Congo : Bienvenu Okiemi a tout faux sur le téléphone en milieu carcéral.

Voulant prouver aux auditeurs d’Africa numéro 1 que les libertés publiques ne souffraient d’aucune entorse au Congo tout en fustigeant l’opposition, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, s’est mêlé les pinceaux s’agissant de l’utilisation du téléphone en milieu carcéral.

Le 12 novembre dernier, lors de l’émission « le Grand Débat », fidèle à ses envolées lyriques, il s’est laissé aller en affirmant: « Un avocat congolais, placé en détention provisoire, téléphonait librement aux médias parisiens. Il accordait interviews et entretiens téléphoniques sans être inquiété. Si le gouvernement le voulait, il aurait pu brouiller ses communications, voire interrompre sa ligne téléphonique. C’est pour vous dire que la liberté est totale au Congo ».

Cette envolée lyrique du ministre congolais de la communication a suscité railleries et hilarité parmi les professionnels et les formateurs de l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire.

En principe, placer en détention provisoire, donc en prison, nul ne peut disposer d’un téléphone portable, et téléphoner à sa guise.

La détention provisoire consiste dans l’incarcération de la personne mise en examen, pendant une période susceptible de se prolonger longtemps, parfois jusqu’à ce que la juridiction de jugement se soit prononcée.

La détention provisoire ne peut résulter que d’un mandat de dépôt décerné par le juge des libertés et de la détention.

Ce juge existe-t-il au Congo ? Le juge des libertés et de la détention est saisi par une ordonnance à cette fin du juge d’instruction. L’incarcération a lieu dans une maison d’arrêt.

Cette prohibition de disposer d’un téléphone portable lors de la détention provisoire se justifie pour plusieurs raisons. Téléphoner pendant la détention provisoire peut avoir pour conséquence d’entraver l’enquête en faisant par exemple pression sur les témoins, ou encore solliciter les complices et les différents protagonistes pour leur demander de faire disparaître les preuves. Le téléphone portable est aussi un moyen de pression sur les victimes.

En prison, seuls les détenus déjà condamnés par le tribunal ont le droit de téléphoner en utilisant les cabines téléphoniques mises à leur disposition. Ils peuvent communiquer avec leurs familles et leurs proches. Les conversations, pour des raisons de sécurité, sont écoutées au même titre que leur correspondance est lue.

En revanche, les personnes placées en détention provisoire n’ont pas le droit de téléphoner. Les téléphones portables sont interdits en détention sans exception, et pour toutes les catégories de personnes détenues, sans exception.

Les personnes détenues ne peuvent contacter que des numéros validés par l’Administration Pénitentiaire, et leurs conversations, payantes, sont enregistrées. Discussions confidentielles avec leur avocat, confessions intimes, messages à faire passer à leur entourage… tout est passé au crible.

Depuis les règles pénitentiaires et la loi pénitentiaire de 2010, les personnes condamnées peuvent téléphoner aux heures d’ouverture de cellules à leur demande et contacter à peu près qui elles souhaitent (sauf restriction spécifique). Les établissements pénitentiaires dressent en général une liste de numéros «rouges »(médias, aéroports…) qui sont programmés pour rester inaccessibles.

Tout usage non réglementaire du téléphone peut donner lieu à une interruption de la communication et à des poursuites disciplinaires. L’accès est limité aux horaires d’ouverture et limité aux « points phone » qui se trouvent sur les coursives, et en accès libre dans les cours de promenade.

Le chef de l’établissement pénitentiaire est compétent pour autoriser l’accès au téléphone. Le régime d’autorisation est de droit à l’égard de la famille et à un régime d’autorisation à l’égard des personnes autres que la famille.

Des contrôles peuvent être effectués durant les communications et à posteriori car elles sont enregistrées pour une durée de trois mois.

Comme on le voit, si le téléphone portable est strictement interdit en milieu carcéral, l’utilisation des cabines téléphoniques en détention est à l’inverse très encadrée. Contrairement aux postures, loin des bagnes et de la méconnaissance du milieu carcéral, force est d’affirmer que cet univers est largement couvert et dominé par le droit.

La réalité carcérale a profondément évolué depuis 1945. Le recul de l’arbitraire, l’harmonisation des conditions de détention et l’ouverture du monde pénitentiaire sont indéniables.

Jadis, avant l’apparition des téléphones portables, gage de modernité et d’évolution, les personnes détenues n’avaient même pas le droit de téléphoner. La Société civile ayant mis en avant l’importance des liens familiaux des personnes détenues, le téléphone a fait son apparition dans les prisons.

Comme pour la télévision, l’arrivée du téléphone en milieu carcéral a connu bien des résistances.

Aujourd’hui, le Burkina Faso engage une réflexion sur l’état de ses prisons, des conditions d’incarcération et de la prise en charge des personnes détenues. Le chemin étant encore certes long, ce débat a le mérite d’exister. Quid du Congo?

Il est regrettable d’observer que bon nombre d’africains instruits et diplômés, une fois cooptés par l’exécutif, se perdent en conjectures en minorant leur lucidité. A force de privilégier la politique sans lendemain à la réflexion, le pouvoir à la puissance, ils ignorent souvent que « la puissance ne consiste pas à frapper fort ou souvent, mais à frapper juste ».

 

Alexis BOUZIMBOU.

Cercle réflexion pour des idées nouvelles

www.congo-liberty.org

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