DISCOURS Prononcé par M. Stéphane TCHITCHELLE, devant la tribune des Nations Unis à l’occasion de l’admission de la République du Congo à l’ONU (23/09/1960)

M. Stéphane TCHITCHELLE, devant la tribune des Nations Unis à l’occasion de l’admission de la République du Congo à l’ONU (23/09/1960)

M. Stéphane TCHITCHELLE, devant la tribune des Nations Unis
à l’occasion de l’admission de la République du Congo à l’ONU (23/09/1960)

Stéphane TCHITCHELLE, Vice-président de la République du Congo prononce le discours en faveur de l’admission de son pays à l’ONU devant la tribune des Nations Unis (New York)

Monsieur le Président,

Messieurs les Délégués,

Venu des rives paisibles de mon Congo natal sur les bords de cette « East River » que domine de sa hauteur impressionnante le building de verre de l’Organisation des Nations Unies, vous comprendrez mon émotion en prenant la parole pour la première fois, de haute de cette tribune, devant les délégués des 98 Nations que groupe votre Haute Assemblée.

Je voudrais avant toute chose, M. le Président, au nom du peuple congolais tout entier uni derrière le Gouvernement de l’Abbé Youlou Fulbert, tout en vous remerciant des paroles si aimables avec lesquelles vous nous avez accueilli, vous féliciter chaleureusement pour votre élection à la tête de cette Assemblée.

Je voudrais aussi exprimer ma gratitude à tous les membres des Nations Unies qui par élan généreux et leur vote unanime et spontané ont grandement favorisé notre admission. Enfin je m’adresse plus particulièrement aux représentants de la France et de la Tunisie qui nous ont parrainé avec une ferveur pleine de sollicitude.

La Nation que j’ai l’honneur de représenter ici et qui répond à l’appellation République du Congo a pour capitale Brazzaville.

Permettez-moi cette précision et en m’excusant de disposer d’un temps qui vous est bien précieux, souffrez que je vous dise quelques mots de mon pays.

S’enfonçant comme un coin, comme une clé de voûte dans le grand continent africain comme pour empêcher que sa partie Nord bascule sur ce qui pourrait être son piédestal, notre territoire appartenant, il y a 2 ans à peine, au groupe des territoires ultramarins de l’Afrique Equatoriale française.

Limité au Nord par les frontières de la République Centrafricaine et celle du Cameroun, à l’Ouest par la République Gabonaise, à l’Est par l’ex colonie du Congo ex-belge – aujourd’hui République du Congo capitale Léopoldville – au Sud, par une partie de ce même territoire et par l’enclave portugaise du Cabinda, notre pays s’étend sur 350 000 kilomètre carrés. Géographiquement, il se situe à cheval sur l’équateur entre le 5e parallèle Sud et le 4e Nord, et entre le 11e et 18e méridien.

Sa capitale Brazzaville (110 000 habitants) n’est séparée de Léopoldville que par les 6 kilomètres de largeur du fleuve Congo appelé dans cette partie de son cours le Stanley-Pool. Sa capitale économique est Pointe-Noire (55 000 habitants) sur les bords de l’atlantique, reliée à Brazzaville par un chemin de fer.

Placé sous la protection de la France en 1880, à la suite de l’exploration de Savorgnan de Brazza, dont le sens humanitaire fait toujours l’admiration du peuple congolais notre pays connu tour à tour sous l’appellation de Congo français et Moyen-Congo, restera colonie puis territoire de l’Union française jusqu’au 28 novembre 1958.

Ce jour-là, désormais historique, le territoire du Moyen-Congo devenu Etat autonome membre de la Communauté, prendra le nom de République et sera reconnu comme tel par l’Organisation Mondiale de la Santé et le Bureau International du Travail.

Cette métamorphose sereine aura été le fait certes de la volonté évidente du peuple congolais mais aussi, de celle non moins généreuse de la France et de son Chef le Général de Gaulle qui, en 1944, lors de la conférence de Brazzaville nous ouvrait déjà les portes de l’émancipation.

Nos débuts de République autonome, malgré la limitation de nos responsabilités ont été difficiles. Nous manquions de métier et peut être aussi de confiance. N’ayant jamais assumé de responsabilité ou si peu, nous en ignorions les difficultés et surtout les déboires. Le peuple congolais, débarrassé de sa tutelle paternaliste étala des exigences certes légitimes, mais disproportionnées avec nos moyens, nos possibilités. La volonté du premier Gouvernement mis en place par l’Abbé Fulbert Youlou était évidente mais ne suffisait pas pour faire face à tout et tous. La souveraineté hélas, ne nous donnait pas la possibilité de faire des miracles.

Notre Gouvernement toujours guidé par l’équité et la justice a dû dès son avènement s’imposer avec fermeté. Notre monde de gestion a parfois surpris les observateurs étrangers. Les conceptions démocratiques des jeunes Etats Africains ne revêtant pas les mêmes caractères que celle des vieilles démocraties occidentales, il ne fallait pas dès lors s’en étonner. Les événements nous prouvent tous les jours que l’Afrique comme l’Asie ne se gouvernent pas comme l’Europe ou l’Amérique. C’est cependant avec un sens humanitaire profond et avec un désir bien arrêté de promouvoir le pays vers de hautes destinées que le Président Youlou Fulbert et les membres de son Gouvernement ont toujours œuvré.

Au cours de notre première année d’existence, il nous a fallu mettre en place nos institutions exécutives et législatives et nous donner les attributs correspondants à notre nouveau statut de nation : drapeau, hymne national, devise.

Notre drapeau est formé de formé de deux triangles vert et rouge séparés par une bande jaune placée en diagonale. Le vert est le symbole de notre espérance dans l’avenir économique et social du pays, le rouge exprime notre vœu le plus cher : que le courage et l’ardeur du peuple congolais lui permette de gagner sa place parmi les nations civilisées du monde, enfin le jaune est le symbole de notre volonté d’union et de notre traditionnel sens de l’hospitalité.

Quant à notre devise : Unité * Travail * Progrès, elle est tout un programme.

En accédant au pouvoir le Gouvernement de l’Abbé Youlou Fulbert s’est fixé comme premier impératif : l’Union de tous les congolais au-dessus des ethnies, des parties et des religions.

Sachant qu’il est déjà difficile de construire un pays et de garder libre et maitre de ses destinées lorsqu’il ne peut compter que sur un millions d’habitants, comment aurions-nous pû faire face aux taches impérieuses qui nous attendaient si nous étions resté divisés.

Nous sommes un pays sous-peuplé que la volonté de Dieu a voulu plus vaste que certaines nations européennes au potentiel économique immense. En Afrique, la plupart du temps, la nature n’est pas à l’échelle de l’homme et nous nous sentons parfois écrasées par la somme des efforts demandés qui paraissent de prime abord au-dessus de nos moyens.

Nous étions certes pétri de bonne volonté, mais à quoi cela aura pù servir si nos efforts n’avaient pas été conjugués.

Ce désir d’union, ce besoin d’unité, le peuple congolais l’a si bien senti, qu’aujourd’hui moins de deux ans après la proclamation de la République nous pouvons dire que du Nord au Sud, de la Cote océane aux savanes de l’Intérieur et à la grande forêt, il n’ y a plus que des congolais, fiers de leurs origines et de leurs traditions mais plus fiers encore d’être des citoyens d’une nation libre et unie.

Fort de cette unité, la République du Congo s’est mise au travail. Elle s’y est mise avec l’obstination qui caractérise son peuple.

Le but du Gouvernement, en élevant le niveau de vie matériel du citoyen congolais vise plus particulièrement à l’amélioration de sa condition sociale et humaine. Nous devons pour cela réformer une structure sociale fortement ancrée résultant d’un mode vie ancestral peu adapté aux impératifs vitaux d’une politique d’efficacité et de progrès, nous devons repenser notre économie de subsistance, parer à la sous-alimentation de nos populations et trouver un remède aux charges excessives résultant d’un appareil administratif de luxe. A côté de ses obstacles majeurs mais non insurmontables nous devons nous réjouir de notre situation géographique comme de nos voies de communication convenablement équipées qui nous placent parmi les Etats les plus privilégiés d’Afrique centrale ; nous savons aussi que nous pouvons compter sur nos réserves en énergies et en minerais, sources d’espoir certain d’une promotion économique et sociale.

Aussi pour accélérer cette promotion de la personne humaine, le Gouvernement attache-t-il une importance considérable aux problèmes de l’enseignement et de la formation technique. Notre pays qui peut se placer parmi ceux possédant le plus fort pourcentage de scolarisation d’Afrique Noire (72% représenté par 100 000 élèves de l’enseignement primaire et plus de 5 000 dans le secondaire et le technique) prépare ses enfants à œuvrer pour réaliser le Congo de demain.

La route nous en sommes conscients sera longue, les obstacles nombreux, il nous faudra autant de prudence que de clairvoyance, mais le peuple Congolais le veut et parce qu’il le veut nous gagnerons la bataille du devenir.

Pour parvenir à atteindre ce progrès, qui constitue notre troisième objectif, il nous faut aller de l’avant, voir toujours plus loin devant nous sans oublier cependant que nous sommes africains, que nous devons toujours concilier les exigences de la vie moderne avec nos coutumes et nos traditions, qui elles aussi ont droit à la vie.

S’étant tracé, dès les premiers mois de sa formation, un programme auquel il n’entend pas déroger notre Gouvernement depuis bientôt deux ans poursuit ses efforts sans défaillance, sérieusement épaulé par l’assistance technique de la Nation française nous dispense.

Cette aide généreuse, nous aura permis d’atteindre la dernière marche de ce processus de décolonisation qui, commencé au lendemain de la conférence de Brazzaville en 1944, devait nous amener le 15 aout dernier à célébrer notre indépendance pleine et entière.

Cette ascension aisée vers les hauts sommets de la liberté s’est faite sans heurts, sans précipitation, sans spectacle mais avec loyauté, générosité, conscience, elle s’est faite avec le sourire et nous avons recueilli de la France un Etat ordonné, pacifié, structuré, lancé sur les voies du travail et du progrès, débarrassé de toutes séquelles du colonialisme.

En cette belle journée du 15 aout 1960, une main blanche et noire avaient tourné d’un même geste mesuré et raisonné une page d’histoire parmi tant d’autres. Il n’y avait plus désormais de colonisateurs ni de colonisés, il ne restait sur la grande voie de liberté que des amis liés par l’estime et le respect réciproque mais aussi par des sentiments qui sont difficiles à exprimer par la parole.

Maintenant fiers de nos qualités d’hommes libres, nous regardons droit devant nous vers l’avenir et si nous tournons parfois vers le passé c’est pour mieux y puiser des raisons d’espérance et la force dont nous avons tant besoin.

Cet avenir croyez-le nous le voulons heureux et prospère pour la jeunesse présente et pour nos futurs générations. Notre Gouvernement, parce qu’il connait les difficultés matérielles de l’heure voudrait que ses enfants puissent trouver devant eux une route large sans obstacle majeur. Nous savons plus que tous autres que la faim amène la colère et pourtant malgré sa pauvreté, malgré ses difficultés, le peuple congolais n’a jamais cédé à la haine ou à la rancune. Son hospitalité, nous en avons pour preuve les récents événements ne sais jamais démentie et l’accueil légendaire fait par les chefs traditionnels de notre pays au Grand Savorgnan de Brazza, peut à lui seul témoigner de nos intentions.

C’est parce que nous tenons à nous référer plus que jamais à cette sagesse exemplaire, que notre Gouvernement poursuit sa tache émancipatrice par le travail.

Notre révolution, car c’est à une véritable révolution que nous avons convié notre peuple en optant pour l’indépendance, nous la voulons dans le maintien de l’unityé du peuple congolais, dans la paix de tous les africains et dans l’égalité des hommes quelle que soit leur couleur de peau.

En demandant notre admission à l’Organisation des Nations Unis, nous avons fait le vœu de vivre dans la fraternité et la solidarité de tous les peuples libres épris de justice, plaçant les idéaux de paix au-dessus de toute considération personnelle ou matérielle, comme nous avons pris l’engagement de contribuer par notre sagesse à la consolidation de la coexistence pacifique des peuples au-delà des préjugés de race, de couleur ou de religion.

Dans la joie de notre admission, une pensée émue s’envole au-delà de nos frontières vers nos frères qui espèrent un jour s’assoir tout près de nous.

J’émets le vœu aussi qu’une solution rapide soit trouvée à la désignation des membres de République du Congo capitale Léopoldville, qui attendent impatiemment de faire leur entrée dans l’hémicycle. Nous comptons pour cela sur la haute compréhension de tous les leaders de ce pays ; sur toutes les bonnes volontés et aujourd’hui plus que jamais sur l’action désintéressée des Nations Unies.

Enfin que nos vœux accompagnent les Républiques sœurs du Sénégal et du Soudan dans leur désir d’œuvrer sous peu au sein de cette Assemblée.

Peuple pacifique nous sommes, peuple pacifique nous voulons demeurer pour bien mériter du monde et de l’Organisation des Nations Unies.

Vive les Nations Unies ;

Vive la paix  

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7 réponses à DISCOURS Prononcé par M. Stéphane TCHITCHELLE, devant la tribune des Nations Unis à l’occasion de l’admission de la République du Congo à l’ONU (23/09/1960)

  1. Legrand. dit :

    C’est trop beau.Que Dieu bénisse le Congo!
    This is too cute;God bless the Congo!
    Es guapisíma, Dios bendinga el Congo!

  2. GIL dit :

    Aucun intérêt en réalité. Le contexte d’alors est trop lointain. Mes parents ne se connaissaient même pas encore.
    Il y a de la digression dans ce discours qui ne porte aucune accusation contre l’impérialisme en général.

    Il y a mieux! le discours de LUMUMBA, de KWAME NKRUMA !

  3. Wape dit :

    C’est dommage! où actuellement cet idéal?

  4. SANKARA dit :

    GIL@
    Je partage ton analyse. Les TCHITCHELLE, YOULOU et consorts étaient les valets de la France coloniale.

  5. Félicité dit :

    Tout ceci ne fût qu’est rêve.

    Le naturel a repris le dessus.

    Les crimes ont été commis juste pour le Pouvoir.

  6. Anonyme dit :

    Trés bon discours grand père vous étes toujours là avec nous merci

  7. KALI Xavier dit :

    Le discours de Stéphane se fait à l’Assemblee des Nations Unies et il s’agissait d’une présentation du nouvel état qui venait d’être admis comme membre; alors point n’ était besoin de faire un discours Lumumbiste. Ce qui a été fait pendant la colonisation était entré dans l’histoire et en rappeler les faits n’aurait rien changé. Il s’agissait à présent de répondre à la charge qui les incombait devant leurs concitoyens. On ne dirige pas un pays en ressassant les événements du passé sauf pour en tirer des leçons, si non on risque de s’enliser dans une spirale de revanches. Combien d’années faut il pour faire acte de ce qu’on a subit et passer à autre chose? Il s’agit de gouverner un pays et non de faire la guerre et gouverner c’est être diplomate. Ce qui était fait était fait, il s’agissait d’avancer et c’est ce que nous n’arrivons pas à faire après 60 ans. On voit bien qu’il ne s’agit pas de peindre la colonisation en noir; mais nous devenu plus que les colons(tribalisme, régionalisme…). On ne s’attache pas aux idées mais aux personnes de notre coin. Voilà ce qu’est l’Afrique depuis que nous la gérons. On dire que nous sommes toujours gérés par l’Occident, peut être mais l’occident ne nous empêche pas de nous faire du bien entre nous; ce qu’il veut c’est garantir ses intérêts et aucun pays au monde ne fonctionne sans intérêt privé(les états n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts).

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