L’ÉTAT DE DROIT A L’ÉPREUVE DE L’AFFAIRE GÉNÉRAL MOKOKO

David NTOYO-MASEMBO

La violation des  droits fondamentaux du général Mokoko constitue en soi une problématique suffisamment vaste pour relancer un débat sur le niveau de l’Etat de droit dans notre pays. En effet, des  thuriféraires du PCT se délectent souvent à multiplier  des déclarations sur la détention du général Mokoko avec une allusion machinale à la notion d’Etat de droit. L’usage abusif et démagogique de cette notion épistémologiquement capitale par des politiques sans personnalité frise tantôt des proportions révoltantes pour tout démocrate convaincu. Nul n’est besoin, à cet égard, d’être juriste, politologue ou sociologue pour constater l’impertinence d’un recours fallacieux à cette notion par des interlocuteurs pourtant académiquement instruits mais intellectuellement malhonnêtes ou politiquement corrompus par  la moralité perverse du régime PCT qu’ils ont délibérément choisi de servir. Une allusion spécifique est faite à des personnages illustratifs de notre paysage politique comme Patrick Dzion, président du PCT France, Thierry Moungalla, ministre de la communication, et Anatole Collinet-Makosso, le Premier des ministres en exercice.  

En 2016, dans Polititia, une émission télévisée sur Africa A, au micro du journaliste Richard Togbé, un débat contradictoire sur la notion d’Etat de droit est incidemment lancé entre feu Marc Mapingou, alors porte-parole de campagne du candidat Mokoko, et Patrick Dion, initialement invités à commenter l’inculpation du « général du peuple ». Interpelé sur la nature du procès en vue, Patrick Dion déclara : « Ce n’est pas un procès politique pour la simple raison que le Congo est un pays de droit, comme vous le savez ». Réagissant à propos, Marc Mapingou réfuta l’assertion de son interlocuteur : « J’aimerais déjà prendre le contre-pied de ce que dit mon compatriote, Patrick Dion. Nous ne sommes pas dans un État de droit ». Puis, au renchérissement provocateur du journaliste : « Vous, vous considérez que le Congo n’est pas un État de droit », Marc Mapingou réitéra plus catégoriquement son assertion : « Non, le Congo n’est pas un État de droit ».

L’intervention de Thierry Moungalla sur l’affaire fait autant évocation de la notion d’Etat de droit appliquée au Congo en des termes magistraux : « Le gouvernement, comme vous le savez, c’est l’Exécutif, et dans un État de droit, l’Exécutif n’a pas à commenter les décisions judiciaires ». Par ailleurs, dans son allocution sur la célébration de l’indépendance  de cette année 2021,  le Premier ministre ressasse  inlassablement la notion d’Etat de droit à un débit de cinq usages dans un extrait de discours de trois cent soixante-dix-sept mots. Selon ses propres termes,  « Après avoir forgé notre État indépendant et souverain […] nous nous sommes investis à créer l’État de droit. Oui ! L’État dont nous célébrons l’indépendance aujourd’hui est un État de droit ». En bon doctrinaire démagogue du PCT, il lui juxtaposa la notion voisine d’« l’Etat protecteur » en des termes établissant un rapport tant de complémentarité que de substitution entre les deux concepts : «  L’État de droit dont nous exaltons l’indépendance, vous l’avez voulu protecteur ».

La véracité de toutes ces déclarations à caractère apologétique sur la notion d’Etat de droit au Congo demeure à prouver par leurs tenants car leur rapprochement avec la réalité sociopolitique démontre une nette incohérence entre la théorie proclamée et les pratiques du pouvoir constatées. L’allusion au cas  du général Mokoko est un contre-exemple pertinent de l’audace intellectuelle des griots du PCT propulsés par une obsession à peindre un pouvoir « sassovien » foncièrement tyrannique d’une couche de légitimité visant à le faire accepter par une opinion viscéralement hostile à son encontre.  Avant son emprisonnement, quand il jouissait encore de sa liberté d’expression, le « général du peuple » a accordé une série d’interviews à travers lesquelles il a dénoncé différentes exactions de notre administration concourant à l’oppression dont il demeure victime et attestant plutôt des caractéristiques d’un Etat policier que celles d’un Etat de  droit.

Son parcours de combattant commence dès l’aéroport à son retour au pays via Brazzaville où un gang lui réserve un accueil ostentatoirement barbare à coups de jets de pierres et de grenades lacrymogènes. En observateur pointu, le général décèle dans cette atteinte à son intégrité physique une vile manœuvre politique qu’il dénonce : « Je tiens à signaler que les deux minibus qui ont amené ces messieurs-là étaient sans immatriculation et pour moi c’est donc la police nationale qui a organisé cette réception de la façon la plus sauvage qui soit. On pense pouvoir m’intimider pour que, moi, je retire ma candidature maintenant. S’ils décident de me tuer, bon, ils n’ont qu’à le faire ».

Après une trêve destinée à préserver une atmosphère démocratique à la campagne électorale,  le pouvoir, aussitôt les résultats problématiques proclamés, renoua avec l’oppression du général du peuple, vainqueur réel du premier tour et sensé en disputer le second avec Parfait Kolelas. Sassou-Nguesso, conscient de la délicatesse des enjeux postélectoraux, s’empressa d’abréger le processus électoral en s’autoproclamant vainqueur à l’issue d’un premier tour qu’il avait fatalement perdu dans les urnes. De connivence avec le gouvernement français de Hollande qui lui avait  préalablement donné la feuille de route pour l’enchainement d’un troisième mandat, le pseudo-vainqueur organisa une manœuvre d’intimidation musclée tendant à faire reconnaître sa victoire usurpée par le vainqueur réel. Il ordonna le déploiement, autour de la résidence du général, d’une impressionnante armada policière manifestement disproportionnée au regard des faits incriminés et du but poursuivi à savoir l’arrestation d’un seul officier, quoique général, désarmé et sans garde.

Le général décrit personnellement les conditions draconiennes de son assignation à résidence dans une interview accordée à VOA le 14 juin 2016 : « Quand vous voyez depuis le 9 février ce à quoi j’ai été soumis, je ne serai plus étonné par quoi que ce soit. Ça fait quand-même plus de 70 jours   que je suis assigné à résidence sans que cela m’ait été notifié et pendant pratiquement un mois on m’a interdit que j’aille m’approvisionner en vivres… Je considère que je suis victime de l’arbitraire… Et la Croix Rouge n’a jamais obtenu l’autorisation de me rendre visite pour m’approvisionner en vivres ». Puis, précise-t-il : « Si vous voyez le nombre de personnes qu’il y a autour de ma résidence, vous serez étonné. Je ne suis pas le plus grand criminel de l’univers pour qu’on déploie toute une force comme ça. Non, c’est, à la limite, insupportable ; c’est inacceptable ! ». Entrevoyant l’issue de son affaire, le général Mokoko devine sa condition avec une perplexité effarante préfigurant l’inexistence d’un Etat de droit sous le Congo de Sassou-Nguesso mais le rapprochant plutôt d’un État policier, celui où règnent le volontarisme du bon prince et la primauté de la force sur le droit : « Je n’en sais rien, ça sera selon le bon plaisir de ceux qui dirigent ce pays. S’ils peuvent vous embastiller comme ça, ils peuvent vous mettre en résidence surveillée sans tenir compte des règles, ils peuvent vous imposer des traitements dégradants, ils sont capables de tout ».  Quant à l’attitude politique à adopter face à un Sassou-Nguesso autoproclamé président et obstiné à le demeurer, le général dénonce un défaut de transparence du processus électoral incompatible avec l’État de droit justifiant son intransigeance sur le rejet de  ses résultats. « Je n’ai pas besoin, moi, de faire une démonstration outre mesure que le scrutin était biaisé. Pourquoi on attend de moi que je reconnaisse les résultats?». « C’est pas par la contrainte qu’on va me faire accepter des résultats que j’ai rejetés depuis le premier jour », a-t-il ajouté. Point n’est besoin d’être juriste pour convenir avec le général de l’irrégularité des procédés du pouvoir « sassovien » dans le règlement de cette affaire devant la flagrance de la barbarie policière. « Je constate que la situation dans laquelle on m’a placé est totalement illégale. C’est une volonté de puissance pour écraser un individu ».

Le général Mokoko fut finalement arrêté  et incarcéré à la maison d’arrêt mi- juin 2016 pour des motifs manifestement fallacieux : trouble à l’ordre public, détention d’armes et de munitions de guerre, atteinte à la sûreté de l’Etat. Son procès s’ouvrit soudainement le 07 mai 2018 après injonction du Chef de l’Etat à son Garde des Sceaux puis au parquet d’accélérer l’instruction de l’affaire pour une tenue rapide du procès.  Ainsi l’instruction  fut entachée d’irrégularités dénoncées par l’accusé pendant les audiences : « Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises lors de mes différents interrogatoires que je ne reconnais pas les faits qui me sont reprochés. Il y a beaucoup de faits qui sont surfaits ». Il adopta une attitude de silence face  aux juges en signe de contestation de compétence de la cour en soutenant : « En vertu de l’immunité juridictionnelle que me confère le décret 2001/179/ du 10 avril 2001, portant création du Conseil des ordres nationaux, en ma qualité de dignitaire de la République, je ne peux être poursuivi dans aucune juridiction de la République. Je ne peux donc pas répondre à vos questions ». L’accusé écopa, par devers tout, d’une peine de prison ferme de vingt ans de travaux forcés à l’issue de ce procès d’opérette que sa défense qualifia de « règlement de comptes politique » tandis que les évêques du Congo réclamaient aux autorités du pays  une justice plus « équitable et indépendante ».

Fin juin 2020, en pleine crise sanitaire mondiale, le général éprouva des ennuis de santé dont la gravité interpela Amnesty International jusqu’à exiger sa libération par un communiqué : « Les autorités congolaises doivent, de toute urgence, libérer le général Jean-Marie Michel Mokoko dont la santé est en danger. ». Il fut admis à l’hôpital militaire pour covid19 ou paludisme aigu avant d’être évacué en Turquie, le 30 juillet. Dès son retour, fin août, il fut réadmis à l’hôpital militaire pour un traitement de kinésithérapie jusqu’à l’avènement du coup d’Etat militaire en Guinée-Conakry ayant motivé la décision controversée du pouvoir de réincarcérer le prisonnier en cours de traitement. Cette réincarcération a été effectuée le 1er octobre dernier au grand regret de son conseil, Maître Yvon Ibouanga,  qui a déclaré le lendemain sur les ondes de RFI : « Nous avons émis des réserves quant à sa réintégration à laquelle il n’est pas opposé sur le principe. Ce qui est curieux c’est qu’il n’y a aucun acte administratif ni judiciaire prescrivant la réintégration du général J-MM Mokoko à la maison d’arrêt. Nous formulons la demande qu’il reparte à l’hôpital militaire pour qu’il achève son traitement et, en plus, il faut qu’on aménage les conditions de sa détention au niveau de la maison d’arrêt pour qu’il ne retombe plus malade comme par le passé parce que la cellule dans laquelle il est réintégré n’est pas digne. Il n’y a pas de lumière […] il n’y a pas d’eau, on l’a tous constaté. Donc, dans ces conditions, on ne peut pas incarcérer une personne.

Alors que la persécution du général se poursuit, la Françafrique et ses « valets locaux » végètent dans des  tergiversations qui empirent continuellement le sort de ce détenu entré dans la légende des prisonniers politiques de notre pays. Le gouvernement, par la voix du Premier ministre, dans son attitude de négationniste invétéré des crimes flagrants de l’Etat, persiste à dénier au général le statut de prisonnier d’opinion en méconnaissance de l’avis du 23 août 2018 du Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il s’obstine à le considérer comme un prisonnier de droit commun dont le gouvernement ne pourrait envisager l’option d’une libération par grâce présidentielle qu’en contrepartie d’une contrition du détenu comme  en matière de religion. Pendant ce temps, Macron et son « monsieur Afrique » se complaisent dans  une plaisanterie diplomatique de mauvais goût pour tenter d’amuser la galerie congolaise. Le 20 septembre 2020, tandis que  Macron reçoit le dictateur Sassou-Nguesso à l’Elysée, Le Drian multiplie des déclarations complaisantes à la presse : « Je lui ai parlé de M. Mokoko et d’autres personnes en lui disant qu’on attendait de sa part des actes » et « Je le lui ai dit avec fermeté et je pense que le président de la République lui dira la même chose » ; propos teintés d’une hypocrisie coupable dont la France devra inéluctablement répondre devant les Congolais à l’avenir.

Au regard des déclarations et des faits ainsi exposés, peut-on vraiment s’obstiner à soutenir que le Congo est un Etat de droit ? Sinon, comment et pourquoi le construire dans notre pays ? Que faire pour sauver Jean-Marie Mokoko, le général du peuple ? Comment se défaire du système PCT-Sassou à l’heure de la déchéance des dictatures françafricaines ? Comment expliquer l’inertie d’un peuple autrefois engagé ? En quoi l’Etat de droit peut-il contribuer au changement tant souhaité ?  Telle est mon ébauche de problématique sur laquelle l’intervention de tous est vivement attendue.

David NTOYO-MASEMBO

Diffusé le 25 octobre 2021, par www.congo-liberty.org  

AU GÉNÉRAL JEAN-MARIE MICHEL MOKOKO, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CONGO-BRAZZAVILLE. Par Mingwa BIANGO

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5 réponses à L’ÉTAT DE DROIT A L’ÉPREUVE DE L’AFFAIRE GÉNÉRAL MOKOKO

  1. delbar dit :

    Cher Monsieur Ntoyo Masembo,
    Merci pour votre intervention mais permettez-moi de vous indiquer que vous ouvrez des portes ouvertes.
    Il n’est discuté nulle part que le Congo est une dictature, un état policier et un état de non droit.
    Je partage vos inquiétudes quant au Général puisque je connais bien la prison de Brazzaville et les conditions dramatiques dans lesquelles vivent les détenus.
    Je pense cependant que le Général bénéficie de conditions  »meilleures » que les détenus de base, sinon il serait déjà décédé.
    Pour répondre à vos questions légitimes, je pense que seul le peuple congolais a son destin entre ses mains afin de créer un état de droit qui seul pourra le mener à la prospérité.
    Même soutenu par des puissances étrangères, un tyran ne peut pas indéfiniment résister à la volonté de changement populaire.
    Mais évidemment, encore faut-il qu’il y ait cette volonté !

  2. le fils du pays dit :

    Un petit rappel.Selon les dires de ceux de sa generation,Mr Sassou Denis est l’agent de l’etranger des le début des annees.Et si vous suivez sa marnière de faire et les actes poses depuis les années 60 vous vous rendrez compte de ce que ses cogenerationnels avancent.Il faut le chasser du Congo.

  3. Cher Mr Ntoyo Masembo,
    La thématique de la réalité de l’Etat, et singulièrement celle de l’Etat de droit chez nous, au Congo, demeure, semble-t-il, au centre des préoccupations de chacun de nous. Les enjeux relatifs à la clef de répartition et de redistribution de la valeur, pétrolière par exemple, de l’incorporation des lois et règlements en cours pour leur application respectueuse, fidèle à tout le moins, de la condition sacrée de la vie des enfants, des femmes et des hommes et donc, de la démocratie en sont les ressorts majeurs. Il y a chez Collinet Makosso comme chez bien d’autres opportunistes des cécités ravageuses au regard de notre « humanité », et de notre sentiment de « honte ».
    L’épreuve de l’affaire du Général Jean Marie Michel Mokoko nous replonge dans d’autres épreuves « analogues », notamment celles du Président Marien N’Gouabi-un Président en exercice s’il vous plaît, du Président Alphonse Massamba-Débat et celle du Cardinal Emile Biayenda, lui aussi en exercice.
    N’oublions pas celle de Marcel Ntsourou.
    Sur ces autres épreuves douloureuses pour chaque démocrate, je nous renvoie au contenu des conférences pédagogiques de Maître Amédée NGanga. Il fait, à mon sens, autorité en la matière. Et tout travail de recherche ou de réflexion sur l’origine et la nature du système totalitaire au Congo, depuis l’invention du PCT et de ses miasmes en tout genre, devrait pouvoir y trouver des fondements épistémologiques. Certaines.
    Voir et écouter notamment:
    -L’affaire Marien N’Gouabi, EDIME KAYI, Youtube, FRCI.
    -« L’Etat congolais, un Etat tribalicide », Table Ronde Assises Nationales, 31-03-2018, Paris.

  4. delbar dit :

    Je confirme les propos de Monsieur Outtouba.
    Maître Nganga est d’autant plus une référence qu’il est lui même une victime du régime totalitaire congolais actuel.
    En effet, il a été persécuté par la justice aux ordres du régime et s’il n’avait pas pu se réfugier dans un pays démocratique, comme la France, il serait vraisemblablement aux côtés du Général Mokoko.
    Comme, je l’ai déjà dit maintes fois sur ce site, un avocat libre n’a sa place, au Congo, qu’en prison.
    Cette réalité est bien connue par toutes les démocraties occidentales et je ne comprends pas pourquoi ce régime n’est pas boycotté !

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