NOS JEUNES ANNẺES : SOUVENIRS DE SAPE , Par l’écrivain Dina Mahoungou

Je dois quelques mots d’explication à nos lecteurs potentiels qui risqueraient de perdre le fil de ces notes rassemblées, mais écrites à des époques différentes.

Des textes sur trois décennies peut-être, traitant de divers sujets allant de la littérature en général et de la mode en particulier. J’ai trop longtemps fait partie d’un club de curieux dont le plaisir était de se montrer à son avantage et de donner le bon ton.

Depuis longtemps déjà, je commence à analyser le phénomène des sapeurs, du moins je m’y essaie.

Au cours de ces conversations libres avec le lecteur, je parlerai bien volontiers de nos devanciers du Congo-Brazzaville dans les années 73, au Pigall’s avec les Sinza Kotoko, à Macédo bar avec les Bantous de la capitale. D’innombrables réunions de jeunes premiers s’organisaient à la barrière en plein centre de Bacongo chez Faignon en plein Moungali et chez Nono bar. Je parlerai aussi de ces étudiants installés à la MEC (Maison des étudiants congolais) au 20, rue Béranger à Paris 3ème, de ces esprits charmants, primesautiers et francs tireurs qui nous ont mis le pied à l’étrier, les Siassa Maverick et Moungounka Josephat pour ne pas les citer.

Tout au long de ma collaboration avec « Le Troubadour », journal satirique congolais, je vous livrerai les clefs conventionnelles qui ont assuré la visibilité de cette société des ambianceurs et des personnes élégantes, un club plutôt chic qui avait tout l’air d’un concordat avec ses manies, ses humeurs et ses frasques.

Ah ! la jeunesse ! Ces jeunes garçons et ces jeunes filles avaient de la nonchalance et de l’endurance. Dans de belles réceptions privées à la Porte Maillot au Palais des Congrès de Paris, notre ami Samba Anicet Médard s’était marié avec la fille d’un ponte Zaïrois.

L’on revoit ce goût de la fête, l’élégance des lieux et le panache des vedettes confirmées sur l’estrade : Kallé Jeff, Rochereau, de beaux souvenirs qui résistent à l’usure du temps.

Y étaient présents tous nos amis de ces années d’enfadolescence : Nono N’gando, Durand Marcel, N’Kouélani Color, Djans Mamara. Ceux des nôtres qui furent les porte-parole majeurs de ce mouvement étaient aussi présents : De Kodia François Salomon, Ya Sissi Siassia, Loni Tcherdo, Goma le Môme, Dad Goum Tandou, Tari Calafar.

Les jeunes futés étaient habillés smart : un pull en geelong de chez Old England assorti d’une chaussure de chez Berluti, porté par Jean Marc Alloni.

Les endroits de fête, d’exhibition furent un creuset de sociabilité et un lieu d’exercice de la citoyenneté, bien entendu cela supposait un partage de valeurs communes.

L’habit, la pose, la frime, le panache sont des systèmes de valeurs qui ont servi à construire le sens de l’expérience personnelle d’une part, et d’autre part cette forme de communauté a fondé les processus d’appartenance et de reconnaissance.

Alain Touraine, en parlant du bonheur a écrit, je cite : cette « exigence privée pour tous ». A notre avantage nous accolerons cette formule à la S.A.P.E.

Etre habillé, le crier, le savourer et même le jurer est devenu un serment, une sorte d’engagement rituel devant la confrérie. Avec l’âge, tous ces protagonistes qui ont maintenant entre 55 et 75 ans regardent tout ce beau passé qui s’éloigne.

A l’imaginaire du spectateur, je revois les délires du Palace, un endroit merveilleux sur le grand boulevard. C’était un lieu de vie agité et conflictuel, les défis étaient nombreux et perduraient jusqu’au petit matin. Quand j’y pense, de purs moments de magie, nous avions 20 ans, les plus âgés 35 ans au plus.

C’était une équipe assidue, presque toujours les mêmes : Papa Wemba, Djo Balard, Jacques Moulélé, Jean-Marc Alloni, Durand Marcel, Frikoum, l’enfant Mister Loubaki, Martin Koloko, le grand muro, Blanchard N’Zenza, amateur kolelas, agoumarey, zozo mohoua, Nyokas Patrick Zalamo, N’kodia anto, Bouk banjo, Abel Massamba. Allureux Miéla, avec sa démarche chaloupée, défilait avec brio, son expressionnisme décomplexé qu’aurait adoré un réalisateur du néoréalisme italien.

Tous les week-ends au Keur Samba, au Bataclan, au Titan club, au Tango, Paris valait bien sûr une fête. Les dames et les jolies mômes s’habillaient en chic graphique, Edith Yéyée, Zoé la Congolaise, Mère Malou la mère première. Incandescentes, elles promettaient de faire des étincelles.

Ya Mété, Maguy et la regrettée Honos tenaient un café non loin du château d’eau, dès 17 heures, toutes les places étaient prises, on y apprenait aussi l’art de vivre, on écoutait les doyens se raconter leurs souvenirs de la rue Blomet à Paris 15ème, leurs souvenirs des années 50. La jeunesse s’attablait autour des anciens : Edmond Tari Calafar, le doyen Bongo Nouara, vieux Kadjian, le grand Dobrin, Goma le môme, Tonton Elouma.

Et le va et vient de ces cracks qui découvraient le monde : éphèbes joliment musclés, plaquettes de chocolat charmaient de jeunes déesses au rythme des déambulations dans le café. Toutes choses étant égales, par ailleurs. Cette fraternité valait son pesant d’or. Les clubs étaient pris d’une boulimie d’effluves, les gens se parfumaient avec des fragrances rares, de singuliers suppléments d’âme pour les sapeurs.

A Saint-Ouen, il y a la légendaire Mère Véro avec son conseiller artistique Scarmania Machocho. Le tout Paris des négropolitains y a défilé, des années 80 jusqu’à nos jours. Le fantasque Massengo fonctionnaire y tenait son quartier général. Tous ces dandys habillés avec un grain de fantaisie : Sita Destin, Massengo Joseito, Djans Mamara, Serge Biza, Léandre Malonga, Papo Naphtal, Massamba gondi, N’Kounka Brizzard, Jack Tabazo, Alain N’Dinga, Nono, Nick moon.

Paris 18ème  du côté Clignancourt downtown jusqu’au Château Rouge est un concept en soi. Des traîne-tard de chez Taty, une culture bohème. Ceux qui portent des modèles faits sur mesure et brodés à la main, de Fiesta Makambo à Jean Bakoukas, le chanteur congolais Fernand Mabala, des férus de chez Gianni Versace, ces élégants se réclament de l’écurie du chanteur zaïrois Emeneya et du Congolais Aurlus Mabélé.

Ceux de Marcadet-Poissonniers vivent à tout va, à 100 à l’heure, un mélange de classe hautaine et de liberté dure à conquérir.

Au métro Barbès, dans les caves, on picole, on danse la Roumba et le Mambo tous les soirs. Des nanas ultrachics dans ce milieu oiseux, subversives et frondeuses, de jolies déesses satisfaites d’elles-mêmes : Dallas N’dalla, Moutouari jolibilité, Huguette Madéka de Londres. Tard à Château Rouge, la vie c’est du cinéma.

Aujourd’hui, on s’habille plus cool, le jean se réinvente, on joue sur les pastels sixties, dans les soirées chics, les filles portent des chaussures Christian Louboutin à hauts talons, un débardeur en maille résille en coton et patch dentelle sur un jean slim en denim strech à poches cloutées.

Il est sûr qu’au fil des pages de l’histoire de la Sape, les mentalités ont beaucoup changé.

Encadrée par les pages de publicité des grands magazines de la mode, la fantaisie parait être le tribut à payer pour être dans le vent.

N’en étant pas moins cérébraux, les nouveaux sapeurs négocient avec la culture du moment : Chino – Blazer, chaussures derby à lacets, polo Hackett, c’est le look du nouveau branché, le look tendance.

L’extension progressive du bon goût se joue au quotidien. Demeurer classique, fermé et rigide, ferait preuve d’une formidable étroitesse de vue.

La littérature et la mode dans mes écrits se confondent et du reste, la prose s’en ressent et j’ai mis du temps à savoir que l’histoire de la sape est un matériau formidable pour les mœurs de notre temps, depuis le Congo Brazza pays natal dans les années 70 jusque dans la diaspora des années 2012 à Paname.

L’on connait à travers Tacite ou Juvenal la vie des Césars aussi bien que celle de la cour de Louis XIV à travers les mémoires du Duc de Saint-Simon. Nous autres acteurs de Sape, nous occuperons à jamais les lieux de sa mémoire.

La Sape : un phénomène incommensurable, la transmission de la tradition tient à la tradition de la transmission.

Dina Mahoungou – Ecrivain-journaliste free-lance –

Le 3 août 2012

Derniers ouvrages parus :

« Les parodies du bonheur » recueil de nouvelles, aux Editions Bénévent. (amazon.fr). 13 euros

« Agonies en Françafrique » roman, aux Editions l’Harmattan dans la collection Ecrire l’Afrique.(FNAC, amazon.fr) 26 euros

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5 réponses à NOS JEUNES ANNẺES : SOUVENIRS DE SAPE , Par l’écrivain Dina Mahoungou

  1. Je l’ai lu avec autant d’engouement. Faut souligner que cela constitue une forte valeur ajoutée de nos mœurs. Comme quoi la sape devrait aller de pair avec l’érudition car celle ci émane du goût de la chose bien faite, du savoir vivre etc… Vive la sape et ses acteurs

  2. Mvouika roger dit :

    cher grand-frère, nul que toi ne pouvait conter avec autant d’élégance et brio l’histoire de la sape,tu es vraiment du terroir…

  3. Jack Ilunga dit :

    Je viens de lire émerveillé par l’art de la narration si bien maîtrisé, le récit du souvenir de la vie à panam et la sape. Pour relayer cette philosophie du goût du bien être à la congolaises (les 2 congo), je reprendrais, avec votre autorisation, l’ intégralite du récit dans le prochain numéro de mon magazine.

  4. Jacobson EKEMBE dit :

    Tu n’as pas consulté les vrais gentleman play-boy de l’histoire du milieu mawa trop.
    Signé Noko-Sona Ekembé Gps l’Immortel.

  5. Anonyme dit :

    Bonjour, moi je crois que cet écrivain n ‘ a pas connu tous les sapeurs du Congo , il n ‘ a cité que ses connaissances et amis intimes , moi Gianni topa , je fais partie de ceux qui ont marqué la jeunesse congolaise même de nos jours , je suis à mafouta , mais en ces années (1970) j ‘ ai marqué Brazzaville (cabane ,bouya, Macedo ,jour de Brazzaville ,à la foire , bel air et j’ en passe

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