Le système éducatif, héritage de la colonisation ! Par David LONDI

Classe de collège à Brazzaville-Congo

À l’époque des indépendances, dans les années 60, les dirigeants des nouveaux États africains étaient résolus à ce que leurs pays rattrapent le monde développé et s’intègrent dans les échanges mondiaux. 50 ans après, une majorité de ces pays sont exclus du processus de mondialisation, contrairement aux NPI (Nouveaux pays industrialisés) asiatiques ou à la Chine et à l’Inde, une majorité de pays situés au Sud du Sahara, sont exclus des pôles économiques avancés de la planète et semblent observer du bord de la route cette course à laquelle n’appartient pas leur monde. Ils accusent un très important retard économique (faiblesse de l’agriculture, rareté des industries, part minime dans les échanges commerciaux régionaux et internationaux). Pourtant, le continent est riche en matières premières minérales et énergétiques et en potentiel humain. Avec sa population qui n’est pas encore prête à entrer dans un processus de régulation de sa natalité, il bénéficie d’un vaste marché potentiel. Le Congo a eu un taux de natalité de +3,68 entre 2010 et 2015 (populationdata.net).

Un certain nombre de critères objectifs montre ce retard : le PIB par habitant plus faible ; l’IDH (Indice de Développement Humain), un indicateur qui évalue le niveau de développement humain dans un pays. Il prend en compte l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie (logarithme du revenu brut par habitant en parité de pouvoir d’achat)) de 0,523 sur une fourchette allant de 0,892 (Développement humain très élevé) 0,497 (Développement humain faible). Il est de 0,668 pour les pays en développement. Il est de 0,592 (2015) occupant la 143ème place sur 187…Le retard de l’Afrique se mesure aussi avec le taux de mortalité infantile qui indique l’état de santé des femmes, l’état social, l’état des routes et du système de santé. Le seuil de 50%° est important. En Afrique, il est supérieur à 100 dans beaucoup de pays. L’espérance de vie est marquée par le sida : dans les années 90, elle était de 52 ans, aujourd’hui, elle est inférieure à 50 ans. L’analphabétisme touche les 2/3 des femmes dans les campagnes et 1 enfant sur 2. L’Afrique représente moins de 2% des échanges internationaux même si ces chiffres doivent néanmoins être pris avec des « pincettes » parce que 70% de l’activité africaine n’est pas enregistrée car informelle et plus de 40%, en moyenne, vivent dans les villes. Quelles sont les raisons du naufrage de presque tout un continent ? Nous allons nous focaliser sur la République du Congo pour tenter un début de réponse, dans la dernière partie de cet exposé. L’élément central de cet énorme gâchis est certainement la non remise en question du système économique, éducatif et d’organisation sociale héritée de la colonisation.

Un système éducatif hérité de la colonisation

Si l’on compare le pouvoir d’achat de la Côte d’Ivoire à celui de la Corée du sud: le PNB par hab. de la Côte d’Ivoire est passé de 28$ en 1975 à 660$ aujourd’hui (Corée du sud aux mêmes dates de 246$ à 4000$). Que s’est-il passé ? Comment expliquer une telle différence ? Par l’éducation, la première compétence d’un pays. En octobre 2009, dans le magazine grand public Historia intitulé « Colonisation, pour en finir avec la repentance », l’article sur l’enseignement rédigé par Pierre Montagnon mettait l’accent sur le nombre d’écoles créées par les Français, sur des figures célèbres formées à l’école française (Léopold Sédar Senghor ou Ferhat Abbas), sur la généralisation de l’enseignement « d’un bout à l’autre de l’Empire », et sur « l’effort entrepris dans la formation des maîtres ». À l’inverse, multiples sont les témoignages, contemporains de la colonisation puis postérieurs, qui insistent à la fois sur les réalisations médiocres en matière scolaire, et sur les effets potentiellement destructeurs de la scolarisation. L’écrivain tunisien Albert Memmi fut l’un des premiers à l’exprimer à la fin des années 1950 : « Loin de préparer l’adolescent à se prendre totalement en main, l’école établit en son sein une définitive dualité ». Ce qui fait la richesse d’un pays, c’est sa matière grise, sa compétence. En 1931, lors du congrès intercolonial de l’enseignement dans les colonies et les pays d’outre-mer, organisé en parallèle à l’Exposition coloniale internationale de Vincennes et consacré à nouveau au thème de « l’adaptation », Georges Hardy est rapporteur général. Durant ces rencontres, il tient, en tant que chef du cabinet du ministre de l’Instruction publique, un discours explicite :

« La France ne demande pas qu’on lui procure en série des contrefaçons d’Européens […] Faites que chaque enfant né sous votre drapeau tout en restant homme de son continent, de son île, de sa nature soit un vrai Français de langue, d’esprit, de vocation ! ». Autrement dit, l’assimilation était la règle.

C’est donc selon cette philosophie que, pour les pays africains qui avaient subi les affres de la colonisation, le système éducatif  avait été façonné par les colons, surtout dans les pays francophones.  Il est le corollaire de celui qui fut en vigueur pendant les périodes coloniales qui n’était conçu que pour former des auxiliaires administratifs. En d’autres termes, il s’est trop peu démarqué de ce drame car les programmes éducatifs actuels prennent très peu – voire ne prennent pas – en compte les réalités culturelles.  Les formations éducatives en Afrique s’inscrivent dans la continuité de la colonisation et ne permettent pas l’émergence d’intellectuels conscients des réalités historiques et culturelles de l’ancien colonisé. Ils ne créent pas, transforment très peu et importent 80% de sa consommation. L’élite africaine, au pouvoir au moment des indépendances, avait tout simplement oublié que le système colonial était tourné vers les côtes, vers l’extérieur et vers l’international mais très peu vers l’intérieur.

Le savant sénégalais Cheikh Anta Diop disait : « Il n’y a qu’un seul salut, c’est la connaissance directe et aucune paresse ne pourra nous dispenser de cet effort. Il faudra absolument acquérir la connaissance directe. A formation égale, la vérité triomphe. Formez-vous, armez-vous de science jusqu’aux dents ». La science dont parle Diop dans son propos se rapporte à la connaissance de l’Afrique et de son histoire profonde, des réalisations faites par les civilisations qu’elle a abritées dont l’Egypte antique. Bref, redonner sa fierté à l’Africain. Or, les programmes éducatifs actuels continuent d’enseigner les réalisations de ceux qui sont venus avec le système colonial, ce système qui n’était pas conçu pour les développer.

Le programme d’Histoire dans les écoles de plusieurs pays du continent n’est pas exhaustif sur les empires précoloniaux. De ce fait, l’on continue à mettre dans l’esprit des Africains qu’ils sont un Peuple faible, de dominés, d’éternels assistés, qui a besoin de l’aide coloniale sans laquelle les routes, hôpitaux et écoles n’existeraient pas. L’on continue à montrer aux Africains qu’ils n’ont pas contribué à la civilisation universelle et qu’ils sont, selon la typologie de Caroll Quigley, des peuples parasites, c’est-à-dire des peuples qui n’ont rien fait pour l’Humanité mais qui profitent des réalisations des autres (Quigley, 1979). Ce n’est pas différent du temps où l’on enseignait aux Africains que leurs ancêtres sont les Gaulois.

Ces actions continuent à créer chez les Africains actuels un complexe de colonisé, obligés de reproduire les mêmes actes que leurs prédécesseurs qui s’envolaient pour la métropole afin de saisir «la raison hellène». Ce complexe s’insère dans les schèmes mentaux et sont visibles dans les actes posés par les individus. C’est ainsi que résulte l’acculturation dont souffrent beaucoup de jeunes africains aujourd’hui, coupés du monde traditionnel. L’Etat en Afrique, qui, selon les propos de Bertrand Badie, est un système importé, reproduit les enseignements de la colonisation. C’est ainsi que le changement politique en Afrique francophone est toujours espéré et initié depuis l’ancienne métropole qui contrôle encore les centres de décision.

L’école dans les colonies était bien un projet « d’ingénierie sociale » dont l’objectif était de « changer l’homme » (ou la femme) par l’éducation, de le faire accéder à une partie du savoir et de l’univers du dominant (ici, le colonisateur) tout en lui inculquant le sentiment de la « juste distance » qui lui assigne une place spécifique dans la société. En fonction de l’’évolution, arbitrairement fixé par l’estimation du niveau de contact et d’échanges, la politique coloniale va établir une discrimination entre les colonies dans le système éducatif. Tous les rapports et travaux produits pendant l’entre-deux-guerres  « établissent une justification « à chaud » de l’action culturelle française » et proposent des analyses généralement positives. La politique scolaire est présentée comme ayant été mise en place de façon linéaire, suivant « une évolution logique et constante » et, à grand renfort de tableaux statistiques, les autorités scolaires entendent prouver l’effort consenti. En témoigne, en 1924, le fascicule rédigé par l’inspecteur de l’académie de Paris Paul Crouzet sur la situation de l’enseignement à l’échelle de l’Empire. Il exclut l’Algérie, « qui a depuis longtemps sa place dans le tableau de l’enseignement français », les protectorats de Tunisie et du Maroc ainsi que le mandat de Syrie, mais recense, par territoire, le nombre d’écoles, d’élèves, d’enseignants et le budget affecté à l’enseignement indigène. Il distingue les colonies qui ne sont dotées que d’un enseignement primaire (AEF, Cameroun, Togo, Côte des Somalies, Saint-Pierre et Miquelon, les établissements français d’Océanie) de celles qui possèdent un enseignement plus diversifié (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion, Madagascar, AOF, Indochine et Inde française).

Ce problème de l’enseignement est sans doute le plus important et le plus complexe de ceux qui sollicitent l’esprit du colonisateur, car il contient plus ou moins en puissance tous les autres, ou il affecte leur solution. En effet, tout montre que l’élite dirigeante d’après les indépendances devait en faire leur priorité surtout que ce débat était déjà présent dans l’ancienne métropole coloniale et au sein des organisations comme la FEANF qui a vu le jour au congrès de Bordeaux en 1950. Des connaissances sur ce sujet étaient donc accumulées. Elles auraient pu servir d’éléments de réflexion pour des stratégies de définition d’une nouvelle école conforme aux défis du moment. Au-delà du problème de l’éducation, ces élites politiques ont aussi, parfois, fait des choix politiques et des modèles économiques discutables.

Recherche de stabilisation dans l’équivoque : choix politiques hasardeux et contradictoires, le Congo Brazzaville

L’élite politique congolaise, dans le cas précis, porte une part de responsabilité importante dans la faillite économique et sociale du pays. En effet, après la chute du gouvernement de Fulbert Youlou, l’élite politique qui lui a succédé a fait des choix politiques hasardeux sortis tout droit des AG (Assemblées Générales) politiques des étudiants idéalistes des campus universitaires français, loin des réalités politiques et économiques du moment. Ces jeunes idéalistes vont prôner le système marxiste dans un contexte capitaliste hérité de l’ancienne puissance coloniale. Ce qui revenait à gérer deux modèles économiques – marxiste et capitaliste – opposés. C’est ainsi que l’on va assister à des tours de passe-passe cherchant à concilier des options politiques inconciliables entre le libéralisme économique de l’ancienne puissance coloniale et le « socialisme scientifique » prôné par les nouveaux dirigeants dans un contexte politique souvent instable.

Le avait été choisi comme plaque tournante de l’A.E.F. (Afrique Equatoriale Française) pour son potentiel géographique pour évacuer les matières premières : ouverture maritime, un grand fleuve avec un réseau d’affluents arrosant jusqu’aux terres les reculées au cœur du Continent. Il ne restait donc plus qu’à construire une voie ferrée longeant la partie non navigable du fleuve jusqu’à l’Océan pour évacuer les matières premières. Le but de cette organisation n’était pas de rapprocher les différentes éthnies du territoire et dont le seul point de mélange était les centres urbains. Il n’était pas non plus de bâtir une nation. C’est ainsi qu’il était plus facile de faire Brazzaville – Paris, plus de 6 000 km, que Brazzaville – Makoua. C’est ainsi que la principale « industrie » au lendemain de l’indépendance était l’administration. Dans un système conçu pour extraire et expédier sans transformer, une fonction publique pléthorique devient une force de prédation pour les « mous du cerveau » parce que c’était le seul lieu d’enrichissement.

Nageant en pleine contradiction, quelques semaines après le coup d’état manqué de l’aile gauche du PCT (Parti Congolais du Travail), ses anciens amis à la tête desquels Diawara, le 22 mars 1972, Ngouabi s’était rendu à Paris (Monde diplomatique). Il ajoutait un nouvel épisode incompréhensible aux convulsions incessantes d’un pays instable. A commencer par ses propos : « En aucun cas l’option politique du pays ne subira de changement », affirma-t-il aussitôt après avoir mis en déroute le 1er bataillon d’infanterie venu prendre la radio sous les ordres du lieutenant Ange Diawara. « Nous avons seulement mis sous les verrous les ultras révolutionnaires qui n’étaient que de véritables opportunistes».

Peu après, il profita de ce bref séjour officiel à Paris pour confirmer avec énergie son attachement au « socialisme scientifique » comme aux « principes marxistes-léninistes ». Malgré un emploi du temps très chargé, il réalisa l’exploit peu commun de se rendre successivement à l’Elysée pour entretenir M. Georges Pompidou de la coopération, puis au parti socialiste unifié — P.S.U., — afin de promettre à son secrétaire général, M. Michel Rocard, qu’aucune condamnation à mort ne serait prononcée contre les gauchistes congolais. A défaut d’orthodoxie protocolaire, la seconde démarche témoignait au moins d’une émouvante sincérité. Très réellement convaincu des théories qu’il professait, le visiteur découvrit avec peine et naïveté, dans ce qu’il nommait les journaux français dits « progressistes », des critiques sévères contre la nouvelle orientation de son régime. « Il n’y a pas de déviation à droite, notre option est irréversible », assura-t-il encore devant la presse. La confusion était totale.

Malgré ces promesses réitérées, de sérieux doutes subsistaient néanmoins dans beaucoup d’esprits chez les Français. Certes, aucune divergence doctrinale n’opposait Ngouabi aux hommes qui étaient désormais poursuivis par sa police. La plupart d’entre eux souhaitaient surtout prendre davantage de distances avec l’ancienne métropole, resserrer les rapports avec la Chine, hâter la nationalisation des entreprises étrangères, lorsqu’il recommandait lui-même d’agir plus lentement et par étapes. En principe, la défaite des compagnons de la veille, qu’il qualifiait désormais d’ « ultras révolutionnaires », ne changeait rien au programme commun, même si elle lui imprimait un rythme plus mesuré. Des personnalités comme l’ancien premier ministre Ambroise Noumazalaye ; M. Claude-Ernest N’Dalla-Graille, naguère ambassadeur à Pékin et premier secrétaire du bureau politique du parti congolais du travail (P.C.T.) ; le lieutenant Ange Diawara, premier commissaire politique de l’Armée nationale populaire (A.N.P.), ou l’ancien président de l’Union de la jeunesse socialiste congolaise (U.J.S.C.), incarnaient en réalité le véritable esprit des institutions fondées en décembre 1969 sous le nom de République populaire, avec le drapeau rouge comme emblème. Qu’on l’admette ou non à Brazzaville, leur incarcération ou leur fuite amorçait un changement capital.

Elles modifiaient aussi très sensiblement les conditions mêmes du jeu politique et de l’exercice du pouvoir. Depuis la chute de Fulbert Youlou, les maîtres du pays devaient se battre simultanément contre les partisans de l’ancien régime classés à « droite » et les adeptes d’un « socialisme » mal défini, mais intransigeant et quelquefois brutal, identifié à la « gauche ».

Pendant plusieurs années, le président Massamba-Débat avait épuisé des trésors de ruse pour affermir l’autorité de l’Etat entre les deux forces contraires. A sa suite, Ngouabi dut combattre, louvoyer entre une opinion publique massivement conservatrice mais déçue par ses chefs, et les extrémistes du P.C.T. En 1970, l’équipée du lieutenant Kikanga, venu de Kinshasa avec une trentaine d’hommes pour prendre la radio et appeler le peuple aux armes contre les dirigeants en place, permit de réduire au silence les fidèles de MM. Fulbert Youlou et Massamba-Débat. Deux ans plus tard, une opération analogue, conduite avec la même malchance par le lieutenant Diawara, au profit des maoïstes, délivrait le gouvernement de ses derniers rivaux. Après avoir dû longtemps batailler sur deux fronts, il se retrouvait maintenant débarrassé de tous ses adversaires. Il s’agissait là d’une évolution importante qui allait bouleverser la suite de l’histoire politique congolaise.

Le changement ne s’était d’ailleurs pas produit sans modifier la hiérarchie politique, et bien des choix individuels, au sein des institutions. A partir de 1969, le commandant Ngouabi assuma les fonctions présidentielles à la direction de l’Etat, pour garantir dans le P.C.T. un arbitrage acceptable aux diverses tendances. A l’intérieur du parti, MM. N’Dalla-Graille, Diawara, Noumazalaye, Ange Poungui, Justin Lekounzou et Pierre Nzé passaient bien avant lui. Il l’emportait seulement à l’époque sur le premier ministre Alfred Raoul, trop modéré aux yeux de ses collègues. Il se retrouva en prison avec MM. N’Dalla-Graille et Noumazalaye, alors que Ange Poungui et Justin Lekounzou figuraient dans le nouveau gouvernement comme ministres des finances et de l’industrie. Ces glissements d’une fraction à l’autre consacraient une incontestable défaite de l’extrême gauche.

Les puissances étrangères témoignaient d’ailleurs à leur égard d’une circonspection significative. Ainsi, sous le couvert du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la France évita, par exemple toujours soigneusement, de critiquer l’orientation politique de son ancienne colonie, même quand elle lui inspirait de vives inquiétudes. Instruit par son échec en Guinée, le général de Gaulle n’appliquait pas son système intransigeant aux socialistes congolais et les laissa libres de conduire leurs expériences à leur guise, avec le secret espoir qu’ils lui reviendraient un jour. La visite du commandant Ngouabi à M. Georges Pompidou confirmait donc fort bien cette analyse.

La défaite de leurs amis, l’aile gauche du parti, plaçait les Russes et les Chinois dans une situation comparable à celle de la Ve République après le renversement de M. Fulbert Youlou. Pourvues d’ambassades importantes et actives à Brazzaville, les deux grandes puissances du monde communiste ne voyaient certainement pas disparaître sans regret de la scène politique des hommes qu’elles considéraient avec amitié. Quand MM. Brejnev et Mao Tsé-toung s’entretenaient directement avec le président Nixon, la sympathie de M. N’Dalla-Graille ne présentait plus qu’un intérêt secondaire pour Moscou et Pékin.

Pour ne pas contraindre le commandant Ngouabi à une évolution trop rapide vers les Occidentaux, les Etats marxistes avaient donc intérêt à maintenir leur coopération, afin d’offrir à leur partenaire quelques raisons sérieuses de persévérer dans ses sentiments du moment. Ils possédaient en outre une expérience suffisante des affaires locales pour savoir qu’aux trois seules exceptions de Moïse Tshombe en 1965 à Léopoldville (Kinshasa) et MM. Apithy et Maga au Dahomey (Bénin), aucun des hommes politiques africains chassés du pouvoir n’avait jamais pris sa revanche, de MM. Maurice Yameogo en Haute-Volta, à Modibo Keita au Mali, en passant par Nkrumah au Ghana, Dacko en République Centrafricaine et bien d’autres. Devant cette éternelle faiblesse des vaincus, le réalisme commandait donc de s’entendre sans trop de scrupules avec les vainqueurs.

A brève échéance, le gouvernement français se trouvait dans une position excellente pour exploiter les événements. L’aide financière et technique qu’il avait maintenue au Congo depuis plusieurs années, et sous tous les régimes, lui ménageait de bons atouts pour tenter d’infléchir dans son sens les choix d’un système désormais délivré de ses contradictions politiques. La visite du commandant Ngouabi à M. Georges Pompidou n’avait d’ailleurs pas d’autre sens. « On peut discuter sérieusement avec le gouvernement français sans devenir capitaliste », observa Ngouabi au cours d’une conférence de presse tenue pendant son séjour à Paris mais il avait éliminé toute opposition de gauche et de droite. Cette affirmation sonnait donc creux. Le système était en train de muter.

Aux frontières mêmes de la république populaire du Congo, plusieurs de ses voisins assistaient eux aussi avec satisfaction au renforcement du régime. Le Zaïre (RDC), le Gabon, le Cameroun s’inquiétaient depuis plusieurs années de son glissement continu vers un « marxisme-léninisme » où les admirateurs de Mao Tsé-toung exerçaient une influence croissante. Plus loin, au Tchad, M. François Tombalbaye préconisait en sourdine une opération capable de modifier le cours des choses et le rétablissement pur et simple de l’abbé Fulbert Youlou, tiré pour la circonstance de son exil espagnol.

Sollicitée plusieurs fois d’intervenir, la France ne céda jamais à la panique de ses amis et leur conseilla d’attendre. Encouragé discrètement par elle, le président gabonais, M. A. Bernard Bongo, prit le risque d’établir des rapports directs et cordiaux avec Ngouabi. L’élimination des extrémistes obtenue sans ingérence étrangère justifiait largement cette tactique prudente et rassurait tout le monde. A Paris comme à Moscou, à Pékin comme à Fort-Lamy (Djamena) ou Yaoundé, des intérêts divergents possédaient un intérêt identique à voir le gouvernement de Brazzaville consolider son pouvoir, parce que la défense d’un statu quo équivoque apparaissait à tous comme le seul moyen de parier sur l’avenir. Toutes ces péripéties politiques ne pouvaient évidemment pas faire affluer les investisseurs dans le pays, l’économie ayant peur de l’instabilité politique. Fragilisé politiquement et économiquement, après avoir réduit à néant les « ultra-révolutionnaires » de Noumazalaye et Diawara, le pouvoir de Ngouabi allait chercher le soutien du côté de l’éthnie et de l’armée dont les cadres sont majoritairement de la même tribu que lui.

Une « tribalisation » progressive de l’appareil étatique et de l’armée

Depuis le 13 février 1973, l’annonce par le président de la République populaire du Congo, Marien Ngouabi, de la découverte d’un prétendu « complot » avait remis le pays, après un an de calme relatif, au premier plan de l’actualité africaine. Les lycéens, soldats et paysans congolais arrêtés en même temps que cinq professeurs français, connus pour leurs positions révolutionnaires, et des personnalités libérales du régime, étaient accusés d’ « aider à la subversion » et surtout d’être en contact avec le maquis implanté depuis le 22 février 1972 dans le Pool, Goma-Tsé-Tsé, et dirigé par le lieutenant Ange Diawara.

Contre ce maquis, constitué à l’origine par ceux des dirigeants de la gauche qui avaient échappé à la répression de février 1972, plusieurs opérations militaires sans résultat probant avaient été menées au cours de l’année qui venait de s’écouler. La dernière, conduite en mars 1973 par Ngouabi lui-même, accompagné de son chef d’état-major, le colonel Yhombi Opango, s’était soldée par l’assassinat d’une dizaine de paysans partisans du maquis et l’exécution de l’ancien sergent Olouka. Ici démarrait le processus qui sera appliqué à Ikongono pour attraper Anga et au Pool pour pourchasser le pasteur Ntumi en inaugurant la période de massacres à grande échelle du PCT.

Au départ, l’appareil d’Etat était constitué de plusieurs fractions entre lesquelles la coexistence était devenue quasiment impossible. D’une part, tout le personnel issu de l’ancienne administration coloniale n’avait pas été renouvelé aux échelons moyens et inférieurs. La direction de l’armée, organisée en véritable clan politique, unie souvent sur des bases tribalistes, savait que la force militaire constituait la principale ossature du régime. Les fonctionnaires, en majorité parasitaires et absentéistes, représentaient un poids d’inertie prêt à se porter au secours des tendances les plus conservatrices du pouvoir. D’autre part, depuis 1963, la plus grande partie des éléments constitutifs de la gauche congolaise participaient à l’appareil d’Etat. C’est sous l’influence de cette gauche que le régime avait pris une apparence « socialiste ». Toutes les batailles étaient en effet menées de part et d’autre au nom de la fidélité au « marxisme-léninisme » et au « socialisme scientifique ». La réalité du pouvoir restant néo-coloniale, la fraction de gauche intégrée à l’appareil du régime se retrouvait dans une position paradoxale, dénonçant l’exploitation et l’oppression du peuple congolais d’une part, et participant d’autre part à l’équipe qui se faisait l’instrument de cette domination. Cette ambiguïté avait progressivement dessiné une ligne de démarcation au sein même de la fraction de gauche participant au pouvoir. L’une, représentée par Ambroise Noumazalaye, ex-premier ministre, optait pour une politique qui transformerait l’appareil de l’intérieur ; l’autre, qui aura pour chef de file Ange Diawara, investissait ses moyens dans l’armée et la milice, en vue de constituer une force militaire susceptible, le moment venu, d’être le fer de lance d’un soulèvement populaire.

Malgré la phraséologie révolutionnaire du régime, les intérêts de l’impérialisme français au Congo étaient préservés au même titre que dans d’autres pays africains francophones. Le Congo était, à l’époque, spécialisé dans une mono-production, celle du bois, qui, en 1968, ne représentait pas 50 % de ses exportations et qui avait atteint en 1972 une proportion de 65 %. Alors que le pays apparaissait comme demandeur de capitaux sur le marché mondial, en fait il fournissait des devises à la France au travers des transferts de revenus. Après dix ans d’indépendance, la somme de ces transferts en direction de l’ancienne métropole restait supérieure à la valeur des investissements effectués dans le pays. Le Congo apparaissait aussi comme un excellent marché d’exportation pour la France, qu’il est resté jusqu’à présent comme le montrent les données publiées par France Diplomatie : Exportations françaises vers le Congo : 520 M€ en 2016 (654,7M€ en 2015) (DGT)  Importations françaises du Congo : 41,8 M€ en 2016 (88,2 M€ en 2015) (DGT).

Si cette situation est intéressante pour l’impérialisme français et ses partenaires européens, elle profitait également à cette catégorie sociale qui tenait les rênes du pouvoir dans l’administration et l’armée, constitué de fonctionnaires pour la plupart corrompus profitant de leur position pour faire fructifier des commerces parallèles, d’officiers et de tribalistes, que le M22 avait dénoncé sous le nom de « bourgeoisie bureaucratique, militaire et tribaliste » (OBUMITRI). Le budget, dont la moitié était allouée aux salaires et soldes des fonctionnaires et militaires, était alimenté pour 70 % par les droits de douane, eux-mêmes largement dépendants du commerce néo-colonial. Les taxes à l’importation (principalement produits manufacturés et articles de luxe) représentaient 80 % de l’ensemble des droits de douane perçus. Que l’on compare ces données aux prétentions du régime de « construire le socialisme », et la nature de la réalité de la République « populaire » du Congo ne pouvait plus faire de doute.

C’est aussi sur des mots d’ordre dénonçant cette même « bourgeoisie bureaucratique » stigmatisant l’enseignement néo-colonial au Congo, mettant en garde contre le caractère mystificateur de la propagande du régime, que les élèves de l’ensemble du pays vont déclencher une grève générale en novembre 1971. Les prises de position des lycéens vis-à-vis de la gauche participant au pouvoir laissaient percer leur soutien vigilant en même temps que leur détermination à faire cesser toute ambiguïté. Un appel était clairement lancé en direction de cette gauche : « Quant aux camarades progressistes du parti étouffé par la réaction.. Ils doivent compter sur les militants de l’U.G.E.E.C. (Union Générale des Etudiants et Elèves Congolais)  et nos combattants de l’A.P.N. (Armée Populaire Nationale) ; car l’heure de tracer une ligne de démarcation nette au sein et autour du parti a sonné… La grève continue ».

La gauche, ainsi mise au pied du mur, se révélera-incapable de répondre à cet appel. La grève sera réprimée par l’armée, qui fera un mort par balles dans les rangs des lycéens de Pointe-Noire.

Au sein de l’appareil d’Etat, la lutte des lycéens renforçait de façon décisive la ligne de démarcation entre la droite et la gauche, la première accusant la deuxième d’être à l’origine des troubles, la seconde essayant de se regrouper pour échapper a la liquidation que lui promettaient les éléments les plus réactionnaires de l’état-major. Pendant trois mois, les rumeurs de coups d’Etat de droite ou de gauche vont se succéder. Le 22 février 1972, une fraction de la gauche, dirigée par Ange Diawara, tente de passer à l’action. Mais la répression est immédiate. Elle s’abattra aussi bien sur ceux qui ont participé à l’action que sur ceux qui, sans y contribuer, y étaient favorables comme l’ex-premier ministre Noumazalaye lui-même. Sur ordre des officiers supérieurs de l’armée, trois révolutionnaires civils, dont le chanteur populaire Franklin Boukaka, sont sommairement exécutés. Ange Diawara réussit à gagner la proche campagne avec quelques-uns de ses camarades. A Brazzaville,  le bataillon d’infanterie, bastion de la gauche, était aussitôt dissous.

Des considérations diplomatiques, le poids d’une opinion internationale vite alertée et surtout la menace de voir son pouvoir brusquement déséquilibré par l’influence désormais sans contrepartie de l’extrême droite militaire et tribaliste, pousseront le président Ngouabi à la modération : une première révision du procès des inculpés porta le nombre des condamnés à mort de cinquante-six à une vingtaine, qui verront, dans un deuxième temps, leur peine commuée en détention a vie.

Ainsi amputé de son aile gauche à partir de février 1972, le régime congolais va cependant essayer de manifester sa volonté de continuité. Au niveau du langage d’abord, on continuera à parler de marxisme-léninisme, de socialisme scientifique et de drapeau rouge.

Le maintien de ces formes n’excluait évidemment pas une évolution du pouvoir vers des structures et une politique droitière. La dictature du prolétariat s’était progressivement transformée en dictature tribaliste. Constat de l’échec de la gesticulation entre deux modèles économiques – capitaliste et socialiste – opposés. On ne pouvait oublier que le commandant Ngouabi avait été porté à la présidence, en 1968 (à la chute de Massamba-Débat) par une coalition comprenant en principe trois composantes. La première et la principale était l’armée, forte de 5 000 hommes, et qui représentera pour la première fois, en 1972, le premier poste budgétaire au détriment de l’éducation nationale. Ngouabi lui-même, avec quelques personnalités considérées à l’époque comme relativement progressistes, était censé la représenter. La seconde, la défense civile incarnée par l’un des chefs historiques de la gauche, Ambroise Noumazalaye, et dirigée effectivement par Ange Diawara, constituait la branche armée de l’organisation de jeunesse du parti unique d’avant 1968, la J.M.N.R. A l’intérieur de cette défense civile, la gauche avait investi l’essentiel de ses éléments. Enfin, la troisième composante, baptisée « forces progressistes », était représentée par une autre figure traditionnelle de la gauche congolaise, Pascal Lissouba. Cette dernière formation sera écartée du pouvoir en 1969, à la veille de la création du parti unique, le Parti congolais du travail, au sein duquel entreront en ordre dispersé les militants et les cadres de la gauche, après avoir dissous leurs organisations, et en particulier la célèbre défense civile.

Le commandant Ngouabi se retrouve donc, en février 1972, à la tête d’un pouvoir dans lequel, malgré le maintien de certains intellectuels isolés, l’influence des militaires et des tribalistes n’était plus contrebalancée. Les Yhombi, les Sassou et les Ondjele, les revanchards, devenaient les hommes forts du P.C.T.

Tout au long de l’année 1972, alors que l’appareil d’Etat allait être investi d’éléments tribalistes appartenant aux ethnies du Nord, le régime allait tenter de rétablir un simulacre de contrepoids de « gauche ». C’est ainsi que l’un des détenus politiques modérés du 22 février 1972, l’ex-président Raoul, sera remis en liberté ; qu’à une conférence nationale, il sera fait appel à la participation de l’une des seules formations n’ayant jamais ménagé ses critiques au pouvoir, l’A.E.C. (Association des Etudiants Congolais), qui en profitera d’ailleurs pour dénoncer publiquement le régime ; et que surtout, lors du congrès extraordinaire du Parti congolais du travail en décembre 1972, le comité central s’ouvrira au groupe Pascal Lissouba.

Moins de deux mois après cette tentative de libéralisation, un coup d’arrêt brutal y était donné. Le « complot », providentiel pour le maintien de l’hégémonie des officiers de l’armée, amalgame dans une même charretée Lissouba, Sylvain Bemba (ministre de l’information), soldats, paysans, lycéens congolais et professeurs français. Le plus clair du discours que prononcera Ngouabi le 23 février 1973 servira à démontrer, Marx, Lénine et Mao à l’appui, que le régime restait déterminé à « construire le socialisme », que la crise économique menaçante (le manioc, denrée de base, avait triplé de prix en un an, et toutes les entreprises d’Etat étaient déficitaires) n’était pas catastrophique et que, enfin, la lutte était menée contre les fonctionnaires auxquels on enlevait, mesure « révolutionnaire », leurs voitures de service et leurs indemnités.

Si le commandant Ngouabi avait tant besoin de rassurer, c’est que l’absence de la gauche du pouvoir avait contribué à balayer les illusions. Le Tribalisme devenait le seul point d’ancrage d’un pouvoir moribond après avoir liquidé les forces de droite et de gauche, symboles d’une démocratie naissante pour entrer dans une dictature autocratique et tribaliste, parachevée par Sassou.

Face à ce monde de virtualités, le marxisme-léninisme du commandant Ngouabi était seulement de la « démagogie ».  La symbolique constituait un langage qui, sans être trop gênant pour l’extérieur, était signifiant à l’intérieur ; il fournissait une explication simple aux difficultés présentes et dessinait des issues précisant les responsabilités de chacun dans un discours d’enfumage, destructeur pour l’économie.

A tous les niveaux où ils se situent, les Congolais se trouvent toujours en face d’univers inaccessibles. La ville, par le mirage qu’elle constitue pour une campagne oubliée, ne fait qu’aggraver la crise urbaine et la crise rurale, favorisant les explosions qui ne sont ni totalement anomiques, ni totalement structurées ; manquant de moyens matériels et humains compétents (le patronage par affinités éthniques ne peut aboutir qu’à cela), les gouvernants ne peuvent guère détruire des images puissantes ou contraindre des réalités dont les centres leur échappent. Vouloir imposer des images plus fortes n’est pas sans danger : Youlou en avait fait l’expérience avec le légendaire barrage du Kouilou et Lissouba avec le pétrole de Pointe-Noire qui appartenait à Elf  (Total); à l’enthousiasme de la découverte succèdaient des inquiétudes quant aux conditions d’exploitation. Tout le monde sait que les propriétaires réels des ressources ainsi découvertes ne leur laissaient que des miettes. Chercher à s’inscrire dans un débat politique objectif et constructif, ils ne le peuvent embrigadés par des partis politiques éthnocentrés (PCT, MCCDI, UPADS …), passibles de la Cour Pénale Internationale (CPI) parce que, pour satisfaire leurs ambitions politiques les enrôlent dans des milices pour tuer d’autres Congolais (100.000 selon certaines publications). Charles Taylor, Libéria, impliqué dans la guerre civile sierra-léonaise qui a duré plus de dix ans, en 2012, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone le reconnaît coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre et l’a condamné à une peine de 50 ans de prison. Les Congolais devraient avoir ce courage pour sortir du cycle mortifère des guerres.

Ne sont-ce pas là les véritables piliers de ce système qui bloquent la volonté des Congolais pour s’émanciper d’un système qui les opprime et les tue ? La décadence du système éducatif éloigné des réalités culturelles, « acculturant » et déstructurant, imposé par l’ancienne puissance coloniale, n’est-il pas la cause de toutes ces dérives ? Une jeunesse non instruite est comme une pâte à modeler que l’on peut manipuler à volonté. C’es ainsi que cette déliquescence a fait se recentrer la jeunesse autour du lien qui reste le plus fort et le plus sûr, l’éthnie. Les originaires de la partie septentrionale du Congo ne seraient-ils lancés dans l’opposition contre Sassou si le général Mokoko n’était pas embastillé par ce pouvoir, les Bakongos-laris seraient-ils restés dans une attitude d’attentisme si Kolelas était à la place de Mokoko et les Tékés se seraient-ils impliqués dans la lutte contre cette dictature si Sassou n’avait pas, successivement, embastillé Okombi et tué Ntsourou ? La réponse est, a priori, négative. Dans ce contexte, l’on peut noter que les Congolais s’organisent pour désintégrer le système Sassou mais ils savent aussi que l’éthnie sera l’ultime refuge. Pour conjurer ce malheur annoncé, les forces d’avant-garde de chaque éthnie doivent prendre leurs responsabilités pour mobiliser leurs « co-régionnaires ». Le système d’éducation hors sol a certainement contribué à ce délabrement.

Effectivement, les manuels utilisés dans les écoles sont en grande partie les écrits produits par des auteurs non-africains et dans des univers loin des référentiels africains. Là où l’élève ou l’étudiant français baignait dans un monde auquel il pouvait s’identifier facilement, l’africain devait déployer plus d’énergie et d’attention pour assimiler des concepts éloignés de son univers. Nous pouvons citer, entre autres, « Le misanthrope » de Molière, « Le Cid » de Corneille, « Madame Bovary » de Gustave Flaubert, « Apologie de Socrate » de Platon. Nous ne disons pas qu’il faut exclusivement des écrits d’auteurs africains mais lorsque ceux-ci sont sous-représentés, cela dénote d’une « domination symbolique ». Egalement, dans les enseignements, de philosophie par exemple, sont glorifiées les pensées de théoriciens de l’inégalité des races à l’instar de Montesquieu, connu pour avoir théorisé la séparation des pouvoirs dans une république.

Au sujet des Noirs, il déclarait pourtant dans son ouvrage phare De l’esprit des lois: « On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être sage, ait mis une âme bonne, dans un corps tout noir. (…) Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens ».

Nous pensons que l’on ne peut pas continuer à vivre dans le masochisme le plus vexant car il n’est pas bénéfique pour l’Afrique et les Africains eux-mêmes. L’éducation, en Afrique, a besoin d’un autre paradigme. Elle a besoin d’être réformée afin qu’en résulte des hommes avertis et prêts à développer le continent africain. Comme le soutient le Mbombog Mbog Bassong « ça n’existe pas un peuple qui se développe sans sa pensée (…). Or, le monde arabe a une pensée arabe, le monde asiatique a une pensée asiatique, le monde occidental a une pensée occidentale et le monde africain a une pensée européenne. Cherchez l’erreur. Toutes assises sur des religions, parce que c’est la religion traditionelle, sauf pour l’Afrique, qui confère la pensée ». L’éducation est la mère des batailles dont dépendent tous les objectifs d’émancipation et de développement mental qui impulse et pulse toutes les décisions politiques, économiques et sociales. L’héritage colonial a structuré l’Afrique subsaharienne en deux grands blocs principaux avec des caractéristiques et comportements variant selon que l’on est dans le bloc des « Francophones » ou des « Anglophones » qui imprègnent nos modes d’organisation politiques respectifs, l’unité du sous-continent en est rendue encore plus difficile. Dans l’Afrique francophone, l’organisation du gouvernement jusqu’aux intitulés des ministères, la structure des constitutions, le système éducatif (en dehors de la curiosité de la division du CP en deux classes : CP1 et CP2), les parlements (Sénat et Assemblée nationale), la langue principale d’acquisition des apprentissages et des compétences, le jacobinisme et l’organisation des institutions et de l’administration sont les copies conformes du système français. Rien d’étonnant, dans ces conditions, de voir les Congolais attendre le « deus ex machina » providentiel de la France !!!

Sources consultées

Monde diplomatique : Archives Congo Brazzaville de 1963 à 1973

http://journals.openedition.org/histoire-education

Par David LONDI

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12 réponses à Le système éducatif, héritage de la colonisation ! Par David LONDI

  1. Lilou dit :

    Enfin un article intéressant ! Très bonne analyse ! Il est temps que le Congo se concentre sur sa glorieuse histoire, le Congo a une culture riche des langues belles… Au lieu de se glorifier parce que soi disant on parle le français, il est temps que le congolais se recentre sur lui meme, rend hommage à ses ancêtres comme le font les autres pays comme la France, c’est tellement pitoyable de voir comment les congolais envient la France et la glorifie et dénigre leur propre culture… J’espère que le congolais va changer de paradigme et commencer à s’aimer

  2. Anonyme dit :

    D. Londi a dit: « les manuels utilisés dans les écoles sont en grande partie les écrits produits par des auteurs non-africains et dans des univers loin des référentiels africains. »
    Le Congo-Brazzaville a vécu une amère expérience en voulant remplacer les manuels dits de l’ère coloniale par la fameuse « Oko montre la mer à Tati » . Ces éléments culturels pourtant issus du terroir congolais ont produit des contresens. Culturellement, géographiquement, un Oko ne peut mo ntrer la mer à Tati à moins que cela réponde d’une récupération politique et politicienne. On le voit, les africains eux-mêmes ont été les bourreaux de leur système éducatif.

  3. David Londi dit :

    @Anonyme,

    Oui, bien sûr, réécrire l’histoire pour célébrer ou imposer l’hégémonie d’une ethnie ne peut être souhaitable. L’Histoire du Congo, la vraie, existe. C’est celle-là qu’il faut mettre en avant. Ce que vous dénoncez est dû aux errements d’un complexe qui trouve son exutoire dans l’idéologie du tribalisme. Il faut créer une commission d’intellectuels compétents dans les domaines couverts par le système éducatif pour produire des programmes scolaires conformes aux réalités du pays et objectifs de développement comme cela se fait dans les pays démocratiques.

  4. mwangou dit :

    Londi dit : »Il faut créer une commission d’intellectuels compétents dans les domaines couverts par le système éducatif … ». Il est à craindre que vouloir trouver des intellectuels compétents au Congo soit un gag. car il est presque certain que nous africains, avons du mal à maîtriser une compétence qui, chez nous, se confond trop souvent avec le diplôme.
    Ceci étant, mon cher londi, vous avez dans vos mains l’histoire du Congo; il faudra peut-être songer à la mettre à la disposition du plus grand nombre, par les voies appropriées. Votre analyse, ici, comme bien d’autres sur tant de sujets sur le Congo que vous avez déjà livrées, est très enrichissante, surtout qu’elle s’appuie sur l’histoire politique. Bien du courage et que votre dévouement pour ce pays soit pour nous autres une opportunité d’engagement pour la cause de ce pays qui se meurt.

  5. David Londi dit :

    @Mwanguou,

    Le savant sénégalais Cheikh Anta Diop disait : « Il n’y a qu’un seul salut, c’est la connaissance directe et aucune paresse ne pourra nous dispenser de cet effort. Il faudra absolument acquérir la connaissance directe. A formation égale, la vérité triomphe. Formez-vous, armez-vous de science jusqu’aux dents ».

    Votre remarque sur l’Africain qui a le diplôme mais n’arrive pas en exploiter tout le potentiel est certainement le fait le plus marquant des comportements de nos élites. Le diplôme est une finalité en soi alors qu’il devrait être un passeport vers la création, l’inventivité et la transformation. Le diplôme devient une chaire du haut de laquelle on donne des leçons à la masse que ces « doctus cum libro » ne comprennent même pas les aspirations profondes. Dommage !
    En serions-nous là dans la manipulation ou l’embrigadement de la jeunesse par des assoiffés du pouvoir si celle-ci était éduquée et donc capable de faire des choix conscients au lieu de servir de la chair à canons pour des appétits politiques des criminels en costume qui instrumentalisent le tribalisme ? Je ne pense pas.

  6. mwangou dit :

    Voilà, vous avez bien circonscrit le problème : « Le diplôme est une finalité en soi alors qu’il devrait être un passeport vers la création, l’inventivité et la transformation. » C’est bien cela, la victoire du système colonial sur nous. C’est cela qui permet à l’ancien colonisateur de se frotter les mains, en se disant qu’il n’y a pas de limites à ses désirs d’exploitation de ces pays anciennes colonies. Il ne nous reste qu’à pleurer, car les individus comme Cheikh Anta Diop et notre André G. Matsoua national, sont finalement, des exceptions qui confirmeront pour longtemps encore le fait regrettable parce que dommageable du « diplôme » comme « chaire du haut de laquelle on donne des leçons à la masse que ces « doctus cum libro » ne comprennent même pas les aspirations profondes. Dommage ! ».
    Je vous en prie mr Londi, ne massacrez pas mon nom… Dans l’alphabet kongo, même si c’est du néocolonial avéré, la lettre « g » se suffit à lui-même pour se prononcer « gue » par ex., « ga », de sorte que « gua » devient « goua »; « ga » ne saurait se confondre à « ja ». Ca donne bien mwangou, ici toujours européanisé, puisque on aurait pu écrire « mwangu ».
    Bref! vous avez mon soutien pour donner forme plus utile à toutes vos contributions de très haute facture à la cause du Congo…

  7. David Londi dit :

    Cher Mwangu,
    surpris par le nom de Matswa à côté de C. Anta Diop. L’étonnement passé, je dois vous dire ma reconnaissance pour cette réhabilitation de Matswa que beaucoup assimilent au fameux « messianisme » (encore une influence de Balandier) alors que ce monsieur est un véritable heros congolais, voire africain, qui a passé sa vie à défendre les intérêts des colonisés l’A.E.F. (Afrique Équatoriale Française). Les uns et les autres devraient relire sa biographie pour établir dans ses droits de militant pour la libération des peuples des anciennes colonies. Ici aussi l’oeuvre de discréditation de toutes celles et tous ceux qui lui ont opposé une résistance forcenée. Il est mort aux bagnes, loin de son Congo natal.
    J’ai aussi souligné, dans mon article, le comportement prédateur d’une fonction publique pléthorique. En effet, le seul objectif que se donnait le jeune diplômé était d’intégrer cette fameuse fonction publique au lieu de développer des ambitions d’entrepreneuriat. Cette vision vient valider que le système hérité de la colonisation continue à structurer le contexte politique et social de ce pays. En effet, le colon avait besoin d’une administration publique organisée pour le seconder dans l’exploitation et le shipping des matières premières pour une transformation en métropole. Impacts : une fonction publique pléthorique et une industrie rikiki. Les jeunes diplômés d’aujourd’hui continuent à rêver d’une intégration dans la fonction publique qui reste, à 80%, le premier poste budgétaire alors que nous importons environ 80 % des biens consommés dans le pays. Cherchez l’erreur, cherchez Mwangu !

  8. tintin au Congo dit :

    Merci David, de rafraîchir par ce rappel historique, nos mémoires ankylosées et plongées dans une léthargie profonde, tout en nous incitant à faire chacun notre brain-storming sur le passé de notre pays, pour en extraire la quintessence. L’exemple asiatique tombe à propos. Pour avoir discuté avec une coréenne, l’éducation a été la clé de voûte de leur essor. Là-bas la compétition est féroce pour figurer au tableau d’honneur. Mais hélas! Que dire du système éducatif congolais! La méritocratie est une valeur dont il faut s’éloigner comme de la peste. Prime à la médiocrité ou alors c’est motus et bouche cousue pour quelques érudits gagnés par la corruption. Le tyran au cœur d’airain nous a déjà fait vivre un demi-siècle d’airain. Culturellement, nous allons sous un ciel d’airain vers un désert spirituel (au sens non religieux bien sûr). Autour du tyran, il y a une collectivité, une noria d’intellectuels qui taillent, qui coupent méthodiquement, et à la tronçonneuse s’il le faut, toutes les structures pédagogiques qui ont d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui, dans le but non avoué d’éviter une nouvelle émergence intellectuelle dans des parties géolocalisées. Dans une interview accordée à Lucien Pambou, le tyran d’Oyo au coeur froid reptilien, regrettait le les temps où le Congo avait un taux de scolarisation avoisinant les 100%. Quel cynisme!

  9. David Londi dit :

    @tintin au Congo,

    nous sommes tous d’accord sur le diagnostic : l’éducation est la mère des batailles dans un monde qui devient progressivement un grand village. La capacité de choisir est proportionnelle très souvent au niveau intellectuel. Abruti, le peuple est malléable et manipulable à souhait. Ceci, le colon l’avait compris. Nous en payons encore le prix qui, chaque jour est de plus en plus élevé. Nous avons raté l’ère industriel maintenant nous sommes en passe de rater celle de l’information. L’avenir s’assombrit. Dans ce tunnel, il nous reste encore des millions de km pour apercevoir la lumière. Effectivement les NPI ont su tirer leur épingle du jeu par une prise de conscience très tôt sur la nécessité de bien former sa jeunesse et ils en récoltent maintenant les fruits.

    Merci Tintin !

  10. Anonyme dit :

    J ai lu cet article ce vrai que la scolarité n a pas encore trouve ça place dans notre paye comme dans le temps jadis mais ça va changé un jour si nous nous décidons d aller en avant prenant l exemple des chinois qui ont été colonise comme nous et voici de nos jours c est à nous d allé en avant pa la scolarité

  11. David Londi dit :

    @Anonyme,

    le système éducatif dépend de toute une politique mise en place par les responsables politiques, en l’occurrence le gouvernement. C’est le sens de la lutte que nous menons. Le changement ne viendra que quand nous aurons décidé de désintégrer cette dictature !

  12. Bulukutu dit :

    Merci de nous faire part de ce concentré historique sur l’ère Ngouabi. J’avais dans un autre post, demandé à ce que l’on fasse le bilan de l’ère Ngouabi, au regard de ce qui nous arrive aujourd’hui. Les paradoxes idéologiques et économiques de cette période montrent à quel point, nous naviguions dans un contexte dont nous ne maîtrisions pas toutes arcanes: une armée d’idéologues, qui une fois confrontés à la réalité de l’exercice du pouvoir, n’ont pas su transcender leurs limites. Le mimétisme était à tous les niveaux dans l’inconscient collectif et nous en payons encore le prix. Mais 50 ans après, peut -on encore parler du complexe du colonisé? La perpétuation d’un système de gestion qui a montré ses limites à plus d’un titre, ne relève plus de la politique, mais de la psychologie, voir de lapsychiatrie.

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