si la personnalisation du Pouvoir s’analyse comme un phénomène incontournable. Il faut, autant que possible, dépersonnaliser le Pouvoir pour l’institutionnaliser. Pour le dire autrement, il faut faire comprendre,sanctions à l’appui, aux hommes politiques que le gouvernement est, comme le disent les Anglais, un gouvernement de lois et non d’hommes. La lutte pour le Pouvoir ne doit plus viser un poste suprême doté d’attributions étendues et susceptibles de dégénérer en régime arbitraire, mais une politique à mener avec la confiance d’une majorité au Parlement. En ce sens, le régime parlementaire apparaît une fois encore moins dangereux pour les pays africains que le régime présidentiel. Durant la campagne électorale s’y affrontent de manière concurrentielle des partis politiques pour la conquête du Pouvoir. Après les élections, le parti majoritaire assure l’exercice du pouvoir tout en en assumant clairement la responsabilité à l’égard de l’opposition et de l’opinion publique.

Des études récentes tendent d’ailleurs à prouver la supériorité du modèle parlementaire dans les pays africains. Les rapports de Transparency International démontrent que la corruption y est moins prégnante qu’au sein des régimes présidentiels. De plus, le niveau de vie y est supérieur. Ainsi, Maurice et le Cap-Vert ont vu leur niveau de vie doubler en moins de dix ans, entre 1984 et 1992 .

L’indice de la liberté économique, publié chaque année par la Heritage Foundation et qui concerne entre autres la place de l’Etat dans l’économie, la stabilité monétaire, la qualité du droit de propriété et la liberté des échanges extérieurs, est supérieur dans les pays africains de type parlementaire, qu’il s’agisse de ces deux pays, de l’Afrique du Sud ou du Botswana.

Jean Philippe Feldman

Agrégé des facultés de droit, Jean-Philippe FELDMAN est professeur des Universités
en France, et maître de conférences à SciencesPo (Paris). Il est également avocat à
la Cour de Paris (Cabinet Feldman).

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