INTERVIEW DE CYRILLE MBIAGA SUR LA PROSTITUTION AFRICAINE EN FRANCE

Cyrille MBIAGA

Cyrille MBIAGA

Cyrille Mbiaga est Docteur en Biomathématiques, Enseignant. Administrateur à l’Amicale du Nid et Président du Comité Territorial de Marseille.

 

CONGO-LIBERTY.COM : votre ouvrage est consacré à la prostitution africaine en France. Pourquoi l’avoir intitulé « le système prostitutionnel » ?

Cyrille MBIAGA : Généralement, le sens commun ne conçoit le phénomène de la ‘prostitution‘ que du point de vue de la personne prostituée ; et pourtant, la personne prostituée n’est pas le seul acteur impliqué dans le phénomène de la prostitution. Cette considération qui appauvrit l’angle de vue du phénomène en lui-même est liée à l’histoire socio-culturelle qui a toujours prévalue autour de cette question. Nous (abolitionnistes) pensons qu’il faut prendre en compte tous les acteurs impliqués dans le fait prostitutionnel. Cette prise en compte se traduit par une redéfinition du mot prostitution, qui en réalité est un ‘contenant’ dans lequel ‘prostituée‘ et ‘prostitueur ‘ sont en relation et forment les éléments du ‘contenu‘ de ce ‘contenant‘. Voilà d’où vient en réalité le concept de « système prostitutionnel ». Un concept qui rend compte de la réalité prostitutionnelle dans sa complexité. On retiendra par exemple que les familles, la société s’ajoutent aux proxénètes, aux clients, aux maquerelles et complexifient la chaîne du système. On ne peut donc pas comprendre le phénomène ‘prostitution‘ si on ne rend pas compte de sa réalité complexe. Rendre compte de cette réalité complexe, c’est refuser de l’appauvrir en la rendant intelligible.

CONGO-LIBERTY.COM : pourquoi vos études de cas se focalisent exclusivement sur les systèmes prostitutionnels Camerounais et Nigérians ?

Cyrille MBIAGA : Mes études ne se focalisent pas exclusivement comme vous le dites sur les systèmes prostitutionnels Camerounais et Nigérians. En réalité, mes recherches m’y ont conduit tout simplement. Au départ de mes travaux, je m’intéressais aux apports des personnes prostituées d’origines étrangères dans le phénomène de prostitution de rue en France. Les personnes d’origines étrangères (Europe de l’Est et Balkans, Maghreb, Amérique Latine, Asie, Afrique) étant fortement représentées dans cette catégorie. Puis, j’ai été frappé par la dynamique des groupes communautaires venus d’Afrique (Ghana, Nigeria, Cameroun), leurs itinéraires, leurs organisations, leurs pénétrations dans le territoire français, voire leurs distributions dans l’espace français. Je me suis alors intéressé aux multiples facteurs qui poussent au départ des pays africains, j’en ai relevé les plus déterminants, et aussi les plus discriminants. J’ai analysé ce qui les attirent dans l’espace français ; Et la modélisation qui a suivi a établi deux modèles intéressants : Le modèle camerounais et le modèle nigérian. In fine, les processus de migration africains en général pour des fins prostitutionnels en France peuvent se résumer autour de ces deux modèles.

CONGO-LIBERTY.COM : le système prostitutionnel Camerounais est-il identique au Nigérian ?

Cyrille MBIAGA : Les systèmes prostitutionnels Camerounais et Nigérian dans leurs fonctionnements sont spécifiques de leur environnement socio-culturel. Cela se traduit selon une analyse des situations des personnes vulnérables voire exposées par des états successifs qui les concernent et qui renvoient selon toute vraisemblance, soit à la disponibilité des personnes s’agissant des Camerounaises ; soit à la contrainte (à 70 p. 100) des personnes s’agissant des Nigérianes. La contrainte n’étant cependant pas exclue du système Camerounais. Néanmoins, les deux systèmes comme je le montre dans le livre se rejoignent autour du ‘cercle vicieux’ qui enferme la personne prostituée dans un bourbier sans réelle capacité de s’en sortir. Tout cela constitue les éléments de la traite des êtres humains (TEH).

Le recrutement des personnes vulnérables au Nigeria repose en majorité sur la TEH. Il se manifeste selon un réseau diffus et mouvant qui renvoie à une démarche de groupe, et qui se maintient grâce à une logique de dette qui repose sur la piété filiale, cette logique de dette est coercitive. La filière du réseau commence dans les sites de transit dirigés par les « mamas » (entendu maquerelles), situés dans les régions du Sud. Les jeunes femmes vulnérables partent de ces sites de transit accompagnées de leurs trafiquants selon un itinéraire de migration qui les conduit dans les pays voisins jusqu’en Europe où elles sont accueillies par des intermédiaires qui assurent leur acheminement dans l’espace français.

Pour les personnes vulnérables du Cameroun, les recrutements ne sont pas simples à saisir. Ils renvoient davantage à des stratégies qui associent ‘disponibilité‘ des personnes et la nature de leurs projets selon qu’ils sont de caractères implicites non avouables, explicites avouables, ou tout le contraire ! Il n’existe pas en réalité de filière camerounaise de la prostitution, mais les mariages fictifs contribuent pour beaucoup à alimenter le marché de dupes qui lui est associé.

CONGO-LIBERTY.COM : les prostituées africaines sont de plus en plus visibles sur les trottoirs en France, pouvez-vous nous donner les grandes tendances migratoires de ce phénomène social ?

Cyrille MBIAGA : En réalité, et comme je le disais déjà plus haut, la pénétration des personnes vulnérables d’origine africaine dans l’espace français s’est effectuée dans le temps et dans l’espace par vague successive des différents groupes communautaires. Les Ghanéennes sont arrivées très tôt dans les années 80, elles ont été suivies dans les années 90 par les Nigérianes, et depuis les années 2000, ce sont les Camerounaises qui s’imposent. Chaque pénétration en France apparaît corrélée aux différents moments de ruptures qui ont lieu au Ghana, au Nigeria et au Cameroun. Ces moments de ruptures sont liés aux différentes crises économiques qui ont secoué le Ghana, le Nigeria et le Cameroun successivement. Au début dans les rues de France, et parmi les personnes prostituées d’origine africaine, les ghanéennes étaient les plus représentées, puis elles ont été rattrapées par les nigérianes qui sont devenues plus nombreuses depuis les années 2000. Aujourd’hui, et depuis 2011, les personnes prostituées d’origine camerounaise apparaissent parmi les plus nombreuses.

Mise à part une analyse africo-africaine de la prostitution en France, on peut croire en sillonnant les rues de France que les personnes prostituées d’origine africaine sont plus nombreuses que les personnes prostituées d’origine française. En réalité, ces dernières se sont déplacées vers les lieux les plus discrets (Internet) laissant la rue à des personnes prostituées pauvres, et davantage à celles qui viennent d’Afrique. C’est pourquoi je préfère commenter les tendances plutôt que d’avancer des chiffres qui ne veulent rien dire.

CONGO-LIBERTY.COM : y a t-il des raisons sociales qui expliquent le dynamisme et la tendance exponentielle de la prostitution africaine en France ?

Cyrille MBIAGA : Peut-on réellement expliquer cette excroissance du fait prostitutionnel de la prostitution africaine en France sans faire un rapprochement avec les différentes crises qui ébranlent l’Afrique depuis trois décennies ? En réalité, l’existence d’un marché réel du sexe tarifé en France explique cette situation. Et là c’est mon point de vue, puis que je me place du côté de la personne prostituée que je considère comme étant une victime. S’il y avait pas de marché, il y aurait sans doute pas d’attrait de personnes vulnérables. Il est donc clair que les raisons sociales qui poussent au départ des pays d’origine sont la pauvreté, le sous-développement. Le système prostitueur utilise ces états de la nature pour exercer leur double domination sur les personnes vulnérables, et les contraint à la pratique de l’activité prostitutionnelle ; – pratiques dévalorisantes et abjectes. Ce système exploite la misère humaine. Dans des situations de grandes pauvretés socio-économiques, les personnes vulnérables nourrissent un rêve, celui de sortir de la misère en amassant de l’argent le plus rapidement possible ! De l’argent pour s’offrir les signes de réussite sociale, qu’elles ne peuvent pas s’offrir autrement. Ces personnes du fait de leur situation d’être vulnérables, vont courir le risque d’entrer dans la prostitution (1er risque), et une fois dans la prostitution, elles vont également courir un risque sanitaire certain (2eme risque). De ces doubles risques, elles sont bousillées et leur espérance de vie se trouve fatalement affectée.

CONGO-LIBERTY.COM : toujours plus nombreuses au départ, celles qui deviennent prostituées sont-elles consentantes ? Si oui, Pourquoi qualifiez-vous la prostitution de traite d’être humain ?

Cyrille MBIAGA : Non, je ne pense pas que l’on puisse se livrer à la prostitution par choix. Comme je le montre dans mon livre, ce sont les situations déterminées qui conduisent les personnes vulnérables ou exposées à cette pratique. Toute personne vulnérable, arrachée aux conditions déterminées ne devient pas personne prostituée. Par ailleurs, dans les conditions déterminées, il apparaît souvent que des personnes vulnérables ne deviennent pas personnes prostituées. Ce dernier cas renvoie aux barrières à l’entrée en prostitution. Dans ma modélisation je parle de ‘risques’, notions de probabilité.

CONGO-LIBERTY.COM : Pourquoi affirmez-vous que la prostitution est un produit marchand et capitaliste ?

Cyrille MBIANGA : C’est le système prostitutionnel qui fonctionne comme le système capitaliste, il en est un sous-système. En effet, le capitalisme est un ensemble de rapports sociaux dans lequel la production consiste à transformer l’argent, les choses et les gens en capital. Le marché du sexe tarifé obéit à cette logique capitaliste. Le sexe d’Autrui est une marchandise et la personne prostituée est une plus-value pour le système prostitueur, notamment le proxénète. Le système prostitutionnel recouvre les énoncés de la logique capitaliste selon K. Marx, à savoir : – séparation du travail et des moyens de production ; – liberté du travailleur ; – accumulation du capital argent. En gros, dans le modèle Nigérian, les mamas et trafiquants représentent la classe de ceux qui exploitent ; dans le modèle camerounais, les personnes vulnérables sont davantage disponibles pour être utilisées comme moyen de production dans le marché du sexe tarifé.

Les personnes vulnérables arrivent en France, non pas avec l’idée de se livrer à la prostitution, mais avec l’idée d’amasser l’argent qui coule à flot. Mais l’illusion de cet argent qui coule à flot les expose petit à petit, et selon les situations à des risques prostitutionnels, puis à la prostitution proprement dite. La honte de ne pas être capable de faire ce que la voisine a pu faire (signe de réussite sociale) accélère le risque.

Les conditions déshumanisantes de l’exercice de la prostitution renvoient aux atteintes à la dignité des personnes (corps/marchandise), – la dignité en tant que attribut des personnes apparaît protectrice contre les intrusions d’Autrui. Et de ce point de vue déjà, la prostitution renvoie à la traite.

CONGO-LIBERTY.COM : quel est le dispositif juridique français de lutte contre la prostitution, est-il identique à toute l’Union Européenne ?

Cyrille MBIAGA : Le principe juridique français est celui de l’abolitionnisme, c’est à dire que la France est pour l’abolition de toute réglementation, et veut restreindre l’activité par des politiques dissuasives. En effet, les abolitionnistes pensent que les personnes prostituées sont des victimes d’un système qui les exploite. Ils sont contre la pénalisation des personnes prostituées, mais cherchent à décourager la prostitution.

Dans sa lutte, la France a mis en place un certain nombre de mesures, parmi lesquelles la dernière proposition de loi votée à l’unanimité à l’Assemblée Nationale contre ‘le système prostitutionnel’ et qui malheureusement attend encore d’être validée par le Sénat.

S’agissant de la lutte globale, malheureusement, l’Europe ne parle pas d’une même voix. Parmi les abolitionnistes[i], on compte la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, le Portugal, la Pologne, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Slovaquie et la Slovénie ; parmi les prohibitionnistes[ii], on compte la Roumanie et la Lituanie ; et parmi les réglementaristes[iii], on compte l’Allemagne, l’Autriche, Chypre, Hongrie, Grèce, Lettonie, Pays-Bas, Suisse et Turquie.

CONGO-LIBERTY.COM : comment lutter contre ce phénomène de la traite des femmes dans les pays d’origine ?

Cyrille MBIAGA : En menant une action d’éducation concertée. Les Associations des pays du Nord qui ont une grande expérience dans le domaine peuvent venir en appui aux Associations des pays du Sud dans une collaboration transversale. Les Associations des pays du Sud pourraient également aider celles des pays du Nord à mieux connaître leurs migrants pour mieux agir, et celles du Nord peuvent apporter à celles du Sud des moyens matériels et financiers nécessaires.

Il faut également des actions politiques fortes, notamment inciter les pays du Sud à signer la Convention de 1949, et au besoin pousser ou accompagner de façon significative le développement des pays sources en réduisant les écarts et les inégalités qui constituent les leviers de risques pour les personnes.

CONGO-LIBERTY.COM : existe-t-il en France des alternatives de sortie de la prostitution, particulièrement pour les africaines qui sont pour la plupart « sans-papiers » ?

Cyrille MBIAGA : Oui, il existe un arsenal de dispositifs qui visent à aider les personnes prostituées, celles qui sont en risque de prostitution et celles qui sont vulnérables. Cet arsenal s’inscrit dans un dispositif d’accompagnement global des personnes, il est appliqué au sein des Associations comme l’Amicale du Nid, et pour lequel les travailleurs sociaux assurent la mise en œuvre.

Effectivement, les personnes d’origine africaine ont cette particularité qu’elles sont concernées par plusieurs problèmes en même temps. Les problèmes de droit commun (Carte de séjour), les problèmes de logement (sans fiche de paye il est difficile d’être logée), les problèmes de santé (absence de CMU) etc.

Aider une personne à sortir de la prostitution, c’est d’abord reconnaître qu’elle est une personne prostituée, c’est à dire une victime d’un système prostitutionnel qui a fait d’elle une personne-marchandise ; il faut donc l’aider à retrouver un statut juridique pour sa personne. Autrement dit, la personne-marchandise d’hier doit retrouver sa dignité de personne humaine. Cela passe à mon avis par l’octroi d’une carte de séjour, puis d’un logement pour son insertion. Pour que cette personne retrouve sa santé intégrale sans toutefois qu’elle devienne par ailleurs un risque pour les autres, le droit à la santé (Cf  le dispositif Européen de Santé2020) doit lui être accordé, et ce à travers la CMU. Ensuite, trouver un emploi pour ces personnes aux parcours spécifiques est souvent très difficile, mais les formations à travers les AAVA (Ateliers d’Adaptation à la Vie Active), et les suivis tels que nous les expérimentons au sein de nos Associations donnent des résultats probants.

Pour me résumer, oui, il existe bien en France des alternatives à la sortie de prostitution des personnes africaines. Et le nombre de femmes nigérianes qui en sortent est significatif.

 

Interview réalisée par Mingwa Biango pour www.congo-liberty.org

Diffusée le 7 janvier 2015

 

Le système prostitutionnel

Prix : 23 euros

Edition l’Harmattan Cyrille Mbiaga

 

Veuillez cliquer sur ce lien pour acheter l’ouvrage « Le système prostitutionnel » 

 

Les catégories des régimes juridiques et leurs définitions :

La convention de 1949 de l’Organisation des Nations Unies sur « la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de la prostitution d’autrui » considère que la prostitution relève de la traite des êtres humains. Dès lors, les politiques d’application par les États de cette convention s’inscrivent dans les catégories de régimes juridiques différentes :

[i] L’abolitionnisme prône l’abolition de toute réglementation, mais veut restreindre l’activité par des politiques dissuasives.

[ii] Le prohibitionnisme prône l’interdiction de la prostitution

[iii] Le réglementarisme prône l’organisation de l’activité de prostitution pour mieux la contrôler ;

Ce contenu a été publié dans Interview. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

5 réponses à INTERVIEW DE CYRILLE MBIAGA SUR LA PROSTITUTION AFRICAINE EN FRANCE

  1. Anonyme dit :

    Une femme réfugiée dans un pays en Europe, sans papiers. Un homme la voit sur Facebook et la demande en « ami » . Après quelques temps d’échanges de messages, il lui déclare être fou amoureux d’elle et veut la rencontrer. (Distance environ 800 km) Elle déclare ne pas pouvoir venir car trop pauvre. Pas de problème. Il vient. En avion. Et après 4 jours de fol amour et de restaurants et de cadeaux, il lui aide à avoir des papiers. Entre temps, Madame découvre qu’il est déjà marié et qu’il a deux enfants. Pas de problème pour lui. Je t’aime et je veux t’installer près de chez moi. Un de mes amis va venir pour t’épouser en blanc et après tu auras des papiers. Je te donne l’argent pour le payer. Elle hésite. Des amis la déconseillent d’accepter. Elle le lui dit. « Mais moi je t’aime et je veux te le prouver ». Il envoie dix milles Euros dans des enveloppes par la poste. Belle preuve d’amour. Cet homme est vraiment formidable. Qu’en pensez-vous ?

  2. Anonyme dit :

    Suite de mon commentaire précédent. Je vais quand même vous dire ce que je pense de cet homme en tant qu’observateur. Tomber amoureux d’une photo, je n’y crois pas vraiment mais ensuite dépenser autant d’argent celà devient inquiétant autant qu’indécent. En effet, je vois celà comme l’achat de cette personne, achat comme si elle était une marchandise ou mieux, un animal. Une vache ou une chèvre qu’il fera travailler pour récupérer son argent. La mettre sur le trottoir lui sera facile. Elle n’aura pas de papiers, et risquera de se faire expulser à tous moments. Cette triste réalité existe et les trafiquants, car c’est bien du trafic d’êtres humains, ne reculent devant rien.

  3. CHABERT dit :

    c’est mon prof de maths c chocant XD

  4. anonyme dit :

    MA bite est grosse et les prostituees ‘aiment

  5. Anonyme dit :

    c mon prof de math bb

Laisser un commentaire