
Par Yvon Mounguisa-Nkwansi
L’état socio-économique de nombreux États d’Afrique noire est lamentable. Divers besoins de la vie quotidienne des populations sont pratiquement non satisfaits par les systèmes sociaux en place : les taux de scolarisation des années soixante sont en perte de vitesse ; la prise en charge médicale n’existe presque plus; le chômage atteint des niveaux record ; le tissu économique désorganisé ; l’endettement des finances publiques astronomique…Cependant, cela n’empêche dans certains de ces pays l’émergence de plus en plus remarquable de nombreuses fortunes personnelles. Ces situations se trouvent souvent chez ceux-là même qui ont la direction des affaires publiques quand ce ne sont leurs proches. À ce titre le cas du Congo-Brazzaville est très instructif.
Cet état de choses alimente depuis quelque temps diverses réactions : à l’indignation succèdent les remarques paternalistes voire racistes.
L’affirmation ou la réaffirmation des conditions de naissance des États africains semble, dans ces circonstances, une exigence pour dissiper toute légèreté sur des sujets aussi essentiels que la survie de tout une partie de la population du continent.
L’examen de l’héritage d’une mauvaise colonisation, puis la marque d’un marxisme mal digéré associé à l‘impuissance de la gauche historique semblent des pistes intéressantes pour saisir le mode d’évolution actuel de la société congolaise.
Il s’agit de faire la lumière sur les causes de la déstructuration de l’appareil socio-économique en place afin, d’une part, de décomplexer les sujets et, d’autre part envisager des perspectives plus soutenables.
1°/ L’héritage d’une mauvaise colonisation française.
Le fait colonial a été très revisité ces dernières années. Cet intérêt est lié aux convulsions survenues dans la société française. Il s’agit de se demander si la colonisation a été « une bonne chose », autrement dit examiner les bienfaits qu’elle a procurés aux sujets de l’ex-empire.
Si cela suppose une demande de reconnaissance de la colonisation comme crime de quelque nature que ce soit pour les anciens colonisés, en face l’argumentaire s’organise soit pour restituer d’autres faits majeurs que le continent africain auraient subi par d’autres acteurs non européens, soit pour évoquer l’amélioration du niveau de santé et l’alphabétisation gracieusement apportée dans les territoires d’outre-mer.
Sans être dénué d’intérêt en soi, ce « débat » reste in fine inconséquent ; il n’explore pas, volontairement ou non, les véritables données du problème socio-économique à l’occasion duquel il surgit dans cette France qui peine à utiliser toutes les composantes de sa force de travail de façon maximale.
Alors, c’est de façon médiatique que l’on préfère aborder le sujet : stars contre stars, le débat est à la radio, à la télé, toutes pressées de rendre l’antenne.
Avec un peu de volonté et de courage on peut reprendre ces questions difficiles, mais très intéressantes voire capitales pour resituer les faits et relever des renseignements indispensables non seulement à l’apaisement de la société française, caisse de résonance de ces désordres, mais surtout à l’intellection des sociétés africaines y compris le Congo-Brazzaville dans les difficultés organisationnelles qu’elles rencontrent aujourd’hui.
Certes tout son passé a sédimenté nombre d’éléments qui façonnent son état structurel, mais l’histoire récente de ‘Afrique peut être une clé utile pour saisir la nature de son évolution actuelle. Partant, il est possible d’aborder au cas par cas les États du continent et d’ailleurs.
Au demeurant, qui est-ce qui composait cet « providentiel bouquet » de la mission civilisatrice? Était-ce le meilleur directoire pour garantir le meilleur résultat?
Le système colonial est une tentative générale de construction d’un appendice de l’économie de marché hors du continent européen. C’est une recherche à la fois de nouveaux débouchés pour le surplus de la production européenne, mais aussi de matières premières bon marché.
Cette «noble mission» est le fait avant tout d’industriels non d’États européens. Si les États n’ont pas conçu cette opération, ils ne l’ont pas formellement interdite et ont d’une manière ou d’une autre fini par l’endosser sous la pression de leur bourgeoisie respective.
Par conséquent, la conquête coloniale a permis à deux forces superflues à l’époque et dans leur contexte, l’argent et la main d’œuvre de se rejoindre pour quitter l’Europe ensemble. Ce débouché favorisera d’une certaine façon l’adhésion populaire de l’entreprise coloniale en revigorant le sentiment nationaliste passablement et autrement le racisme. Ainsi la conquête coloniale a mobilisé nombre de rebuts de la société européenne qui ont vu là leur chance de rédemption. De son côté, la société a cru trouvé là un moyen d’éloigner de nombreux indésirables.
En effet les années 70 du XIXème siècle ont connu de nombreux scandales financiers, banqueroutes, escroqueries etc. Le désordre économique qui en résulte va rendre disponible une grande partie des ouvriers européens. Cette masse a été facilement mobilisable pour composer les expéditions.
Ceci explique, dans une certaine mesure, l’importance de la police et de l’armée pour accompagner cette aventure. Telle a semblé la réponse adaptée pour des États européens qui ne souhaitaient pas engloutir les deniers publics dans des opérations incertaines. Tout au plus, afin de contenir les conflits générés par ces diverses opérations, ils se chargent de délimiter les sphères d’influence concédées ensuite aux industriels qui se chargeront de les valoriser[1].
Ces conjonctions plus ou moins fortuites ont œuvrées à conférer à l’aventure son caractère nationale ; ce qui aura pour effet de rendre inaudible les voix qui, en Europe même, dénonçaient ses impostures historiques.
Dans le phénomène colonial, ce n’est pas le pouvoir qui avait préparé la voie à l’investissement de l’argent, mais l’exportation du pouvoir qui suivra le chemin de l’argent exporté[2]. Dans ces conditions, l’administration coloniale n’est pas un prolongement de l’État-nation ; on peut même dire qu’elle lui est opposée, tout au moins dans la méthode. Ainsi, contrairement aux pratiques habituelles qui laissent la priorité au parlement de consacrer les questions essentielles de la vie publique, l’administration coloniale, exécutif sans contre-pouvoir, a exercé une plénitude de compétence en toute matière par l’usage des décrets.
Si d’ordinaire les instruments de la violence d’État que sont la police et l’armée sont conçus comme partie intégrante d’un régime constitutionnel et sont sous contrôle du gouvernement, du parlement, dans les colonies ils vont se suffire à eux-mêmes et représenter l’autorité d’administration à part entière. Dans les colonies, la police et l’armée ont échappées à la fois au contrôle de l’État européen d’où venaient les colonisateurs et des populations locales qui devaient subir leur autorité… leur brutalité.
C’est là un fait majeur qui a façonné en profondeur la conception de la force publique une fois venue les indépendances. En même temps, se trouve là une des sources de fragilité des démocraties européennes, car comment peut-on supporter que des institutions de l’État-nation européen soit travestis au dehors sans craindre durablement les « répliques » qui en découlent ?
Dès lors, c’est être fantaisiste, sauf grave ignorance, que de regarder les désordres des sociétés issues de la colonisation comme de simples faits a-historiques sans intérêt pour le reste de l’humanité. Tout au contraire, c’est un bouillon de culture qui révèle à la société européenne les contradictions de son propre système et de l’incohérence, en tous les cas de l’inconsistance de son ambition humanitaire dans le jeu impérialiste qui l’a conduit à annihiler les droits des peuples colonisés.
Si certains ont, de bonne foi, nourri l’ambition de propager l’esprit des lumières, la réalité et les méthodes n’ont en aucune façon illustrée cette préoccupation. Si les pratiques et réalisations de quelques personnages desquels compte Mgr Augouard[3] illustrent des expériences humanitaires, les plus significatives et les plus retentissantes restent tout de même les innombrables massacres des populations à soumettre appuyées par les hérésies des quelques imposteurs comme le père Tempels, Roger Caillois…
Voilà pourquoi Aimé Césaire a amèrement regretté « que c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est propagée ; que notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontré sur notre route… »[4]
Ainsi la rigueur devrait conduire à relever que dans le passé colonial, entre autres possibilités que recelaient la société européenne, c’est la moins féconde humainement qui s’est exprimée à souhait. Qui plus est, cette expérience est à scruter avec intérêt pour tout européen dans la mesure où elle renseigne sur les mécanismes de négation des outils de l’État-nation, et enfin de compte de l’État de droit en externalisant des illégalités qui infléchissent à terme la sécurité juridique interne. Et ces pratiques viennent toujours par intermittence faire vaciller la sérénité de la vie intérieure à travers de crises que l’on croit a priori lointaines comme celle du Rwanda.
Par ailleurs, on peut alors légitimement estimer que l’échec de cette rencontre de l’Europe avec le reste du monde n’est pas l’échec de toute forme de rencontre qui soit ; il est permis d’explorer d’autres possibilités de rencontre plus utiles humainement. Voilà ipso facto interdit tout refus inconsidéré de commercer avec l’Europe ou quiconque d’ailleurs. Le fait est d’établir un contact voulu, maîtriser.
D’un point de vue strictement organisationnel, la colonisation française a jeté les bases d’une réelle aversion au légalisme.
En France[5], la question coloniale n’a pas vraiment été consacrée par le parlement. Si elle fut évoquée en 1890 devant la Commission des colonies, le Conseil Supérieur, qui craignait de ne pouvoir surmonter les résistances au Parlement, opta pour le principe de l’attribution des compagnies concessionnaires privilégiées par décision gouvernementale (règlement d’administration) en attendant le vote d’une loi organique.
Quoi qu’il en fût, lorsque le 17 novembre 1893 le décret signé de Terrier, Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies, accorde la première concession Daumas, le projet de loi présenté par le Président du Conseil, Freycinet, n’était pas encore entré en discussion. C’est seulement en 1898 que la loi fut adoptée sur les grandes compagnies concessionnaires alors que par décret les premiers administrateurs furent désignés à titre exceptionnel, donc en toute illégalité, dès 1893 par Delcassé, Sous-secrétaire d’État aux Colonies. L’incident ne fut connu d’ailleurs que deux ans plus tard au Parlement suite aux protestations des concurrents.
Ces concessions, non maîtrisées par le Parlement, ont pourtant bien reçu la délégation des droits régaliens de l’État quant à la protection tandis que ceux de la police revenaient aux administrateurs. Cette incursion ne fut stoppée qu’en 1898 avec la loi.
En somme, ce n’est pas une politique économique en bonne et due forme qui a été confiée à des acteurs mandatés par l’État français mais l’incurie de quelques industriels appuyés par une administration qui ne se donnait pas toujours la peine de comprendre les réalités économiques qu’ils voulaient plier à leur rêverie.
Alors que la mise en valeur du Congo, d’un point de vue de l’économie marchande, exigeait des investissements considérables en homme, en argent, en travaux d’infrastructure de toutes sortes (pistes, voies ferrées, aménagement fluviaux) le gouvernement français refusait de s’engager dans cette voie. D’autre part, les sociétés concessionnaires, issues en général d’un petit ou moyen capital commercial métropolitain, n’avaient ni les moyens politiques, ni les moyens techniques d’une telle tâche, tandis que l’administration coloniale n’arrivera à collecter l’impôt qu’en employant une force militaire non l’adhésion[6]. Dès le départ l’intervention directe de l’administration coloniale se caractérise par la puissance militaro-bureaucratique et entraîne une résistance qui se traduit par la rébellion, la fuite.
L’administration coloniale qui s’est attachée à encadrer la production au Congo s’est mobilisée plutôt dans la perspective de produire des biens d’exportation pour la métropole et non pour le bien être des populations explorées. Si d’aventure, elle s’intéresse à la production de cultures vivrières c’est juste pour nourrir la force de travail indispensable à ce dessein.
La construction du chemin de fer Congo-Océan entre Brazzaville et Pointe-Noire, commencé en 1921 et achevé en 1934, va matérialiser cette grande ambition.
Partant, pour rendre disponible un prolétariat indispensable à la production, tour à tour, sociétés concessionnaires et administration coloniale vont œuvrer à la destruction de la société lignagère. Les premières vont recourir au salariat et la deuxième à l’impôt : le travail salarié comme l’impôt place tout sujet sur un même plan contrairement à l’ordre d’aînesse qui structure la société lignagère. Cependant, la relative inefficacité de la mise en valeur de la colonie va laisser le Congo-Brazzaville à mi-chemin entre système marchand et système lignager : si le salariat ne peut efficacement émanciper l’ensemble de la main d’œuvre, le lignage désorganiser n’a plus d’atout suffisant.
Toutefois, la faiblesse de l’arsenal législatif s’avérera une formidable opportunité pour maintenir la représentation nationale hors d’état de contrôler les ressources nationales du pays au profit de ceux-là même qui, soit par ignorance, soit par cynisme, jugeront que la démocratie est un luxe pour les Africains.
En somme, c’est bien l’œuvre coloniale qui a produit les conditions d’une économie extravertie et d’une administration non respectueuse des droits humains. L’État à minima que le Congo, comme d’autres États du continent, se complaît à gérer, n’est que l’émanation de ces sociétés étrangères, plus ou moins soutenues par leur État d’origine, qui veulent imposer leurs propres conditions de rétribution de matières premières et de la main d’œuvre indispensables à leur profit. Il s’agit de s’extraire de tout contrôle dans ce pillage au grand jour tant leur seul interlocuteur sont des potentats sans obligations envers leur peuple.
Dans ces conditions, ce n’est qu’au prix d’un renversement de pratiques et de sa conception qu’une administration congolaise peut être mobilisée au servir des citoyens et acquérir quelques lettres de noblesse. Qui plus est, cela ne procède pas de la simple proclamation mais de réel changement de méthode corollaire d’une administration orientée vers la construction d’un État social. Là se trouve les éléments de la feuille de route de ceux qui se veulent patriotes.
Mais la reproduction du modèle colonial a à elle seule suffit-elle à expliquer l’incapacité de la remise en cause de l’héritage économique et législatif nocif ?
Diffusé le 28 décembre 2019, par www.congo-liberty.org
LES ORIGINES DU MAL AU CONGO-BRAZZAVILLE : LE MARXISME LENINISME ( 2 ème partie ).
[1] Cf. Henri Brunschwig : « le partage de l’Afrique noire » Ed. Flammarion 1971.
[2] Voir Hannah Arendt : « les origines du totalitarisme, l’impérialisme » Coll. Points. Ed. Fayard 1951 en français traduit par Martine Leiris.pp12-16
[3] Mgr Augouard, 28 années au Congo. Lettres de Mgr Augourd, Poitiers, 1905, T II (1891-1904), cité par Catherine Coquery –Vidrovitch in « Le Congo au temps de grandes compagnies concessionnaires 1898-1930.
[4] Discours sur le colonialisme, Ed. Présence africaine 1955 et 2000, p 26.
[5] Catherine Coquery-Vidrovitch : « Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires 1898-1930. Ed de l’école des hautes études en sciences sociales. 2001.Ch. I pp29-49.
[6] Hugues Bertrand : « le Congo, formation sociale et mode de développement économique ». Ed. Maspero 1975, ch II, pp73-90.
Dans ce contexte de débat sur la maintient ou non du fcfa dans le pré carré Français, on entend de plus en plus un son de cloche curieux qui tend à expliquer que ce n’est pas la république qui a lancée la colonisation, ni la traite négrière (ces deux parenthèses historiques précèdent la révolution, donc la république). Le texte ci-dessus s’inscrit dans cette logique. Mais au final, cela ne change rien à ce qu’il s’est passé durant plusieurs siècles et aux conséquences que les africains doivent en tirer. Les rapports de domination en cours et qui ont permis à l’Europe d’émerger sont la conséquence directe de la traite négrière et de la colonisation. Alors, mauvaise colonisation?! On s’en fiche. Les états d’âme du colonisateur ou de l’oppresseur ne ramèneront pas les milliers de vies perdues du fait de la traite négrière et la colonisation, les sociétés et des civilisations entières détruites,…
C’est bien pour l’histoire.
Mais aujourd’hui de nombreux problèmes se sont rajoutés, il nous faut les traités.
Le colon a bon dos. On l’accuse de tous nos maux. Ça suffit. Si le Congo n’avance pas c’est la faute des Congolais, nous avons des dirigeants incompétent. Youlou et Massamba Debat avaient une vision pour la nation; mais depuis l’arrivé des mbochis ils ont choisie le tribalisme comme moyen de gouvernance. Regardez L’Angola, Le Nigeria pour ne citer que ces deux pays. Ils ont été colonisé comme le Congo et pourtant ils sont bien dirigé chez eux la compétence et le patriotisme passent avant. Ce n’est pas comme chez nous où on va trouver un ancien pécheur de l’alima qui n’a aucune notion de gestion d’entreprise PDG d’une entreprise d’état parce qu’il est soit le fils de ou neveux de et surtout il doit être mbochi. Nous sommes responsable de nos problèmes pas le colon. Nos sommes majeur et responsable n’accusons personne. Si le colon fait ce qu’il veut chez nous c’est parce qu’on l’autorise, c’est parce qu’ils ont des complices parmi nos dirigeants.
Très bel article ! Merci à son auteur.
Maintenant, combien de Congolais connaissent leur histoire et les enjeux passés pour comprendre les enjeux actuels ?
Combien de Congolais connaissent l’histoire de l’esclavage, des travaux forcés et de la colonisation ? Car pour comprendre une partie de la mal gérance des états africains en général il faut partir de la base ! Combien d’AFricains s’y intéressent ??
Votre questionnement de fin fait réfléchir en effet, la colonisation etc ne peut pas tout expliquer seulement elle y est pour beaucoup. Les présidents actuels dont celui du Congo sont nés sous cette même colonisation, ils sont donc dans la continuité en plus d’être des fils indignes de l’Afrique car n’étant Africains que par la couleur. Une nouvelle générations de Congolais décomplexés doit émerger pour contrecarrer des mentalités et façon de faire d’esclaves.