L’ILLÉGALITÉ DU DÉCRET PRÉSIDENTIEL N° 2020-93 DU 30 MARS 2020 INSTITUANT L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE AU CONGO

Par Rocil MATINGOU

Est-ce de l’intox ou de l’amateurisme qui collent au décret présidentiel n°2020-93 du 30 mars 2020 pris par Denis Sassou Nguesso pour instituer l’état d’urgence sanitaire en République du Congo ? Avec les réseaux sociaux tout va plus vite que la musique à tel point que de nombreux et récents textes réglementaires congolais suscitent ci et là des commentaires (fondés ou simplement vexatoires ou encore purement déplacés voire démagogiques). C’est le style de rédaction du décret qui interpelle avant tout car, sans se référer à la presse internationale, cette décision présidentielle reste dénuée de tout sens. Celle-ci apparaît comme un acte sorti de nulle part et pour une situation anodine sans importance pour le peuple congolais qui doit aveuglement obéir à la volonté du principe. Autant peut-on concevoir que tout texte et opinion soient par nature critiquables, mais le décret n° 2020-93 offre un spectacle sans commune mesure d’une décision à prendre en haut lieu du pouvoir : une forme chaotique et un contenu à imaginer.

Sous réserve de l’authenticité des documents que je soumets à votre lecture en annexe de cette analyse, il y a lieu de s’interroger sur la validité des actes réglementaires pris au Congo pour gérer la crise du coronavirus “Covid-19″[1]. En effet, le décret n° 2020-93 du 30 mars 2020 donne le caractère d’un acte pris à la va-vite de par son côté très elliptique car, non seulement il fait référence à la Constitution (que l’on suppose être celle de 25/10/2015 en vigueur au Congo), mais surtout il ne vise aucun article précis de ladite constitution. Tournis et/ou empressement de son auteur ont-ils conduit à de tels oublis juridiques ?

Bref rappel sur le contexte de la crise du coronavirus

La grippe constatée en Chine en fin d’année 2019 s’est répandue comme une traînée de poudre dans les pays asiatiques et occidentaux. Fait dont les médias se sont emparés pour matraquer la conscience collective à tel point que le coronavirus (spécifié sous le nom de Covid-19) est devenu à la fois le sujet préoccupant de la communauté internationale et la terreur du citoyen lambda.

Les pays fortement touchés par l’épidémie ont pris de différentes mesures pour gérer cette calamité. L’Afrique, continent semble-t-il à faible incidence par rapport à l’évolution et à la propagation du virus, se trouve prise dans l’étau des attitudes disparates des pays développés qui s’aperçoivent, en mars 2020, de mal gérer la pandémie (les termes médicaux ont aussi évolué avec l’ampleur médiatique de l’événement). De nombreux pays africains optent pour le principe de prévention prôné par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à la suite des errements constatés notamment en Europe. Les cas de pathologies signalés par ces pays africains demeurent très insignifiants tant en terme de pourcentage de populations qu’en terme d’impact vital sur celles-ci. Pourtant plusieurs de ces pays épousent exagérément des expressions utilisées par la France comme si ce devrait être des slogans susceptibles de leur permettre de rattraper l’estime des populations habituellement négligées en terme de santé publique.

L’Afrique connaît ses pandémies chroniques qui ne trouvent jamais de mesures politiques d’accompagnement et, curieusement, avec des expressions sitôt claironnées par le Président français Emmanuel Macron, il se produit un effet boule de neige ayant tendance à asphyxier davantage le quotidien des pauvres populations africaines.

Au Congo, l’ampleur de la crise du coronavirus a suivi les vicissitudes de la situation en France. Il convient de préciser qu’après la mise en quarantaine des passagers aux frontières et les démonstrations spectaculaires sur les mesures de prévention, du jour au lendemain mais sans réelle surprise, le

confinement décrété en France à compter du 16 mars 2020 conduit les autorités congolaises à imposer aussi un état d’urgence sanitaire sur l’étendue du territoire national.

Pur hasard ou mimétisme politique ? C’est dans ce contexte où l’on a très peu entendu les scientifiques congolais que survient le confinement à la congolaise et le couvre-feu auxquels finiront par se résigner, probablement à coup de matraques, les irréductibles têtues de la population congolaise. Il est donc temps de confirmer que la situation politico-juridique que connaît aujourd’hui le Congo est illégale.

Les insuffisances du décret n° 2020-93 du 30 mars 2020 par rapport à la Constitution du 25 octobre 2015

La Constitution congolaise du 25 octobre 2015 entrée en vigueur le 6 novembre 2015 compte au total deux-cent-quarante-six articles parmi lesquelles deux seulement prévoient les conditions dans lesquelles le Président de la République peut faire usage des prérogatives spéciales pour protéger, de sa propre initiative, le Congo et sa population. Lequel des articles 93 et 157 s’est-il prévalu pour imposer, à compter du 31 mars 2020, au peuple congolais ce régime de crise, attentatoire aux libertés publiques ?

En s’abstenant de préciser l’article constitutionnel fondant le décret n° 2020-93, serait-il insolent de croire que le Président de la République ait recouru aux dispositions de l’article 93 de la constitution ainsi rédigé :

“Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées de manière grave et imminente et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation du Premier Ministre et des Présidents des deux chambres du Parlement. Il en informe la nation par un message.

“Le Parlement se réunit de plein droit en session extraordinaire.

“Le Parlement fixe le délai au-delà duquel le Président de la République ne peut plus prendre des mesures exceptionnelles”.

Sans esprit polémique ou interprétation hasardeuse, la rédaction de l’article 2 du décret n° 2020-93 prête le flanc à une analyse martiale (voire fantaisiste) de la mission exceptionnelle confiée au gouvernement. En effet, le terme “riposte” qui y apparaît pourrait faire croire à une attaque inattendue en face de laquelle l’opportunité et les grands moyens nécessitent un effectif déploiement. Mais hélas, l’article 93 de la constitution doit plutôt être interprété et applicable pour des circonstances où un conflit armé menacerait la nation congolaise. Le Covid-19 ne peut pas être assimilé à un bataillon militaire envahissant le Congo. Il s’agit sinon d’une exagération du moins d’une immaturité intellectuelle du rédacteur de l’acte présidentiel. La référence à la Constitution dans le décret critiqué ne s’adapte donc pas au contexte de la crise du coronavirus et permet de déduire que le juge administratif congolais n’osera point de fonder une décision favorable à toute autre prétention à partir de cette disposition constitutionnelle. De cette analyse, il convient d’écarter le recours à l’article 93 de la Constitution pour critiquer le décret portant sur l’état d’urgence au Congo dès le 31 mars 2020.

Au titre du recours aux dispositions de la Constitution, il resterait l’allusion à l’article 157 qui s’accommoderait au contexte du tohubohu orchestré politiquement pour déstabiliser la société congolaise. En effet, le contexte particulier du Congo, qui n’a pas été décrit aux juristes que nous sommes (sans doute par précipitation en vue d’émerveiller l’opinion internationale), fait penser à la mention “vingt jours” portée dans l’article premier du décret du 30 mars 2020. Ledit décret ne comporte que deux principaux articles dont l’article premier qui dispose : “l’état d’urgence sanitaire est déclaré, sur toute l’étendue du territoire national, pour une durée de vingt jours, à compter du 31 mars 2020″.

Il paraît donc clairement établi que Denis Sassou Nguesso ait pensé aux dispositions de l’article 157 de la Constitution pour prendre sa décision instituant l’état d’urgence sanitaire dans le pays. Toutefois, il aurait fallu la rigueur juridique qui consiste à préciser la source juridique de la prérogative usée car les modalités d’exercice de ladite prérogative ne sont pas les mêmes que celles prévues à l’article 93.

L’article 157 édicte ceci :

“L’état d’urgence comme l’état de siège est décrété par le Président de la République en Conseil des ministres. Le Parlement se réunit de plein droit.

“L’état d’urgence comme l’état de siège peut être proclamé sur tout ou partie de la République pour une durée qui ne peut excéder vingt (20) jours.

“Dans les deux cas, le Président de la République informe la Nation par un message.

“Le Parlement se réunit de plein droit, s’il n’est pas en session, pour, le cas échéant, autoriser la prorogation de l’état d’urgence ou de l’état de siège au delà de vingt (20) jours.

“Lorsque, à la suite de circonstances exceptionnelles, le Parlement ne peut siéger, le Président de

la République peut décider du maintien de l’état d’urgence ou de l’état de siège. Il en informe la Nation par un message.

“Une loi détermine les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence ou de l’état de siège”.

Non seulement que cette précision n’est pas portée dans le décret querellé, dans son message à la nation, le Président de la République crée encore la confusion en annonçant que l’état d’urgence est décrété pour une durée de trente jours. Serait-ce une entorse délibérément portée à l’article 157 ?

Dans la logique juridique, les autorités publiques doivent viser les dispositions légales sur lesquelles se fondent leurs actes. Or dans le décret instituant l’état d’urgence au Congo, ce type de manquement constitue une insuffisance de forme qui ne saurait échapper à la censure de la Cour suprême en cas de contentieux.

Défaut de base légale du décret n° 2020-93 du 30 mars 2020

Le seul visa du décret n° 2020-93 qui tendrait à faire croire à une éventuelle référence aux dispositions légales fussent-elles congolaises ou internationales serait le visa ainsi libellé “Vu la Constitution”. Hormis les critiques déjà formulées par rapport à la Constitution, il y a lieu de relever que le décret brille par une absence totale de recours aux textes légaux applicables au Congo. Le Président de la République ne peut pas prendre la décision de décréter l’état d’urgence dans le pays, acte d’une importante gravité, sans vouloir démontrer à ses concitoyens qu’il respecte lui-même les lois de la République. En effet, aucun Congolais ne se sentirait au-dessus des lois. Les rédacteurs du décret présidentiel n’ont probablement pas eu le temps d’aller chercher au parlement des textes de loi qui consacrent les mesures exceptionnelles à prendre en matière de santé publique. Ils avaient l’obligation de les citer pour prouver la légitimité et la légalité de l’acte publié au journal officiel. C’est le b.a. ba du droit administratif qui exige la conformité de la norme inférieure à la norme supérieure. Usant d’un pouvoir exceptionnel telle que la restriction des libertés fondamentales, il conviendrait que les actes pris soient conformes à la volonté du peuple exprimée à travers des textes législatifs.

En l’absence de texte législatif précis en matière de santé publique au Congo, il aurait fallu se référer à une loi susceptible de consacrer l’utilisation des mesures d’urgence ou exceptionnelles dans le pays. D’un point de vue simpliste, on peut également arguer que les rédacteurs de l’acte avaient aussi la possibilité de faire référence aux recommandations de l’OMS, car le Congo est membres de cette institution internationale. Le juge administratif a la faculté de substituer à une base légale faussement citée par un autre texte qu’il estime approprié. En se passant ainsi d’un recours express à la volonté souveraine du peuple, rien n’interdit de faire allusion à une sorte de pouvoir dictatorial ou bien à la survenance d’une république bananière.

L’absence de base légale dont souffre le décret en cause tend aussi faire penser que la décision politique d’instituer l’état d’urgence n’a pas été discutée au sein des structures spécialisées de l’Etat. Il paraît quand même curieux que le décret n’ait pas non plus, en cas de difficulté de viser un texte législatif précis, fait référence au texte législatif prévu à l’article 157 de la Constitution, texte qui serait l’émanation immédiate des travaux parlementaires issue de la session extraordinaire semble-t-il organisée à cet unique effet. Toujours est-il que dans son message à la nation, le Président de la République ne révèle pas l’existence d’une session extraordinaire antérieure ou concomitante à son décret sur l’état d’urgence sanitaire. Dans tous les cas, il reste constant qu’aucun texte réglementaire postérieur à la session extraordinaire du Parlement ne vise la loi qui en découle tel que le prévoit le dernier alinéa de l’article 157 de la constitution. Ce défaut de base légale rend la décision contestée irrégulière donc annulable.

Défaut de motivation du décret n° 2020-93 du 30 mars 2020

Le décret n° 2020-93 du 30 mars 2020 est ainsi et aisément rédigé :

“Décrète : Article premier : l’état d’urgence sanitaire est déclaré, sur toute l’étendue du territoire national, pour une durée de vingt jours, à compter du 31 mars 2020.

“Article 2 : Pendant la durée de la période de l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement prendra toutes les mesures exceptionnelles nécessaires à la riposte contre la pandémie de coronavirus “COVID-19″.

“Article 3 : Le présent décret sera enregistré et publié au Journal officiel de la République du Congo.”

Qu’est-ce qui peut justifier une telle spontanéité pour ne pas dire cette brutalité ? A la lecture de ce document, le peuple congolais et les grands savants du monde pourront épiloguer aussi longtemps (qu’ils le voudront) qu’ils auront du mal à expliquer à qui que ce soit les raisons qui ont conduit à la mise en place d’un régime privatif et restrictif de libertés au Congo. Ni le contexte de la crise ni les effets de celle-ci ne sont rapportés pour édifier sur la prise d’une mesure aussi rare et lourde de conséquences. Le peuple congolais obéit aveuglement aujourd’hui mais avec le temps et suffisamment du recul voudra comprendre la pertinence des arguments qui auraient provoqué un vrai débat de société.

Quant au juge de la Cour suprême à qui échoit le débat juridique, le caractère lacunaire et à la fois grave de l’acte critiqué devrait l’emmener à développer des syllogismes et des équations juridiques pour motiver un arrêt dans quel que sens que ce soit. Aucun acte des institutions congolaises ne peut faire fi de justification. La rédaction plus que critiquable et muette du décret en cause laisse entrevoir le succès du moyen tiré du défaut de motivation qui serait opposé à ce texte. Le rédacteur congolais devrait apprendre à devenir prolixe plutôt qu’à pratiquer l’art de la dérision dans l’écriture des actes administratifs.

Les effets collatéraux de l’illégalité du décret n° 2020-93 du 30 mars 2020

La conséquence de l’invalidation du décret n° 2020 du 30 mars 2020 est que tous les autres actes réglementaires pris pour son application ou ceux qui le viseraient simplement deviennent de jure invalides. Dans le contexte actuel, l’état d’urgence sanitaire décrété au Congo et les différents textes qui en découlent doivent être qualifiés d’illégaux surtout que certains ministères (par exemple celui du tourisme) préfèrent prendre des mesures d’application (en l’occurrence des réquisitions administratives) sur la base de simples notes de service en lieu et place des arrêtés. C’est ahurissant !

Il revient donc aux autorités publiques congolaises de rattraper immédiatement la situation en prenant de nouveaux actes justifiant et réglementant la mesure d’urgence nécessitée par l’éradication du coronavirus. Les congolais épris de justice ne tarderont pas de crier à une violation des droits fondamentaux de l’homme.

La Cour suprême devrait, à défaut de Congolais pour intenter une action, s’auto-saisir pour relever d’office ces multiples irrégularités et censurer le décret du n° 2020-93 et tous les autres textes réglementaires qui s’y fondent. En effet, ces derniers se réfèrent à un texte illégal.

Par ailleurs, les humbles serviteurs de l’Etat congolais devraient aussi faire preuve de sérieux dans les actes qu’ils posent. Il en va de la crédibilité du pays.

*Annexe 1 : Décret présidentiel n° 2020-93 du 30 mars 2020 déclarant l’état d’urgence au Congo

* Annexe 2 : Note de service n° 0812/MTE-CAB.20 en date du 31 mars 2020 prise par le Ministère du Tourisme et de l’Environnement

Rocil MATINGOU

Docteur en Droit

Avocat au Barreau de Paris

Diffusé le 06 avril 2020, par www.congo-liberty.org


[1] Cette prudence est simplement émise à cause des fake news qui circulent dans les réseaux sociaux qui m’ont rendu destinataire des documents critiqués. J’aurait bien voulu les avoir à partir des sites légaux.

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Une réponse à L’ILLÉGALITÉ DU DÉCRET PRÉSIDENTIEL N° 2020-93 DU 30 MARS 2020 INSTITUANT L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE AU CONGO

  1. EN ROUTE POUR LA TRANSITION dit :

    MESSAGE ADRESSÉ AUX DERNIERS INDIGNES ET ESCLAVES DU DICTATEUR SASSOU NGUESSO.
    «Ne participez plus à la cause de Sassou Nguesso qui a donné à l’enfer sur Terre et à la mort des autres plus d’importance qu’à la vie et au bonheur national brut (BNB). Vous êtes ici-bas pour pour vivre librement et dignement dans votre pays. Vous n’êtes pas née, ni en vie et encore moins là pour augmenter le capital-décès de Sassou Nguesso et son Produit intérieur brut (PIB) clanique ( la richesse de son clan) au détriment de vos libertés fondamentales, de votre dignité, du sens de l’intérêt général, de l’état congolais, du vivre ensemble et de l’idéal de l’unité nationale à défendre et à construire ensemble de génération en génération». https://www.youtube.com/watch?v=huSwPkZhuGo

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