CONGO: PLAIDOYER POUR LA MODIFICATION DU STATUT ADMINISTRATIF ET JURIDIQUE DE DOLISIE, par Wilfrid Sathoud

La création des trois principales villes que compte a ce jour notre pays, la République du Congo : Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie remonte à l’époque coloniale.

Depuis lors, comparativement aux deux précédentes villes, le statut administratif et juridique de la commune de Dolisie, qui portait jadis le nom de Loubomo emprunté à un cour d’eau in situ, n’a guère connu d’évolution notable, malgré l’accroissement démographique substantiel de sa population, l’extension remarquable de l’agglomération, les quelques modifications architecturale tous azimuts consécutives à la politique dite de « municipalisation accélérée » et les retombés escomptés par l’achèvement du premier tronçon de la route nationale N° 1 récemment ouverte au trafic.

Photo 1 : Le chantier inachevé de l’Hôtel  de ville de Dolisie, en cours de réfection  depuis 2010

Par devoir de mémoire historique pour la postérité, nous restituons à la suite, le témoignage évocateur de Victor-Justin SATHOUD sur les tenants et les aboutissants de l’autonomie de la Commune de Brazzaville relatés en 1985 devant le conseil municipale de Pointe-Noire qui désirait alors acquérir le même statut que Brazzaville, suivit de son mémorable plaidoyer en faveur de l’accession de Dolisie au statut de commune de plein exercice, défendu avec véhémence devant l’assemblée territoriale du Moyen-Congo à Pointe-Noire, depuis le 10 Mai 1955, et dont le contenu demeure à maintes égards d’actualité, en dépit du changement de contexte politique.

Ø  Photo 2 : Victor-Justin SATHOUD recevant le président Marien NGOUABI à Loubomo, en qualité de Commissaire du gouvernement Préfet de la région du Niari (1975).

 

« L’autonomie de la Commune de Brazzaville date depuis la colonisation.

Comme tout un chacun le sait, Brazzaville fut naguère capitale à la fois de l’Afrique Equatoriale Française (AEF), du Territoire du Moyen-Congo, et du Département du Pool.

A la suite de la mise en place des Assemblées locales dans toutes les anciennes colonies françaises, le gouvernement général rencontrait beaucoup de difficultés pour faire voter les budgets du Grand Conseil de l’AEF.

En effet, les Grands Conseillers des autres territoires qui formaient l’AEF (Le Gabon, l’Oubangui-Chari et le Tchad) se liguaient systématiquement contre les crédits destinés à la ville de Brazzaville, estimant que c’était toujours au profit du Moyen-Congo qui déjà, bénéficiait de toutes les structures socio-économiques : le CFCO et le Port de Pointe-Noire, le Lycée Savorgnan de Brazza, l’Ecole des Cadres de l’AEF, l’Ecole Normale des Instituteurs et l’Hôpital Général.

C’est ainsi que pour mettre un terme au climat malsain qui régnait au Grand Conseil à chaque session budgétaire, le Gouverneur General prit la décision, en 1949, de faire de la Commune Mixte de Brazzaville, une ville autonome. Un Administrateur-Maire fut nommé à la tête de Brazzaville.

Alors, la capitale du Moyen-Congo fut transférée à Pointe-Noire, et celle de la Région du Pool à Kinkala.

Voila las raisons pour lesquelles Brazzaville a obtenu son autonomie. Elle a conservé ce statut jusqu’à présent parce que, après l’indépendance, les gouvernements qui se sont succédés ont bien voulu que la capitale politique de notre pays ne soit pas rattachée à une Région, eu égard à l’importance que son histoire lui confère.

En ce qui concerne le vœu émis par le Conseil Municipal de Pointe-Noire, tendant à bénéficié du même statut que Brazzaville, il appartient à la Direction Politique Nationale de trancher (NDLR : nous somme a l’époque sous le règne du PCT Parti/Etat).

En tout état de cause, cette mesure ne saurait concerner Pointe-Noire seulement. S’il faut accéder au désir du Conseil Municipal de cette ville. Il n’y a aucune raison que Loubomo, Nkayi et Ouesso ne soient pas aussi autonomes, voir même les PCA qui relèvent des Districts.

 

Assemblée Territoriale du Moyen-Congo

Pointe-Noire, le 10 Mai 1955

 

 

Victor Sathoud a plaidé en faveur d’une troisième commune : Dolisie

Entre autres travaux, l’assemblée avait à donner son avis sur l’accession des villes de Brazzaville et Pointe-Noire au statut de commune de plein exercice. Défendant Dolisie la troisième ville du Moyen-Congo, qui est déjà commune mixte, M. Victor Sathoud, conseiller du Niari, à présenté l’intervention suivante.

Ainsi que je l’avais promis lors de l’étude de cette affaire n°262 en Commission des Finances et en Commission élargie, je me dois de renouveler en séance plénière les observations que j’avais formulées au nom de la population de Dolisie que j’ai l’honneur de représenter ici.

En effet, personne ne peut contester la grande satisfaction des populations congolaises, depuis que le projet de loi sur la création des Communes de plein exercice en Afrique Noir est en discussion au Parlement Français. Désirant intervenir uniquement dans le cadre des attributions imparties à notre Assemblée, je regrette de ne pouvoir faire état de tous les commentaires auxquels ce projet de loi donne le jour dans notre pays…

A l’origine, la question primordiale qui préoccupait le législateur était de savoir si les Communes à créer seraient à même d’équilibrer leurs budgets sans la moindre difficulté. Or, en Commission des Finances, les représentants de l’Administration nous ont déclaré que les budgets des trois communes mixtes n’étaient pas déficitaires.

C’est assez vous dire, Messieurs, le grand étonnement des Dolisiens de constater que leur ville n’ait pas été portée sur la liste des communes à créer au Moyen-Congo, ni fait l’objet d’une intervention des Parlementaires de leur Territoire, alors que certains centres moins importants que Dolisie, l’ont été en A.O.F. La condition financière étant remplie, l’on évoquera peut-être, pour essayer de nous persuader « l’âge » de cette ville de Dolisie.

Il faut de la patience, certes. Mais il ne faut ni oubli, ni négligence. C’est le seul moyen, à mon humble avis, de servir non seulement les intérêts  des masses laborieuses de Dolisie ou du Niari en général, mais également ceux du Moyen-Congo dans son ensemble.

Car, lorsqu’il faut demander un effort fiscal aux contribuables des grands centres, lorsqu’il faut instituer toute sorte de taxes dans les grands centres, on ne tient aucun compte de « l’âge » de Dolisie.

Mais lorsqu’il faut proposer des indemnités de cherté de vie pour les fonctionnaires des grands centres, lorsqu’il faut proposer des relèvement des salaires des travailleurs du secteur privée dans les grands centres, lorsqu’il faut équiper les formations sanitaires et scolaires des grands centres, lorsqu’il faut repartir les médicaments dans les grands centres, lorsqu’il faut créer des Policliniques, des dispensaires, des Centres de Puériculture et des Ecoles nouvelles dans les grands centres, lorsqu’il faut prévoir des ambulances pour les grands centres, lorsqu’il faut inscrire dans le budget des crédits pour le fonctionnement du service social dans les grands centres, lorsqu’il faut consentir des avals de l’ordre de plusieurs millions pour l’urbanisme des grands centres et enfin lorsqu’il faut proposer les transformation des Communes-Mixtes des grands centres en Communes de plein exercice, on tient trop compte de « l’âge » de Dolisie, au point de le priver de toutes les réalisations.

Non, Messieurs soyons logiques et conséquents avec nous-mêmes, et concevons que ce paradoxe n’est autre chose qu’un prétexte pour éviter volontairement de satisfaire le moindre désiratum de cette ville, jeune bien entendu, mais très importante qu’est Dolisie.

M. le président, je n’ai pas besoin de faire une description de la ville de Dolisie à l’assemblée, tout le monde la connaît très bien du moins par la lecture des nombreux articles parus dans la presse locale.

Je suis donc persuadé – et vous conviendrez tous avec moi qu’il résulte des faits sur la matérialité desquels aucune contestation n’est possible – que de par sa situation financière, économique, géographique et sociale, la transformation de la commune mixte de Dolisie en commune de plein  exercice est opportune. Ainsi, ai-je l’honneur, M. le président de proposer à l’assemblée nationale l’adoption et la transmission de la motion suivante au gouvernement :

Assemblée Territoriale du Moyen-Congo

« Conscients que la commune Mixte de Dolisie a été créée par arrêté n°3200 du gouverneur général de l’A.E.F, en date du 23 octobre 1950 ;

« Considérant que le budget Municipal de Dolisie fait face à ses charges et n’a connu aucun déficit jusqu’alors ;

« Considérant que de par sa situation géographique, économique et surtout financière, l’accession de la ville de Dolisie sur la liste des communes de plein exercice est opportune ;

« Demande au gouvernement de bien vouloir proposer au parlement l’inscription de la ville de Dolisie sur la liste des communes de plein exercice à instituer au Moyen-Congo ».

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M. le secrétaire général, au terme de votre réponse en commission élargie, vous avez attiré notre attention sur les responsabilités d’argent, en faisant allusion à des déficits constatés dans des caisses tenues par certains fonctionnaires africains, soit dans des agences spécialisées, soit dans les services de P.T.T.

Cet argument est valable, mais ne peut suffire pour nous convaincre, car les déficits se rencontrent dans le monde entier, et chez toutes sortes de catégories d’hommes. Vous avez également attiré notre attention sur les difficultés que l’administration rencontrera pour avoir du personnel qualifié dans les bureaux municipaux. A qui peut incomber cette faute Monsieur le secrétaire générale ?

On ne s’intitule pas financier ; cela s’apprend. On ne s’intitule pas trésorier ; cela s’apprend. Tout s’apprend dans la vie, qu’elle soit privée ou publique. L’A.E.F avait une école des cadres supérieurs qui formait les fonctionnaires de toutes les branches de l’administration publique : Finances, Douanes, Postes, Justice, Travaux publics etc.…

Pour des raisons qui ne sont connues que de Dieu seul jusqu’alors, cet établissement a été supprimé, bien que les quelques éléments qui y ont été formés aient donné entière satisfaction partout, et ont contribué largement à la bonne marche de la machine administrative de l’A.E.F. Tout s’apprend dans la vie, et le vœu le plus sacré de tous les Africains, est d’avoir la possibilité de parfaire leurs connaissances aussi bien intellectuelles que professionnelle. Par conséquent les connaissances de la gestion municipale mêmement.

Messieurs, qu’il me soit permis avant de terminer, de demander à nos Parlementaires de faire leur, le mémoire que je viens de présenter en faveur de la ville de Dolisie, le Chef lieu de cette vallée du Niari qu’ils ne cessent de citer avec fierté d’ailleurs – ce dont le Niari leur est très reconnaissant chaque fois qu’ils ont l’occasion de parler des richesses agricoles et de l’économie de notre cher Moyen-Congo.

Pointe-Noire, le 10 Mai 1955

Cette intervention a été énergiquement soutenue par toute l’assemblée, qui a adopté à l’unanimité la transmission au gouvernement de la dite motion.

Source : Journal des débats de l’Assemblée Territoriale du Moyen-Congo extrait du Fonds documentaire Victor-Justin SATHOUD.

En définitif, au regard de ce qui précède et a la faveur des élections municipales et législatives qui pointent déjà à l’horizon; Nous envisageons maintenant porter sur les fonds baptismaux un mémorandum citoyen en faveur de la modification du statut administratif et juridique de la ville de Dolisie, pour lequel nous solliciterons en temps opportun l’adhésion de tous les citoyens, natifs et amis de Dolisie sans aucune distinctions politique, ethnique ou religieuse, dans le cadre de la continuité de ce noble et exaltant combat initié depuis des décennies par nos illustres patriarches.

 

Wilfrid Olivier Gentil SATHOUD

[email protected]

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