Louezie , la fille-soldat ou les dirigeants africains cloués au pilori

Encore un autre récit sur le sociopolitique des soubresauts de la démocratie pluraliste en Afrique. Louezie, la fille-soldat, un roman dont les aventures de l’héroïne pourraient rappeler certains pays de l’Afrique centrale en mouvement vers la démocratie pluraliste avec ses guerres fratricides.

 

Nous sommes en République du Centre où vient de se dérouler la présidentielle à l’issu de laquelle le président Bassou a été déclaré vainqueur face aux candidats Moustapha et Sambi. Festivité à la dimension de l’événement du côté de l’élu et amertume et frustration chez les vaincus. La République du Centre commence à vivre le désenchantement de la démocratie pluraliste quand une grande partie des Centristes conteste la victoire de Bassou. Mécontentement et grogne dans les états-majors politiques qui aboutissent à une crise que les acteurs politiques n’arrivent pas à endiguer, laissant la place au régionalisme de  se manifester dans le pays. Se crée dans la République du Centre l’opposition territoriale nord-sud qui provoque une guerre civile entrainant sur le terrain des affrontements entre les milices des trois principaux leaders politiques : Moustapha, ancien chef de l’état qui vient de reprendre le pouvoir par la force des armes, Bassou, président éphémère de la République du Centre et Sambi qui n’est pas trop engagé dans la guerre mais qui est plus proche de Bassou et qui dirige ses miliciens à partir de l’exil.  Au cours de cette guerre civile apparait la jeune adolescente Louezie bouleversée par l’assassinat odieux de son père ainsi que le viol de sa mère par les miliciens de sa propre région. Elle intègre le groupe du colonel Puma qui va la former en matière de combat pour venger ses parents. Elle devient par la suite l’héroïne de la guerre de la République du Centre Aussi apparait-elle comme l’élément primordial de la victoire sur le président Moustapha qui va finalement négocier avec les autres pour le rétablissement de la paix dans le pays.

 

Moustapha : une image du politique africain

 

Il est le prototype de certains dirigeants africains qui n’acceptent pas l’alternance au pouvoir. Battu à l’élection présidentielle par Bassou, il manifeste son hypocrisie vis-à-vis de ce dernier : « Mais en bon perdant, Moustapha, le malheureux candidat félicita courageusement et avec honneur l’heureux élu » (p.15). Son comportement laisse à désirer car il profite du mécontentement d’une grande partie de la population centriste contre la victoire de Bassou pour reprendre le pouvoir par la force des armes. Et cette tentative de coup d’état entraine le pays dans une guerre civile atroce. Ses miliciens lourdement armés écument les régions du sud, bastion de Bassou et Sambi. Avec ses hélicoptères,  Moustapha bombarde les villages « ennemis » dont les populations sont obligées de trouver refuge dans les forêts environnantes. Pendant cette guerre tribalo-régionaliste, Moustapha va se révéler comme un politique cruel qui rappelle certains dirigeants du continent prêts à tuer leurs propres populations pour le pouvoir : « Le président Moustapha (…) suivait méticuleusement l’évolution de ces bombardements. (…) Ces milliers de cadavres qui jonchaient les cours des villages (…) constituaient d’importantes preuves des crimes contre l’humanité ou de génocides » (p.17). Mais il sera vaincu à la fin quand Louezie, originaire de la région de Sambi va s’intéresser au métier des armes suite à l’assassinat de son père et au viol de sa mère.

 

Louezie, l’héroïne de la guerre civile  en République du Centre

 

Louezie, une fille qui rappelle le courage des femmes du royaume Kongo, une Kimpa Vita, une Mama Ngunga. Son courage est manifeste au cours de cette guerre contre les éléments de Moustapha. Simple soldat quand elle intègre le groupe du colonel Puma, elle devient lieutenante-colonelle quand le pays retrouve la paix après la débâcle du président Moustapha. Le véritable personnage de Louezie naît quand, encore adolescente, elle se confronte à la réalité de la guerre, plus particulièrement à ses atrocités dont ses parents seront victimes comme le lui signifie sa mère : « Ils m’ont violée devant ton père à qui ils ont tranché le cou après leur forfait » (p.24). Elle tient à tout prix de venger ses parents maltraités cruellement et paradoxalement par les miliciens du président Sambi qui devraient en principe les protéger. En République du Centre, le président Moustapha, n’arrive pas à maitriser la situation malgré son coup d’état et l’abdication de Bassou qui a demandé à ses miliciens de déposer les armes. Seuls les éléments de Sambi continuent à se battre. Beaucoup d’exactions dans la région de Louezie qui va décider de devenir une fille-soldat parmi les éléments du colonel Puma. Ce dernier sera son instructeur après avoir admiré son courage : « Louezie avait pris une décision irrévocable, devenir une fille-soldat. Elle espérait obtenir une bonne formation auprès du colonel Puma (…). Son rêve : (…) régler le sort à ceux qui avaient tué atrocement son père et violé bestialement sa mère » (p.27). Le carnage dans les villages ainsi que les atrocités infligées à ses parents, un point noir dans la conscience de l’héroïne. Par son courage, sa bravoure, son intrépidité et son sens de l’organisation dans la stratégie militaire, Louezie est agréablement admirée par son chef, le colonel Puma. De ses propres mains, elle  arrive, comme elle le souhaitait, de tuer les assassins et violeurs de ses parents. Aussi son sexe sera l’arme fatale pour  ces derniers comme on peut le remarquer dans cette scène qui sera répétitif pour les quatre malheureux miliciens : « Yankée qui avait déjà sa verge en érection n’attendit pas qu’on le lui demanda. Il se déshabilla (…) et Louezie l’accueillit, lui offrant totalement son Vénus. (…) Du côté de son anus, elle saisit les deux amandes de Yankée qui pendaient et les lui broya sans pitié » (p.64). Grâce à elle, les hélicoptères bombardiers ainsi que les fantassins de Moustapha seront mis hors d’état de nuire.  Devant le fait accompli, le président Moustapha est obligé de négocier avec le président Sambi pour relancer la République du Centre. Fille-soldat devenue ensuite lieutenante-colonelle, Louezi imprime sa personnalité dans cette négociation : « Mustapha apparait plus raisonnable (…). Mieux encore nous allons négocier en position de force » (p.97). Ainsi, les Centristes retrouvent l’unité à travers une conférence nationale, à l’issu de laquelle Louezie sera nommée « chef militaire de la quatrième région de la République du Centre qui [est] aussi le bastion du président Sambi » (p.104).

 

La victoire de Boussou et Sambi sur Moustapha

 

Devant le coup d’état du président Moustapha, les deux autres leaders politiques, Boussou et Sambi sont obligés de se défendre. Dans cette guerre, les miliciens de tous les bords sont en compétition : les Condors du PTD (Parti pour le travail et le développement) de Moustapha, les Anacondas de Bassou soutenu par le PDLC (Parti pour la démocratie et les libertés des citoyens) et les Najas, gérés par Sambi, chef du MLCN (Mouvement pour la liberté et la concorde nationale). Même quand Bassou demande à ses éléments de déposer les armes, Moustapha ne peut prendre le dessus sur les Najas, avec le groupe de Louezie, qui continuent à se battre. Il se voit acculé quand il perd ses hélicoptères bombardiers abattus par Louezie et ses éléments. Aussi, est-il obligé de capituler quand ses fantassins tombent dans le piège de la capitaine Louezie : « Les Condors (…) continuaient de tomber comme des fruits mûrs » (p.84). Humilié, Le sulfureux Moustapha est obligé de décréter une conférence nationale pour l’unité du pays car voulant « faire de République du Centre un pays émergent dans les vingt ans à venir » (p.103).

 

Du romanesque au langage cinématographique

 

Le récit de Louezie, la fille-soldat pourrait se lire comme un scénario à l’instar du cinquième roman d’Emmanuel Dongala, Jhonny Chien méchant qui a produit le film « Jhonny Mad Dog ». Et l’héroïne de ce film serait indubitablement la jeune Louezie. Ce langage cinématographique pourrait être traduit par la concision des paragraphes brefs du texte qui s’enchainent en respectant l’aiguillage temporelle (pause, ellipse narrative) et qui font penser aux différents plans de focalisation du septième Le narrateur extradiégétique apparait comme un cameraman qui fait défiler une suite d’images. Celui-ci le fait tantôt en gros plan avec effet de zoom quand le récit s’attarde par exemple sur les portraits des personnages (Louezie, le colonel Puma…), tantôt en plan d’ensemble quand il décrit de loin le déroulement d’une action (la destruction des hélicoptères de Moustapha en plein vol par Louezie et ses éléments).

Noël Kodia-Ramata

 

  • Willy Gom, Louezie, la fille-soldat, éd. L’Harmattan, Paris, 2016, 104p.
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2 réponses à Louezie , la fille-soldat ou les dirigeants africains cloués au pilori

  1. prince matoko dit :

    Bonne analyse d’un critique avéré

  2. TATA NDWENGA dit :

    Merci beaucoup grand frère pour ton analyse de ce roman qui, dans une certaine mesure est vraiment d’actualité.

    Grand frère, je t’exhorte à créer une structure dont bien évidemment tu assureras la direction pour venir en aide aux jeunes auteurs qui ont besoin d’aide et de soutien sur un sentier qui n’est pas toujours facile.

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