LE SENTIMENT REGIONAL … N’EXISTE PAS : REPONSE AUX ADEPTES DE ‘LA SCISSION’ , Par le constitutionnaliste Félix Bankounda-Mpélé

Répétition ne fait pas vérité, ou encore, la répétition d’une erreur n’en fait pas une vérité. Telles sont les leçons élémentaires, souvent soulignées et censées pourtant être connues de tous, mais que certains gagneraient à se rappeler. Doutant de la bonne foi de ses détracteurs, le président américain Franklin D. Roosevelt, en son temps et à ce propos, clairement, assénait, dans une formule devenue célèbre, que « la répétition ne transforme pas un mensonge en vérité ».

Alors, erreur, mensonge, mauvaise foi ou bêtise ?

C’est devenu une habitude. Après chaque réflexion en ligne, certaines personnes, dont le profil est facilement imaginable, sans même lire ladite réflexion, se lancent à l’assaut pour infliger le même slogan : la scission.

En vrac, les termes sont souvent les suivants : « la solution pour la paix définitive au Congo c’est la scission… » ! « Trois peuples (Ngala, Téké, Kongo)… et donc trois républiques » !, « la scission du pays n’est pas un problème mais une solution pour sauver des vies humaines » ! Plus loufoque, et frénétiquement, « objectif Léfini » pour désigner une virtuelle frontière !

Et de noter comme preuve de la solidarité du groupe Ngala, notamment, le fait qu’ « il n’y a eu qu’un seul candidat du nord aux élections de 2002… pour faire un front uni… et avoir les chances de ne pas perdre…, au risque de ne même pas franchir le premier tour », créditant ainsi, inconsciemment et contradictoirement, lesdites élections, alors qu’il souligne par ailleurs que « Sassou Nguesso n’est pas prêt à organiser une élection [transparente] » ! Dénué du réflexe scientifique de la nuance, pas un seul instant ne vient à l’esprit dudit ‘expert’ que la raison en est peut-être que, mieux que quiconque, lesdits ‘Ngala’ savaient que l’élection en cause n’était qu’une vaste farce, qu’il souligne pourtant, et qui ne pouvait qu’être dissuasive à toute candidature. Convaincu et gangrené par le tribalisme et le régionalisme, alfa et oméga des catégories de sa méthode, il y voit ainsi le complot de tous les Ngala qui, par ricochet, a suscité « l’assentiment de tout le peuple du sud Congo parce qu’ils en ont marre » ! Comme il fallait s’y attendre, il en a résulté un véritable festival des illuminés où nombreux sont venus se vider sur la toile !

Ni démonstration sérieuse, ni même simple cohérence, les affirmations crucifieraient tout spécialiste des sciences humaines et sociales. De telle sorte que, objectivement, tout connaisseur de la chose, mais surtout tout africain conscient autant des enjeux du continent que du courant mondial depuis belle lurette et davantage présentement, ne pouvait que, temporairement tout au moins, détourner ipso facto son regard : débats de café ou de la rue, une fois de plus, comme certains africains en raffolent, inaptes à la rationalisation, à la comparaison, au diagnostic, à la minutie, et surtout, éternels prisonniers de l’émotion, du passé, de la palabre et de l’obscurantisme, et donc manipulables aisément.

Car, ceux qui auront certainement pris leur pied de ce sinistre festival, ce sont certainement les ennemis de la démocratie qui trouvaient dans la séquence le justificatif et la démonstration de l’immaturité des congolais à la démocratie.

Se pose par ailleurs, dans l’intérêt même de ses défenseurs, la question de l’efficience. Car, bombardée comme telle, le seul objectif qu’atteindrait la potion ne serait que le ras-le-bol, sinon l’overdose, révélant ainsi une attitude plutôt irrationnelle ou pathologique de ses tenants.

Ainsi, moins que la mauvaise foi, lesdites affirmations relèvent plus de la bêtise et des élucubrations, comme il nous était arrivé de le constater il y a deux ans exactement (cf. « La bêtise et les élucubrations de RPP », juin 2010, en ligne). ‘La scission’ c’est le saut extrême de ‘la tribalité’ , non pas théorisée mais affirmée principalement par le même tenant, membre dépité du MCDDI, et ancien membre du CSR selon ses propres dires, et sur laquelle nous répondions, franchement mais tranquillement, que « Si la présidence actuelle au Congo était exercée exclusivement ou même essentiellement pour le nord ou pour Oyo, …, cela se saurait et se verrait et, puisque ce n’est pas le cas, manifestement, sa proposition est vidée de tout son sens car, faute d’un Etat bien construit, avec des institutions fortes …, ce serait l’éternel recommencement, avec les mêmes maux, à des différences de degré seulement ». Ou encore que  « les assertions simplistes et réductrices …, sous le couvert de ‘la tribalité’, cachent mal, tout simplement et honteusement, le tribalisme ou le régionalisme, l’incapacité à appréhender le phénomène politique congolais que par  le discours de la rue ».

L’intéressé, sans esquisser un début de réponse, s’était borné à réaffirmer sa position, sans argumentation. Point n’était donc besoin d’y revenir. Pour deux raisons cependant, la volte-face s’est imposée.

D’abord, pas clairement revendiquée, la thèse de la scission est en réalité, en dehors du défoulement, un chantage déguisé de ses tenants à l’endroit de celui des tenants du pouvoir qui, cyniquement, opposent perpétuellement comme offre ou réponse à la revendication démocratique du peuple, la guerre ou la dictature. De ce point de vue, les deux démarches consacrent, en quelque sorte, le carrefour des illuminés auquel un esprit rationnel, sans y participer, se doit néanmoins de dénoncer.

Ensuite, relevant principalement de l’émotion et non de la démonstration, avec l’effet de contagion que cela suppose auprès de nombreux des compatriotes subissant violemment la charge dictatoriale et humiliante du régime, les réactions émotives, sous le couvert de cette thèse, se multiplient. Celles-ci, quoique compréhensibles à certains égards, demeurent néanmoins indéfendables parce que contre-performantes, comme le démontre une autre et récente intervention (cf. « Les Congolais pris au piège d’une mise en scène électorale » en ligne), peu ordinaire, puisque œuvre d’un officier supérieur de l’armée à la retraite, selon ses affirmations.

C’est, ainsi, plus spécifiquement ce dernier, plutôt de bonne foi, qui sert de prétexte à la ‘réponse aux adeptes de la scission’.

Réagissant à chaud sur l’organisation des élections législatives du 15 juillet dont il relate et dénonce avec véhémence les fourberies, et sur lesquelles il nous a été donné d’exprimer nos réflexions d’ordre général (cf. « Couvre-feu illimité sur la politique », en ligne), il termine son propos, regrettablement, par une double affirmation controversée : « Je le redis pour terminer mon propos, le projet national est désormais sans avenir, il nous faut nous séparer, soit par l’autonomie des régions, soit par le fédéralisme. Il nous faut, c’est désormais urgent… ».
Voilà le risque, quand on mélange analyse et émotion! Beaucoup de passages pertinents de ce texte sont ainsi gâchés par le fait que l’auteur, même si on peut comprendre sa rage, n’a pas su garder sa tête froide, alors que les instigateurs perpétuels de la bêtise et du crime au Congo, eux, machiavélistes étroits, prennent souvent le temps de réfléchir au geste qu’ils vont poser, même s’ils ne s’embarrassent jamais de la raison, de l’éthique, du droit et de la légitimité!

A l’œil nu, on s’aperçoit tout de suite de la confusion dans l’extrait rapporté. Le fédéralisme prôné, qui suppose la cohabitation de plusieurs Etats, avec leurs spécificités, sous la souveraineté d’un Etat central dit fédéral, est incompatible avec la séparation ! Qu’est-ce donc que l’auteur entend par ‘autonomie’ puisque les deux seules modalités de mise en œuvre de celle-ci sont la décentralisation (dans un Etat unitaire) ou le fédéralisme dont on vient de résumer le principe majeur d’organisation ? Aucune des deux ne signifie ‘séparation’ !

Indiscutablement, l’auteur, infecté et victime de la thèse impudente et irrationnelle exprimée et rappelée ci-dessus des partisans de ‘la scission’, version aiguisée de ‘la tribalité’, trempe, inconsciemment, du fait de la rage, compréhensible, qui transparaît à chaque ligne de son document, dans la méprise. Les deux discours, ou chantages mutuels, de la ‘scission’ d’une part et de la guerre ou la dictature d’autre part, sans avenir parce qu’ils procèdent respectivement d’un mauvais diagnostic et d’une stratégie despotique, sont toutefois plus favorables au pouvoir établi qui les impulse, et prennent la grande majorité de la population, inapte au discernement, en otage.

Ainsi, et brièvement, on n’assénera jamais assez les évidences suivantes :

1°- En dehors du domaine culturel, l’esprit régional, homogène et autonome, en politique, n’existe pas, est une naïveté puisqu’il n’est soutenable qu’en l’absence d’un pouvoir. Bien sûr, on peut longuement discuter sur la dialectique du ‘culturel’ et du ‘politique’, sur la tendance du dernier à mouler le premier et sur celui-ci à imprégner les comportements politiques. Il reste que, de façon générale, la culture rapproche tandis que la politique ou le pouvoir éloigne. Dès que celui-ci y apparaît (dans la région), la réalité du pouvoir observée à l’échelle de l’Etat s’y transpose, avec, hors démocratie, toutes les mésaventures que l’on connait, avec peut-être seulement des différences de degré, mais pas de nature en tous cas. Thierry Michalon, notamment, qui a longtemps soutenu ce point de vue dans l’ouvrage « Quel Etat pour l’Afrique? » (L’Harmattan, 1984) a, depuis, révisé son discours, s’étant rendu compte justement de son mauvais diagnostic à cet égard (Monde Diplomatique, Janvier 1998)
L’esprit ou le sentiment prétendument régional, en politique et en Afrique, n’existe et ne trouve son fondement que par opposition, résistance, frustration ou réclamation à l’égard de l’Etat qui, en raison de son mode de fonctionnement, de son exogénéité, de sa nature dictatoriale, consolide, spontanément ou par stratégie, l’esprit de région. C’est en cela qu’il apparaît homogène, manque d’autonomie, et disparaîtrait naturellement avec le risque de se déliter, dans l’hypothèse de l’érection des régions en Etat, sans démocratie. D’où l’exigence prioritaire de la démocratie à l’exclusion d’autres dérives

On comprendra ainsi, logiquement, pourquoi, dans le contexte de la dictature comme au Congo, la tendance à la consolidation de l’esprit régional des populations locales non au pouvoir, semble aller de pair, au contraire, avec l’atténuation de l’esprit régional ou sa confusion ou dilution dans l’esprit du pouvoir, dès lors que celui-ci en est ressortissant. Pour le moment du pouvoir tout au moins. L’hypothèque étant le risque de désagrégation dans la situation post-pouvoir, comme ne le dément pas la petite histoire de toutes les régions (dans l’esprit congolais) qui ont exercé le pouvoir. Parce que, à ce moment, transparaît la dure et universelle réalité du pouvoir, selon laquelle les élites abusent presque toujours de ceux qu’elles sont censées représenter !

2°- Le nord ou les mbochis, pour reprendre les termes de l’auteur, procède d’un regard extérieur qui est une caricature parce qu’il confond les populations qui le composent avec la grande majorité (pas toute) de l’élite qui la constitue qui, calculatrice, égoïste, situationniste, manipulatrice et surtout vénale et de mauvaise foi, multiplie les stratégies pour maintenir la dictature et maximiser ses profits.

Car, elle, elle sait que cette situation ne durera pas et distribue quelques postes et prébendes auprès de sa base sociologique mais aussi des ressortissants et des élites d’ailleurs, et des amis, pour préparer le marchandage de la situation de l’après-faillite du système. Mais aussi parce qu’aucun pouvoir, même avec des milliards de pétrodollars comme celui de Brazzaville, n’en a assez pour distribuer à toute une ethnie, et encore moins à toute une région. Quand bien même il en aurait, il ne le ferait pas puisqu’il y perdrait de sa domination. Parce que, un aspect souvent omis de cette accumulation, c’est le complexe de domination, né du statut d’ancien dominé et de l’origine modeste ou pauvre, de l’esprit de « bourgeois non-authentique » comme dirait Max Weber, qui explique que pour ceux-ci, vivre ou exister c’est flamber, s’exhiber voire narguer et humilier parce qu’ils n’ont pas la culture modeste ou normale de l’être authentiquement riche.

Dans cet esprit, ces nouveaux riches et autocrates mettent grosso modo dans le même panier nordistes et sudistes et, la petite distribution auprès des uns et des autres, certainement plus à l’endroit des premiers, ne procède que de la stratégie.

3°- Enfin, le coup d’Etat tribal ou régional n’a jamais existé et n’existera jamais. Il y a certainement des adhésions, plus nombreuses mais pas exclusives, dans l’ethnie ou la région de l’auteur majeur du coup, mais pas initié ou inspiré par ou pour l’ethnie ou la région. L’adhésion plus massive des originaires de l’ethnie ou de la région de l’auteur va du degré de pauvreté ou de disette, plus globalement du degré de sous-développement politique qui a un lien avec le statut matériel, mais aussi parce que certains pensent que les « autres » ne procéderaient pas différemment. De ce dernier point de vue, un discours globalisant comme celui des tenants de la scission et d’autres est toujours une aubaine pour le groupe dirigeant, et c’est dommage.

Pourquoi les théoriciens du coup d’Etat tribal ou régional n’ont jamais expliqué la raison de la participation ou de l’adhésion, même minoritaire, au coup d’Etat des non-ressortissants de l’ethnie ou de la région de l’auteur de celui-ci ! Il semble que l’auteur énervé ait avoué (clairement ou indirectement) dans un des écrits avoir été d’accord avec ce coup d’Etat, et il n’est pas seul. « Un général dans la tourmente » (L’Harmattan, 2009), même si celui-ci, a posteriori, apparaît plus dans la posture de ‘la mouche’ de La Fontaine, ne constitue-t-il pas un démenti cinglant au postulat de la thèse sécessionniste ! Oubliant qu’un putschiste c’est en général un homme sans scrupules, qui n’est lié en raison de son mode d’accès au pouvoir par aucune règle, surtout si c’est un serial putschiste comme c’est le cas en l’occurrence. L’intérêt, voilà la raison fondamentale qui mobilise l’adhésion, et non le tribalisme ou le régionalisme naïf qui, même là encore, n’est que circonstanciel parce qu’il escompte à plus ou moins long terme un intérêt. Si, au bout d’un certain temps d’attente, l’escompte s’éternise ou est désespéré, le tribaliste le plus forcené, sauf pathologie (et il y en a, mais strictement marginal), retrouve son objectivité.

Alors, sereinement et objectivement, plus de discernement et d’autocritique, de profondeur et de patience. Ces confusions, débordements et observations épidermiques, ont déjà coûté trop chers à la cause noble, aux patriotes car les défis, nombreux, sont encore devant, sans préjudice d’introspection…

Par le juriste et constitutionnaliste , Félix Bankounda-Mpélé 

Diffusé le 29 juillet 2012, par www.congo-liberty.org

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