“LES BRAZZAVILLES INTESTINES”. CHIRURGIE MINEURE D’UNE VILLE FANTOME

“Les Brazzavilles intestines” représentent un concept que nous avons forgé pour désigner la vraie réalité interne des villes, mieux des quartiers du Congo-Brazzaville. Le plus souvent, lors des évènements festifs ou l’accueil dans la ville d’un.e autorité.e, les grandes artères sont embellies au profit des rues adjacentes ou intérieures. Les petits commerces, les vendeurs.es ambulant.e.s et autres revendeurs à l’étalage sont interdits d’exercer leurs activités rémunératrices sans solutions alternatives ou réparatrices. “Les Brazzavilles intestines” représentent aussi un paradigme. On peut ainsi dire “les Pointe-Noire intestines”, les “Dolisie intestines”, les “Nkayi intestines”, les “Owando intestines”, “les Bandal intestines” à Kinshasa pour exprimer les réalités vécues par les populations de différentes villes durant leur mobilité interne. Si, dans chaque quartier, quelques axes majeurs possèdent les attributs essentiels de la rue citadine tels les bitumes, les lampadaires, les caniveaux; en revanche, les ruelles adjacentes sont envahies par des détritus et l’écoulement des eaux usées. Dans ces conditions, impossible aux véhicules à pénétrer dans les sous-quartiers, et c’est à pied que les résident.e.s s’y faufilent pour rejoindre leurs habitations.

La chirurgie mineure consistera à disséquer la configuration des villes congolaises, notamment les rues adjacentes des quartiers populaires. Telle en médecine, où on pratique la petite chirurgie, on requiert une intervention parfois faite sous anesthésie locale, dans le but de traiter des problèmes dits mineurs, mais qui demandent néanmoins d’être pris en charge plus ou moins rapidement. Une telle chirurgie, et les gestes de suivi qui lui sont associés visent généralement, pour notre cas, à explorer comment les habitant.e.s des quartiers populaires pour la plupart non viabilisés “traitent leurs plaies” (difficultés de transport avec le phénomène demi-terrain), “leurs lésions” afin d’éviter une excroissance. Ces actes “chirurgicaux” posés par une population recroquevillée sur elle-même demandent généralement beaucoup d’initiatives pour contrer tout déchainement des éléments de la nature.

La ville fantôme initialement est une ville habitée et animée qui a été abandonée, généralement,  au périssement de l’activité économique qui la faisait vivre ou d’une catastrophe d’origine naturelle ou humaine. En literature illustrée, La ville fantôme, qui nous inspire c’est Lucky Luke, une comédie satirique écrite par Goscinny et illustrée par Morris, éditée en 1965 par Dupuis S.A. Celui qui tient le fil de l’intrigue, Powell, refuse d’abandonner sa mine d’or achetée dans la ville de Gold Hill en dépit de la désertion des habitant.e.s et des rumeurs signalant le manque d’or sur les montagnes. Powell est le symbole de la désullusion et des espoirs déçus des populations Congolaises. La ville fantôme dans ce post, par glissement de langage, témoigne du manque d’infrastructures de proximité pour assurer la mobilité interne des habitant.e.s. Ceux/celles-ci ne cessant de s’y installer, vivent injustement dans des quartiers insalubres presque conçus et gérés par une minorité des laissés-pour-compte.

“Les Brazzavilles intestines”: répérage dans les villes Congolaises

Les rues au Congo-Brazzaville possèdent en commun le manque d’adressage. Pour se rendre d’un point à un autre relève parfois du parcours de combatant. Un arbre, une boutique ou un nganda renommée servent souvent de point de repère: “pour arriver chez moi, suivez la ligne droite, dépasser le premier carrefour à votre gauche vous trouverez une maison à étage qui a été élevée sous les ruines du nganda Les gorilles. Comptez trois ruelles à votre gauche et vous apercevrez une maison peinte en jaune avec un portail rouge brique. Sonnez on vous ouvrira la porte”. Cette réalité de la ville de Pointe-noire du quartier Mawata n’est aucunement étrange aux responsables politiques communaux quant à la mobilité quotidienne de ses habitant.e.s.

Pourtant, un projet avait été mis en place au Congo-Brazzaville, avec l’appui de la Banque Mondiale, dénommé « projet de restructuration des quartiers précaires de Brazzaville et de Pointe-Noire ». Ce projet comprenait deux composantes à savoir la restructuration des quartiers précaires et le développement des stratégies pour l’éradication des quartiers vulnérables (pauvres). L’objectif général du projet visait la création d’un cadre favorable pour le développement urbain et l’amélioration des conditions de vie des habitant.e.s des quartiers défavorisés. Ce projet devrait offrir aux deux villes du pays d’énormes possibilités de réaliser le développement durable, la réduction de la pauvreté et la fourniture des services. Malheureusement Brazzaville et Pointe-Noire – comme d’ailleurs d’autres villes du pays- sont confrontées à la problématique de l’urbanisation : insécurité foncière, crise aigüe du logement pour les ménages à revenus faibles et intermédiaires, cherté et rareté du crédit de logement, insuffisance de services sociaux de base, faible capacité de l’administration en matière de planification et d’aménagement urbain. Cette situation est responsable de la bidonvilisation de nombreux sites urbains par la spontanéité de naissance des nouveaux quartiers nuisibles à Brazzaville et à Pointe-Noire. C’est dans ce sens que le SDU (Schéma Directeur d’Urbanisme), conçu en 2016 comme outil de planification à l’horizon 2035, devrait orienter et encadrer l’utilisation des espaces, le type de construction et leurs aspects, donc s’imposer à tous.

Chirurgie mineure

Les rues dans toutes les villes du monde attirent souvent l’attention des analystes quand elles violent les normes par les fonctions que lui sont destinées de fait par ses usagers autant par l’absence de l’Etat, autant par le désintérêt de la municipalité. C’est pourquoi la rue peut être considérée comme un lieu de confrontation des inégalités et des différences. Elle est perçue comme un lieu d’expressions économiques tous azimuts : vendeurs.es ambulant.e.s de bissap, tangawiss, de la banane plantain frite, eau glacée, cordonniers-cireurs crieurs, les kadhafi . La rue, c’est aussi un “no man’s land”, peut être considérée comme une extension de l’espace familial au même titre que la cour, la cuisine. On y met en stock des réserves de bois de chauffe, de la ferraille. Lieux de célébrations des mariages, des veillées mortuaires ou d’un business, dans la rue on y ajoute des hangars pour lavage des voitures, pour vendre la bière et autres merceries. Les rues au Congo-Brazzaville sont dans une commune mesure des chasses-gardées de certaines catégories de couches sociales : des sans-abris aux gangs en passant par les “enfants de la rue”. La rue représente un espace où s’exprime une justice populaire. De nos jours, le phénomène “bébé noir”, terme symbolisant une violence urbaine morbide, ou les jeunes “désœuvrés” imposent leur loi le plus souvent à coup de machette. Les populations abusées sont parfois contraintes de se constituer en « milices d’autodéfense », à faire vengeance elle-même introduisant ainsi une nouvelle forme de violence appelée « barbecues », le fait de brûler vif un “bébé noir”, en l’enveloppant de pneus usés. Les rues, ici, offrent aussi des spectacles éco-irresponsables : dépôt des déchets ménagers, écoulement des eaux souillées, surtout en période de grande crue, les riverains en profitent pour vider leurs toilettes de fortune. La souillure est emportée sur des terrains situés en contrebas. La rue au Congo-Brazzaville, c’est aussi la balade des animaux domestiques et autres bétails ; c’est aussi un cimetière des carcasses des voitures. On y rencontre parfois des badaux s’improvisant agents de voirie publique raccommodant des trous boueux monnayant ainsi le passage des voitures et autres piétons. Quand la nuit tombe, les élèves studieux profitent des lampadaires pour bachoter leurs leçons. En revanche, les rues congolaises ont en commun le réceptacle des nuisances sonores provenant des églises de réveil, des nganda, Vip et autres caves. C’est aussi le lieu d’expression du génie footballistique naissant. Les jeunes amateurs de football s’emparent des rues pour imiter leurs idoles et forger leurs talents. De bonne mémoire, la rue a été la première école de formation au football connue sous le nom de mwana foot.

La rue révèle à la fois la misère des populations victimes du « laisser-faire » de l’État et, plus foncièrement, l’inadéquation entre autorité de l’Etat et normes sociales appropriées. Au demeurant, à mesure que la densité du bâti occupé augmente, la rue tend à perdre sa fonction première de point d’accès : elle le perd non seulement en saison des pluies, après un violent orage, mais aussi lorsqu’elle cesse d’être praticable en véhicule. D’où la ville fantôme.

Les villes fantômes

La ville fantôme dans ce post, par glissement de langage, témoigne du manque d’infrastructures de proximité pour assurer la mobilité interne des habitant.e.s. Ceux/celles-ci ne cessant de s’y installer, vivent injustement dans des quartiers  accidentogènes. Les rues adjacentes dans ces quartiers peinent à atteindre un niveau de connectivité significative. Face à la menace quotidienne des inondations auxquelles les quartiers pauvres de Brazzaville, Pointe-Noire et autres villes sont régulièrement exposées, l’idée était d’impliquer les habitant.e.s et de valoriser leur connaissance personnelle de ces espaces. C’est pourquoi face à l’inexistence de l’Etat, ainsi que la spirale d’exclusion et de précarisation dans laquelle ces populations sont engagées, l’instinct de survie les a poussées à leur propre prise en charge. Les pluies lessivant les sols, dégradant leur environnement, les populations se recroquevillent sur elles-mêmes oubliant qu’elles se faisaient violence. En ce sens, quand un incendie se déclare, ou en cas de situation incitant une intervention policière ou une évacuation par ambulance, quel que soit le professionnalisme de ces services publics, aucune initiative d’envergure ne peut être prise. Examinons les rues-types.

Les rues escaliers

Les rues escaliers dans la réalité congolaise sont nées après un lessivage des sols, conséquences immédiates des pluies intensives et de la lenteur des pouvoirs publics d’y remédier. Présentent sur des terrains abrupts, les rues escaliers sont l’œuvre des riverains qui, pour parer tout effondrement des murs des parcelles et des entrées principales de leurs demeures ont choisi de daller les rues non pas en respectant les pentes, mais chacun élevant des murettes transformant la rue en escalier. Dans ces conditions, aucun moyen roulant ne peut s’y aventurer.

Les rues canyons

Les rues canyons désignent d’un point de vue technique, une rue dont les bâtiments, des deux côtés de la rue et sur plus de 100 mètres, se succèdent de manière ininterrompue ou sont très proches les uns des autres. Dans notre contexte, les rues canyons se sont transformées au fil des temps en allée profonde sinueuse et ramifiée creusée par des eaux de pluie entaillant les bordures des maisons. L’eau libre emprunte le tracé de la rue et se perd en contrebas alimentant les autres canyons formés pour la circonstance.

Les rues impasses

Une rue impasse appelée aussi « voie ou rue sans issue » et parfois « cul-de-sac », est une voie avec une entrée unique faisant également office de sortie des usagers. Au Congo-Brazzaville, les rues impasses émanent de la mauvaise foi des riverains sans scrupules qui occupent anarchiquement la rue obstruent la circulation et imposent un seul et unique point d’entrée pour les véhicules. La rue ne devenant praticable que pour des piétons ou des cyclistes. A l’origine, la rue au tracé rectiligne a été heurtée par la cupidité des riverains qui, chacun voulant gagner des centimètres carrés, ont fait main basse du domaine public.

Les rues losanges ou entonnoirs

Les rues entonnoirs sont des rues déformées par les riverains dans leur cupidité d’élargir les dimensions de leurs terrains. La réalité congolaise est celle d’une rue qui va en se rétrécissant puis devient un sentier.

Les rues ruisseaux ou rivières

Les rues ruisseaux ou rivières résultent de fortes précipitations. Les rues deviennent des lits des rivières. Avec le réchauffement climatique, les ruissellements d’eau de pluie, particulièrement lors d’événements de précipitations intenses, soulève des problématiques de gestion de taille. Les rues au Congo-Brazzaville réputées sans réseaux de drainage guident l’eau jusqu’aux zones plates pour la stocker ou l’évacuer. C’est ici le lieu d’évoquer la contribution d’un bureau d’ingénieurs congolais qui peut être mandaté pour modéliser ces secteurs précis et définir les mesures à mettre en place pour permettre une gestion du ruissellement de ce type.

Aujourd’hui, “les Brazzavilles intestines“ présentent de nombreuses contraintes du fait de la dégradation de la situation d’ensemble où les services urbains n’ont pu suivre la croissance spatiale et démographique. Les zones initialement affectées aux grands équipements, industries et investissements spécifiques, aux espaces verts, voire les zones réputées inconstructibles, sont désormais colonisées par l’habitation, particulièrement par l’habitat informel (SDU-2016). Il s’agit donc de satisfaire globalement la demande sociale en passant par la rénovation urbaine. Car “l’avenir se joue dans les quartiers pauvres”.

Jean Claude Boukou

Sociologie des Pratiques rémunératrices

Diffusé le 13 juin 2024, par www.congo-liberty.org

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Une réponse à “LES BRAZZAVILLES INTESTINES”. CHIRURGIE MINEURE D’UNE VILLE FANTOME

  1. Val de Nantes , Des efforts à déployer ,sinon !!. dit :

    Pas de souci ,.Il y’a des coreens du sud , au terme de leur rencontre avec les dirigeants débiles africains ,ont promis de les aider dans cette problématique urbanistique ..
    Depuis les indépendances et malgré les formations y afférentes , les africains n’ont jamais investi dans de domaine . Une plaisanterie !..
    Il nous reste qu’à louer les services de Dieu pour résoudre toutes les problématiques africaines ..
    Noir ,c’est noir !!.

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