ENJEUX ET LÉGITIMITÉ DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU CONGO-BRAZZAVILLE

1- Les enjeux de la justice transitionnelle au Congo.

La justice transitionnelle représente un sujet capital pour l’avenir du Congo ; plus que le régime institutionnel, c’est le traitement de cette question qui marquera l’originalité des orientations utiles pour la reconstruction significative de toute la société congolaise.

De prime abord, il convient d’être réaliste et reconnaître qu’il s’agit d’un sujet difficile : il faut amorcer une fois pour toute l’instauration de l’État de droit, c’est-à-dire le respect des prescriptions par toutes les institutions et tous les citoyens quelles que soient leurs fonctions, leur situation matérielle ou sociale, et, en même temps exiger le respect dû à la vie humaine de la part de toute autorité de la République quelle que soit son importance. C’est un exercice d’équilibre très délicat mais indispensable pour [re]construire le vivre ensemble des congolais.

Deux principaux écueils :

1- le quotidien des congolais est marqué par d’innombrables injustices qui vont du racket du simple commerçant aux assassinats crapuleux en passant par les privations de ressources nécessaires à la vie humaine. La tentation est grande de laisser libre cours au sentiment de vengeance sous le couvert de la République.

2- l’ambition de renouer à tout prix le fil du vivre ensemble peut faire hésiter plus d’un citoyen à vouloir à tout prix rechercher la justice. Devant la nécessité de sanctionner les comportements répréhensibles, comme les détournements des deniers publics qui ruinent la société tout entière , réduisant ainsi les populations du Congo à la pauvreté, seule la sanction peut préserver la société congolaise de la répétition impunie des délits et crimes. Aucun prétexte ne saurait justifier la banalisation du crime et des violations des libertés publiques et individuelles.

C’est donc à la fois rigueur et modération qui vont être nécessaire pour organiser et mettre en œuvre la justice transitionnelle sans laquelle la société entière restera exposée aux caprices d’un sauveur hypothétique. Rigueur parce que l’espoir d’un homme providentiel ne garantit nullement l’avenir mais la culture de la sanction, donc de la responsabilité peut nous permettre de voir émerger des hommes de valeur. Modération parce que toute faiblesse de remplacer un pouvoir tribal par un autre ne conduira qu’à prendre un nouveau rendez-vous pour les prochains conflits meurtriers.

Il s’agit ainsi de « réparer la vie des hommes », c’est-à-dire reconnaître et compenser les atteintes aux vies humaines et aux biens détruits et en même temps de « réparer » le pays, de restaurer la République, réhabiliter la Constitution de 1992, reprendre le cours de l’exécution du régime légal issu de la conférence nationale souveraine, moment de concorde et d’expérience démocratique malgré ses limites.

Il faut pour ce faire répondre aux questions suivantes : qui peut être légitime à exercer la justice transitionnelle ? Avec quels outils

2- Qui peut exercer la justice transitionnelle ?

De façon méthodique, il s’agit, d’une part, d’identifier les faits punissables (civils, économiques, pénaux…) pour déterminer les instances adaptées pour l’examen et les sanctions (tribunaux judiciaires, pénaux ou CPI) correspondantes et, d’autre part, d’assainir et réorganiser l’institution judiciaire et donc la formation des magistrats et administrateurs du pays assurée par l’École nationale de la magistrature et d’administration -ENMA-.

A coup sûr, une affirmation solennelle de l’ambition nationale (des instances en charge de la transition réparatrice) de prendre en charge tous les faits établis devra être portée par la justice transitionnelle d’entrée de jeu. Ainsi l’ensemble des populations est invité à contribuer à l’édification d’une justice indépendante, émancipée des instances du gouvernement, de l’Armée et capable de sanctionner souverainement les auteurs des crimes et délits authentiquement établis.

Cependant, il convient de distinguer les questions judiciaires des questions économiques. Si les questions judiciaires peuvent être prises en charge par des juges nationaux, les sujets économiques  pourraient conduire à solliciter le concours des pays qui ont l’expérience des audits de la dette odieuse par exemple (Maroc, Rwanda, Mali, Venezuela…) pour être traitées de manière plus efficace. Pour les procédures d’ordre pénal, il peut s’avérer indispensable d’articuler la compétence nationale avec celle de la CPI en fonction des faits. Car il faut bien distinguer les faits simples des grands massacres que le pays a connus.

Par ailleurs il va s’avérer incontournable de repenser l’institution judiciaire et la formation des cadres à moyen et long terme.

Dans l’état général de délabrement de l’administration et de l’institution judiciaire en particulier, la question des magistrats, policiers et autres personnels aptes à exercer une justice indépendante avec compétence va se poser. Cependant, il est indispensable de distinguer les collaborateurs du régime illégitime selon qu’ils l’ont impulsé ou subit. Tous les citoyens ont droit à la justice et à une chance de se montrer digne de servir la République réhabilitée. Il devrait être recommandé de permettre à ceux des agents publics qui en sont dignes de continuer de servir la nation. Mais pour être plus complet quant aux compétences nécessaires, rien n’interdit de recourir à de nouveaux citoyens et même aux expériences de pays amis notamment dans les procédures de rapatriement des fonds détenus à l’étranger ou l’audit de la dette (Mali, Sénégal, Venezuela…

3- Avec quels outils la justice transitionnelle peut -elle s’exercer ?

La réhabilitation de la Constitution républicaine de 1992 implique ipso facto la remise en cause du régime constitutionnel et légal des usurpateurs. C’est un enjeu de taille que de mettre hors jeu cet régime institutionnel qui organise l’impunité de ces auteurs. Pour clairement établir leur responsabilité, il importe de réaffirmer le régime qu’ils ont violé à tout point de vue. Cela suppose de faire examiner rapidement par une équipe efficace les textes utilisables par les acteurs de la justice transitionnelle. Il s’agit d’un choix stratégique essentiel car le régime qui a prétendu suppléer les règles issues de la Constitution de 1992 ne recherche pas autre chose que l’impunité, l’immunité pour échapper à toute justice.

Cette question doit faire l’objet d’un soin suffisant car l’indisponibilité des règles applicables avait fragilisé l’efficacité de l’appareil judiciaire en 1991. Cela a justifié en partie le recours aux règles non juridiques, aux mœurs (lavement des mains) pour rechercher une issue à la crise. Aujourd’hui l’existence de la Cour Pénale Internationale et la compétence universelle sont des outils juridiques mobilisables pour rechercher les responsabilités des criminels de tous ordres.

Mais au-delà de l’urgence c’est la réorganisation du circuit de la formation des agents de l’État qui doit être recherchée. Ainsi l’ENMA doit être réorganisée et l’État doit s’appuyer sur cette institution pour incarner la culture du service public et la vertu du bien public. Car seule la justice rendue dans l’esprit et les moyens du service public en tant qu’il est neutre vis-à-vis de tous les citoyens pourra nous préserver de toute instrumentalisation et gagnera la confiance de chacun.

Par Yvon Mounguisa-Nkwansi

Diffusé le 26 janvier 2020, par www.congo-liberty.org

TABLE RONDE SUR LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU CONGO-BRAZZAVILLE- 18 JANVIER 2020.

Hilaire BAKALA est un militant de la cause congolaise depuis des décennies. Il milite pour une Justice exemplaire et réparatrice et exclut tout lavement de mains comme à la Conférence Nationale de 1991, pour absoudre les crimes de sang

FILM INTÉGRAL – TABLE RONDE SUR LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU CONGO-BRAZZAVILLE : Justice pénal pour les crimes de sang ; Fin de l’impunité ; Non à la vengeance ; Réparation pour les victimes ; Réconciliation et refondation du Congo-Brazzaville…

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