PÉRIPÉTIES DE LA RÉCONCILIATION ET PRÉMICES DE L’UNITÉ NATIONALE A L’ORÉE DE L’INDÉPENDANCE DANS LE DÉPARTEMENT DU NIARI

 Dans la tourmente des émeutes de 1959, consécutives à la contestation de l’investiture de l’Abbé Fulbert Youlou, en qualité de premier ministre Chef du gouvernement provisoire, au lendemain de la proclamation de la République du Congo survenue le 28 Novembre 1958 à Pointe-Noire ;  la ville de Dolisie a été le théâtre d’affrontements fratricides entre les communautés Bakuni et Balumbu respectivement rangées derrière leurs principaux représentants dans la sphère politique de l’époque. A savoir : Simon-Pierre Kikhounga-Ngot du Mouvement Socialiste Africain (MSA) de Jacques Opangault et, Victor-Justin Sathoud de l’Union Démocratique pour la Défense des Intérêts Africains (UDDIA-RDA) de l’Abbé Fulbert Youlou, qui avaient amorcé, à l’origine, leur carrière politique ensemble, sous la bannière du Parti Progressiste Congolais (PPC) créée par le député Jean Félix-Tchicaya, alors premier parlementaire du Moyen-Congo et du Gabon à l’Assemblée Nationale Française.

En dépit des rivalités légendaires qui surgiront par la suite entre les deux grands leaders politiques historiques du Niari à l’époque. Force est de constater, avec le recul du temps,  que ces derniers finiront par surmonter leurs egos dans un sursaut patriotique, pour emmener les différentes composantes de leurs communautés voisines à la réconciliation, au point de jeter les bases de l’unité nationale, qui mérite bien d’être perpétuée et consolidée par les générations actuelles et futures, pour l’intérêt supérieur de la nation.

Poignée de main historique Youlou/Opangault et premier gouvernement d’union nationale sur fond de la carte géographique et du drapeau de la République du Congo.

Par devoir de mémoire pour la postérité, nous reprenons à la suite un article riche d’enseignement extrait de l’hebdomadaire « l’Homme Nouveau/Kongo ya Sika N°40 du 6 Novembre 1960, rapportant à l’époque le plaidoyer du ministre Victor-Justin Sathoud en faveur de la libération de Simon-Pierre Kikhounga-Ngot, suite à son incarcération, au motif d’« incitation à la violence et trouble à l’ordre public ».

Partisan de l’Unité du Congo, le Ministre Sathoud demande la libération de M. Kikhounga-Ngot son frère du Niari

Le Conseil des Ministres a fait acte de cette interview que M. le Président de la République examinera avec le maximum de bienveillance.

Au cours du Conseil des Ministres qui s’est tenu mercredi en fin de soirée, M. Victor Sathoud a prononcé un discours d’une haute portée politique. Il nous a semblé intéressant de publier intégralement cette intervention qui doit nous permettre de renforcer l’union de tous les Congolais du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest.

« Monsieur le Président, mes chers Collègues,

Je me suis permis de vous demander, M. le Président, l’autorisation d’intervenir dès le début de notre réunion, cette intervention est, pour le moment, toute personnelle. Elle intéresse la région électorale qui m’a élu et les diverses ethnies que je représente. Elle intéresse le Niari, mais aussi la concorde dans l’ensemble de notre jeune République.

Un des leaders politique de notre pays, M. Kikhounga-Ngot, vice-président  du M.S.A., était arrêté et inculpé dans le cadre d’une opération de protection générale de notre jeune Etat, en compagnie d’une vingtaine de dirigeants ou conseillers techniques de l’Union de la Jeunesse Congolaise. La République craignait, à juste titre, je pense, à ce moment-là, des troubles intérieurs qui auraient pu éclatés à la fois à Léopoldville et à Brazzaville, et plus généralement sur l’ensemble des deux territoires.

M. Kikhounga-Ngot est non seulement un homme du pays que je représente, mais surtout un frère personnel. Il a été un opposant ferme et obstiné, mais si certaines exhortations ont pu l’entraîner  à des imprudences, je ne crois pas qu’il soit un instrument véritable  de la subversion. Depuis quelques mois, l’unité nationale du Congo s’est affermie, notamment sur le plan ministériel, donc sur le plan de l’exécutif. Unis, nous sommes plus forts, et je pense quant à moi que certaines mesures de clémences peuvent être envisagées, sans danger pour l’ordre et la sécurité de la Nation.

Nous n’avons pas, certes à nous immiscer dans le judiciaire. La justice est saisie, et reste maîtresse de ses décisions. Pour ma part, je veux considérer devant vous l’intérêt politique du cas Kikhounga-Ngot.

La première génération des leaders politiques de l’histoire du Congo-Indépendant : Jacques Opangault (MSA), l’Abbé Fulbert Youlou  et Stéphane Tchitchelle (UDDIA-RDA) fumant le calumet de la paix, l’unité et la réconciliation nationale ; en compagnie de Victor-Justin Sathoud, au stade Félix Eboue de Brazzaville, après les hostilités de 1959. 

Cérémonie de réconciliation des deux principaux leaders politique historique du Niari : Simon Pierre Kikhounga-Ngot et Victor-Justin Sathoud au Cercle Culturel de Dolisie, sous les auspices de l’Abbé Fulbert Youlou ; en présence de nombreux témoins, parmi lesquels figurent au premier plan les chefs coutumiers des différentes communautés peuplant la ville de Dolisie à l’époque en 1961, à savoir : Mathusalem Pioyila (Balumbu), Gabriel Mboukou Ngoyi (Bakuni), Donatien Matsimba (Lari), Tsila (Bambamba), Doumba (Bandassa), Albert Lissouba (Bandzabi et Batsangui), etc…

 

Le Niari est un carrefour de nos ethnies et de nos opinions. C’est un pays qui, par ses richesses naturelles, veut se maintenir dans l’ordre, mais dont l’équilibre est souvent menacé par les manœuvres  de certaines gens qui se servent des fils du Niari comme des outils, en les opposant les uns aux autres – au détriment des intérêts bien compris de cette région du Niari – tant il vrai qu’il faut diviser pour régner.

C’est pour cela que, sans préjuger des décisions de la justice, je crois qu’il serait opportun, M. le Président, d’envisager politiquement une mesure de mise en liberté provisoire de M. Kikhounga-Ngot, dans l’intérêt de la paix des cœurs et de l’ordre intérieur. Je pense que les autorités judiciaires, maîtresses en leur domaine, ne s’opposeront pas à cette mesure dans l’état actuel du dossier.

Monsieur le Président, mes chers Collègues, tous les fils du Niari ont pris conscience de la situation que j’ai évoquée plus haut, et sont décidés de faire le sacrifice de leur amour-propre, de leur orgueil d’homme- si légitime qu’il soit – pour oublier le passé et s’unir fraternellement, afin de travailler ensemble pour l’émancipation économique et sociale de leur région et de toute la Nation congolaise. Aussi, sui-je persuadé que M. Kikhounga-Ngot, conscient de la gravité des problèmes politiques de l’heure, est prêt à collaborer loyalement au renforcement et à la pérennité de l’union nationale du Congo. C’est là le point de vue politique de cette opération. Voila ce que je voulais vous dire, tenant compte, du moins je le crois, à la fois de l’intérêt de ma région, de l’intérêt national et de notre désir commun de mettre tout en œuvre, pour que l’unité la plus large possible règne dans la Nation.

Pour terminer, je profite de cette intervention, Monsieur le Président, pour vous remercier au nom de tous mes mandants et en mon nom personnel, de la mesure que vous avez bien voulu prendre, sur ma demande, en faveur des détenus politiques de Kibangou, qui viennent d’être libérés.

Ainsi que nous avons pu le constater tous, le calme règne dans cette région depuis leur libération. C’est dire, une fois de plus, Monsieur le Président, que votre esprit de charité et de concorde nationales à réussi, et je crois que nous pouvons escompter le même résultat de la mesure que je vous demande en faveur de M. Kikhounga-Ngot ».

1961 : Arrivée de Simon-Pierre Kikhounga Ngot et Victor-Justin Sathoud, accompagnés de Isaac Ibouanga, Ango Raymond (Oncle de l’actuel maire de Dolisie), Mouanda Marcel (Père de l’actuel Président du Conseil Départemental du Niari), Mavioka Hilaire, Teckesse Pierre et autres parlementaires du Niari.  à l’aéroport de Dolisie

Après sa libération, M. Kikhounga-Ngot, accompagné des Ministres Victor Sathoud, Isaac Ibouanga, et autres parlementaires du Niari s’étaient rendus dans leur contrée d’origine, pour une croisade de réconciliation et d’union qui les conduira successivement à Dolisie, Kibangou, Mossendjo, Divenié et Makabana, etc… où ils seront acclamés, ovationnés et encouragés par la population en liesse, pour leur engagement sans faille en faveur de la paix et de l’unité. A leur retour dans la capitale Brazzaville, ils participeront ensemble à la grande réception donnée au Palais en l’honneur de la Conférence des Premiers Ministres.

Victor Justin SATHOUD entouré des ministres Isaac Ibouanga et Simon Pierre Kikhounga Ngot, dans les couloirs du palais présidentiel.

Wilfrid SATHOUD

NDLR : Cette requête initiée par le ministre Sathoud avec l’assentiment de la quasi-totalité des membres du gouvernement de la République du Congo de l’époque réunis ce jour et de sa famille politique, recevra l’avis favorable du Président Fulbert Youlou. Elle donnera bientôt lieu à la promulgation d’une loi d’amnistie en faveur du détenu politique Simon-Pierre Kikhounga-Ngot. Il intégrera par la suite le gouvernement de large union nationale dans lequel son parti, le Mouvement Socialiste Africain (MSA) était déjà représenté au plus haut niveau par Jacques Opangault  assumant les fonctions de Vice-président de la République, Apollinaire Bazinga nommé ministre de l’information, porte parole du gouvernement et, Faustin Okomba, Ministre du Travail et de la Prévoyance Sociale.

Diffusé le 06 juillet 2012 , par www.congo-liberty.org

 

Ce contenu a été publié dans Les articles. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire