INTERVIEW EXCLUSIVE DE PAUL MARIE MPOUELE : son arrestation, son combat politique, sa vison pour le Congo

Congo-liberty : Après votre incarcération arbitraire et illégale dans des conditions très difficiles à la maison d’arrêt de Brazzaville,  pour des raisons politiques, nous ne pouvons commencer cette interview, sans vous demandez, comment vous portez-vous ? 

PM MPOUELE : Merci pour votre intérêt sur ma modeste personne. Je peux vous dire que je crains de plus en plus pour ma santé. Depuis ma sortie, je souffre de colopathie et des problèmes ophtalmologiques « yeux ». Des maladies que j’ai commencées à développer depuis la prison, à plus au moins trois mois d’incarcération. En un mot, je ne suis vraiment pas en forme, comme nous disons chez nous.

Congo-liberty : Plusieurs rumeurs ont couru sur les conditions de votre arrestation d’abord, mais aussi sur les  raisons de votre incarcération. Pouvez-vous  éclairez l’opinion sur ses questions ? 

PMMP : Ah les rumeurs, il y en a eu ! Certains pourtant membres de l’opposition m’ont accusé d’avoir détourné de l’argent de je ne sais quel autre opposant, d’autres ont estimé que j’étais arrogant et ne voulait pas suivre la démarche initiée par les anciens en politique, bref, chacun est allé de son commentaire. J’ai été appelé par le colonel Antoine Bouity au téléphone m’invitant à me rendre à son bureau pour une discussion. J’ai immédiatement alerté les membres de l’ARD qui étaient en réunion en ce moment-là. Je me suis rendu à cet appel avec deux de mes frères. Sur place, j’ai trouvé le colonel Bouity, deux autres colonels et un commandant appelé Amedé Ovoundar. Le colonel Bouity m’a demandé si je connaissais M. Nguiet Farel et quelles étaient nos relations avant d’ajouter que ce dernier a été incarcéré par ses services pour avoir envoyé des texto à plusieurs personnalités du pays appelant à la démission du chef de l’Etat. Mais que celui-ci m’aurait désigné comme véritable auteur de ces messages téléphoniques. Je restituai devant eux le contexte de l’envoi de ces messages qui résultaient d’une position publique prise par moi sur les antennes de RFI et dans la presse congolaise. J’expliquai qu’à mes yeux et en vertu des dispositions constitutionnelles, le président de la République avait failli à son serment d’assurer la sécurité des personnes et des biens suite au drame du 04 mars. Face à ce manquement au devoir, celui-ci devrait rendre sa démission. Le colonel Bouity demanda que je sois entendu sur procès-verbal par le commandant Ovoundar après quoi je devrais être placé en garde à vue en attendant la poursuite de l’enquête. C’est vers 18H 40, 19H00 que le commandant Ovoundar demanda à trois sous-officiers de m’embarquer dans un véhicule Hilux de couleur blanche pour une direction que je ne connaissais pas encore en ce moment-là. On me conduisit en réalité au commissariat de quartier de Poto-Poto II. Personne de ma famille biologique et politique n’était au courant à ce stade du lieu de ma détention. Mes deux frères qui m’avaient accompagné avaient été chassés comme des malpropres. Pour eux, j’étais gardé au commissariat central. J’ai passé sept jours dans une cellule exigüe avec 9 autres détenus faisant tous mes besoins là. Certains de mes codétenus étaient déjà à quatre mois de garde à vue, comme un certain Batia Goma.  Je n’avais pas de visites de ma famille qui ne savait pas où je me trouvais. Au troisième jour de ma détention, j’ai été présenté devant le Directeur Général de la Police, Jean François Ndenguet. Ça se passe au commissariat central devant le colonel Bouity, le commandant Ovoundar et d’autres colonels. Celui-ci me traitant de cocoye de Pascal Lissouba a argué « qu’ils nous avaient chassé en 1997. Que lui, en 1993 avait apporté des armes aux Ninjas en passant par le fleuve, accostant au port de la main bleue. Que j’étais armé et avait des gardes du corps armés et que nous complotions avec les Ntsourou chez Mathias Dzon. ». Devant tant de haine et de mépris, je répliquai que je ne comprenais pas ses accusations gratuites. J’étais en larmes. Cet entretien fut conclu sur des considérations purement politiciennes que je ne souhaite pas retracer ici. De toutes les manières tout cela fait l’objet d’un livre que je suis en train d’écrire. Pour tout résumer, j’ai été arrêté pour délit d’opinion et gardé en détention préventive pendant cinq mois dans des conditions difficiles.

Congo-liberty : Pour mieux vous connaître, comment êtes-vous arrivé  en politique ? 

PM MP : Par pis-aller, je crois ou par le sang. J’ai rappelé en amont que mon père est membre du PCT. Nous parlions un peu politique à la maison mais j’étais déjà un peu opposé à mon père au regard de l’échec du plan quinquennal 82-86. J’avais 16 ans quand on commençait à parler du service national obligatoire, des programmes d’ajustement structurel, de crise. Le chômage a frappé à nos portes alors que nous venions de vivre un boom pétrolier. C’était un paradoxe épouvantable. D’un côté, un boom pétrolier de plus de 1000 milliards, de l’autre, une situation économique catastrophique. Je prenais conscience du risque de chômage que je courais. Je voyais d’ailleurs débarquer en 1987, les premiers enseignants sortis de l’INSEED et envoyés au service national obligatoire à Makola. Certains choisirent de servir dans l’Armée, d’autres restèrent quelques années encore au chômage avant d’être affublés d’un substantif « d’appelés et volontaires ». Au plan politique, je compris un peu ce que c’était le parti unique avec la traque en cette même année de Pierre Anga. On parlait de beaucoup de morts ; de deal entre lui et le président Sassou pour la gestion du pouvoir après l’assassinat du président Marien Ngouabi ; de grèves, etc. tout cela forge un mental de révolté. En 91 quand vint la conférence nationale, on mit en surface l’iceberg : les crimes, les détournements des fonds publics, l’incurie et l’incompétence d’une équipe au pouvoir pour ses intérêts et non pour ceux du peuple. J’ai ainsi choisi d’adhérer à l’UPADS qui venait d’être créée. Voilà un peu le parcours.

Congo-liberty : Les congolais condamnés à la pauvreté par le pouvoir accusent les politiques qui se réclament de l’opposition, de complicité avec Sassou pour avoir participé à la mascarade des législatives 2012. Quelle est votre analyse à ce sujet ? 

PM MP : Je pense qu’il faut nuancer. En 2009, il a été reproché à l’opposition d’avoir boycotté les élections. Nous avons voulu faire évoluer nos positions en participant cette fois-ci aux législatives. En réalité, l’objectif était de discréditer ces élections que l’on connaissait perdue d’avance. Et ce premier objectif est atteint au regard du taux d’abstention très élevé à ces élections. Je dois dire que participer ou ne pas participer n’est pas le vrai problème. Il s’agit en vérité de réfléchir sur comment faire fléchir le pouvoir de Sassou Nguesso pour qu’il organise des élections libres, transparentes et équitables. Je peux comprendre que l’on reproche à l’opposition de ne pas être à la hauteur de cette tâche car, depuis 2002, nous savons tous que les élections sont truquées. Le régime Sassou a commencé par inverser les résultats des différents recensements en donnant un Nord Congo plus peuplé que le Sud. Après, il a mis un cadre juridique des élections totalement acquis à sa cause au point où par les élections organisées dans ces conditions, jamais le Congo n’aura d’alternance. Il faut donc commencer par-là, changer toute la mécanique mise en place. Cela ne pas être l’affaire de l’opposition seule, il faut l’appui de la population. J’appelle cela une révolution de la citoyenneté. Toutes les forces vives qui avaient réclamé la démocratie doivent se lever pour exiger l’application de ses principes dévoyés par la corruption, la tricherie, etc.

Congo-liberty : Qu’est ce qui explique et empêche la structuration et l’émergence d’une opposition véritable au pouvoir de Brazzaville, qui incarnerait le changement et l’alternance politique au Congo ?  

PM MP : L’émergence d’abord avant la structuration, je pense. Bon, je crois qu’il ya des raisons historiques et culturelles. Les Congolais n’ont pas une tradition d’opposition. Regardez dans nos villages, quand quelqu’un n’est pas d’accord avec les pratiques du chef du village, il prend ses clics et ses clacs et quitte le village. Il ne mène pas un quelconque mouvement de résistance pour changer de chef, mais quitte le village marmonnant dans son coin. Nous ne savons donc pas fédérer les mécontentements de tous pour les hiérarchiser et en faire un ferment de la lutte. Nous avons une culture de consensus reflétant l’existence des « mbongui », sorte d’agora où se réglaient tous les différends. Ceci explique les faibles mouvements de résistance enregistrés lors de la pénétration coloniale. Les Matsoua, Mabiala Ma Nganga ne se compte pas par dizaine et n’avaient pas de structures organisées comme par exemple chez les zoulou sud-africains ou chez les malinkés au Mali. Notre tradition, notre culture est essentiellement une culture de conciliation permanente. Ajouter à tout ceci les guerres récurrentes que nous avons connues, l’égoïsme et l’égo démesuré des hommes. Voilà autant des raisons qui nous empêchent d’avoir une structure de l’opposition. En face, le pouvoir use aussi de corruption et joue sur cet égo pour diviser les gens qui essaient de s’organiser. Vous remarquez dans notre pays il n’y a aucune structure organisée qui tienne : pas de syndicats, pas de partis politiques, pas de société civile organisée, tout est déstructurer. C’est ainsi que le veut Sassou Nguesso pour se maintenir au pouvoir. En pareille circonstance, si notre peuple était assez mûr politiquement, c’est lui qui tracerait la voie. Le débat ne se faisant plus dans les structures organisées.

Congo-liberty : Certains acteurs politiques appellent vivement et militent pour la scission du Congo car pensent t-ils, le pouvoir de Sassou Nguesso a érigé le tribalisme en mode de gouvernement, mais aussi que cela nous épargnera d’autres guerres civiles. Qu’en pensez-vous ? 

PM MP : C’est absurde. Le Congo est un et indivisible. Que les acteurs politiques d’aujourd’hui ne soient pas  à la hauteur des attentes réelles de la population, cela s’entend, mais de là à justifier cette incapacité par le fait d’avoir un pays uni, est une aberration. Il faut que la classe politique, particulièrement ceux qui se disent à l’opposition redoublent d’imagination pour sortir le Congo et les Congolais de la situation actuelle. C’est le défi de notre génération. Je ne suis pas partisan des raccourcis ou des solutions simplistes comme celle-là.

Congo-liberty : La politique est devenue un moyen d’accéder illicitement à la richesse au Congo et les congolais pensent que cela reste la principale motivation des activistes politiques. En quoi êtes-vous différent de ceux qui gouvernent le pays et quel est votre projet politique ? 

PM MP : Ce constat est malheureusement réel. Je pense que comme acteur du changement, notre préoccupation est d’avoir de servir le peuple. La politique pour moi est un sacerdoce ; je me sens toujours utile pour les autres et prêt à servir les autres, partager avec eux les instants de malheur ou de bonheur. Quant au projet politique, il me serait difficile de l’étaler en quelques lignes sur cette page, mais pour l’essentiel, je défends un Etat laïc et décentralisé, je suis pour une économie libérale sans pour autant faire disparaître l’Etat. Indiquer le chemin qui permettra à tous de retrouver l’espoir et la dignité, autour des valeurs qui cimentent notre unité nationale ; faire retrouver au peuple la confiance en sa justice et en ses élus en rendant aux magistrats leur indépendance ; moraliser la vie publique ; promouvoir la justice sociale en instituant une taxe sur la fortune et un revenu de solidarité aux personnes vulnérables et aux chômeurs ; création d’une banque pour l’emploi qui financerait à des taux réduits les projets des jeunes en quête d’emploi ; l’abrogation de la Constitution actuelle et l’adoption par référendum d’une constitution instituant un régime semi-présidentiel et semi-parlementaire avec reconnaissance du statut de l’opposition ; la réduction du mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une fois ; Un peuple dont la jeunesse doute n’a pas d’avenir. Nous devons redéfinir la façon dont nous voulons instruire et éduquer nos enfants pour paraphraser François Bayrou ;… la liste est longue. 

Congo-liberty : Dans votre lettre de remerciement aux congolais après votre incarcération, vous êtes encore plus déterminé que jamais dans le combat pour la restauration de la démocratie. Où puisez-vous cette force ?

PM MP : Le Congo est un grand pays et les Congolais un grand peuple. Malgré la crise multidimensionnelle que nous traversons, je ne crois pas au déclin du Congo. Je puise donc ma force dans cette espérance que chacun congolais a au plus profond de lui. Vous savez qu’il n’y a rien d’éternel que le changement ; ce régime passera comme toutes les dictatures même les plus féroces sont passées. Sans idéalisme, je crois quand même que la soif de liberté de tout un peuple l’emportera sur la corruption et la tyrannie.

Congo-liberty : Quel est votre mot de la fin ? 

PM MP : Courage et détermination. Notre peuple a besoin de cela pour aller de l’avant.

Tous ceux qui veulent aider, soutenir et participer aux frais de santé de Paul Marie Mpouélé peuvent nous contacter à l’adresse: [email protected]

 

Interview réalisée le 10 octobre

Par Mingwa mia Biango pour www.congo-liberty.org

LETTRE DE REMERCIEMENT DE PAUL MARIE MPOUELE SUITE A SA LIBERATION DES GEOLES DE SASSOU NGUESSO

Lettre à Laurent FABIUS, Ministre des Affaires Etrangères Français : Sassou Nguesso doit libérer Paul Marie MPOUELE

Ce contenu a été publié dans Interview. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire