Discours de J. Cheminade sur le franc CFA et l’euro, au think tank africain AAALFA « VIDEO + TEXTE »

 

 

 

L’INTÉGRALITÉ DU DISCOURS DE JACQUES CHEMINADE « TEXTE »

Je me dois de parler franchement. Comme vous le savez la France a récemment donné à l’Afrique deux discours. Celui, avant-hier, de Nicolas Sarkozy à Dakar pour qui « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » et « dont l’imaginaire ne laisse de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès ». C’est la citation. Donc je ne ferai aucun commentaire sur cette incroyable suffisance, terriblement révélatrice, elle ne le mérite pas, elle ne mérite pas de commentaires. Le deuxième discours, celui aujourd’hui de François Hollande, lui aussi à Dakar qui a bien précisé que l’Afrique est le berceau de l’humanité, ce qui est un progrès, mais dans un discours qui ne véhicule que des principes et des vœux pieux. Aucun n’apporte des actes concrets, et ce n’est pas la promesse, je dois dire, de telles ou telles mesures, qui peut changer le fond des choses. Elle peut apporter une amélioration mais elle ne peut changer le fond des choses, car aucun ne rompt réellement avec les fondements de la Françafrique, et de ses réseaux. {Il n’y pas de rupture.} Les années passent et l’oppression demeure, bien qu’elle change apparemment de forme. Joseph Tchuindjang Pouémi est allé droit à l’essentiel pour expliquer et comprendre ce qu’il appelle les « douleurs de l’Afrique ». Son livre « Monnaie, Servitude, liberté : la répression monétaire en Afrique », et c’était extraordinaire d’avoir trouvé ce terme pour les années 1979-1980 où il l’a écrit. Ce livre met bas les masques, il dévoile la monnaie comme source essentielle d’oppression, autant que les armes, le Franc CFA, autant que les licornes et les turquoises.

Le Franc CFA, écrivait Pouémi alors, est en fait un instrument de la permanence de la colonisation française en Afrique : « la France est le seul pays au monde à avoir réussi l’exploit de faire circuler sa monnaie et rien que sa monnaie dans des pays politiquement libres. » Aujourd’hui plus de 30 ans après, la situation de dépendance de l’Afrique, on l’a dit, n’a pas changé. Les Etats qui relèvent du Franc CFA n’ont aucune maîtrise de leur monnaie.

Ainsi la dévaluation de 50% en 1994 a sapé les fondements d’une classe moyenne émergente et servi uniquement les fortunes colossales de l’oligarchie au pouvoir, dont on a vu les liens de consanguinité ou je dirais d’inceste avec ces élites françaises, « élites ». Elle a servi uniquement les fortunes colossales d’une oligarchie au pouvoir qui met ses avoirs à l’abri dans des paradis fiscaux et achète d’immenses propriétés immobilières en France et en Europe, quitte à faire éduquer ses enfants, se soigner et mourir en France ou aux Etats-Unis, faute d’avoir prévu les investissements sociaux nécessaires dans leur propre pays. Cela a été bientôt aggravé par le consensus de Washington que le Fonds Monétaire International a appliqué, en exigeant que les pays africains pratiquent des coupes claires dans les budgets sociaux, dans l’éducation et dans les infrastructures, provoquant à la suite une émigration que les pays européens ne veulent plus accueillir et chassent avec leurs bateaux, leurs avions et leurs polices. Ainsi s’est mise en place cette machine infernale et ses conséquences, les terribles inégalités sociales en Afrique et les problèmes dont on a parlé, de l’immigration chez nous avec désormais en Europe une forme de ségrégation intérieure redoublant le néocolonialisme par la monnaie à l’extérieur.

Laissez-moi évoquer une image : j’étais au Niger il y a deux ans et j’allais de Niamey à Tillabéry. L’on voit sur le bord des routes des garçons et des filles qui vendent des puces à bas prix pour les portables, utilisés pour solliciter l’aide d’un parent qui se trouverait à Paris ou à Abidjan, c’est la manifestation de la dépendance. Et en arrivant à Tillabéry, le premier bâtiment à droite de la route, c’est l’antenne locale du PMU français.

Cependant à notre époque, et je deviens optimiste, cette extension des réseaux de pillage financier et la multiplication des complicités est non seulement une tragédie inadmissible mais elle devient une occasion. Il est ironique … mais logique, que les maux infligés aux peuples colonisés par les anciens colonisateurs, et infligés toujours aujourd’hui avec la complicité d’une bourgeoisie comprador, comme on disait, – mais ça reste tout à fait vrai – et l’extension d’une servitude volontaire telle que la condamnait chez nous La Boetie, que ces maux sont désormais infligés par les colonisateurs à leur propre peuple et d’une façon analogue. Le système de l’euro impose, avec d’autres formes, le même pillage monétaire : on renfloue les banques et l’on livre les peuples à l’austérité dans un monde surplombé par l’oppression de la City et de Wall Street et de leurs complices locaux, comme même on l’a montré maintenant sur France 5 et Arte … c’est public. Est-ce un hasard que le Fonds Européen de Stabilité Financière et le Mécanisme Européen de Stabilité ne sont pas installés à Berlin, à Paris ou à Rome, mais au Luxembourg dans un bureau ? Je suis donc convaincu qu’après avoir raté une première chance dans les années 50 et 60 du siècle précédent, du 20ème siècle, en n’unissant pas les luttes sociales dans les pays dit développés et les combats pour l’émancipation coloniale. 

{Mais nous avons aujourd’hui une seconde chance.

En effet le mécanisme de l’oppression que décrit Joseph Tchuindjang Pouémi pour l’Afrique s’applique maintenant avec de plus en plus de brutalité à l’échelle du monde. Il nous offre ainsi l’occasion de réagir ensemble en sortant les peuples de la servitude volontaire pour que tous retrouvent leur souveraineté d’ individu et la souveraineté des nations qui sont une chose, qui est consubstantielle. Pas avec des belles paroles mais avec des actes qui brisent la règle du jeu. Ma pensée va ici à Patrice Lumumba, lorsqu’il se leva le 30 juin 1960 face à Baudouin, roi des belges, et à Thomas Sankara qui lui aussi se leva devant l’organisation de l’unité africaine le 29 Juillet 1987 alors qu’il était Président du Burkina Faso et qui s’écria : si le Burkina Faso demeure seul dans son refus de payer la dette je ne serai pas parmi vous à la prochaine conférence … le Burkina Faso demeura seul … Thomas Sankara fût assassiné, comme Patrice Lumumba, et par les mêmes forces, le 15 Octobre 1987 moins de 3 mois après son discours du 29 Juillet, dont nous avons pu célébrer il y a 4 jours le 25ème anniversaire de sa mort. Cette fois cependant {nous devons combattre et demeurer vivant en combattant.} Nous devons pour cela, comme le disait Pouémi et aussi Martin Luther King avoir un vrai rêve, qui se confonde, disait Pouémi, avec l’ambition d’un projet. Il faut construire nous disait-il. Pour cela nous devons arrêter la machine infernale en redonnant espérance, notre mission est de sortir les peuples de l’éternel présent où on les a enfoncés, pour leur offrir un horizon, un horizon de combat. 

Je retiendrai 5 points pour conclure : 

Le premier c’est qu’il faut partir du physique, pas de l’argent. Mettre en œuvre de grands projets qui engendrent du vouloir vivre en commun. Quand j’ai rencontré à Tillabéry, le lieutenant-colonel Ibrahim Bagadoma, qui a porté avec lui le grand projet de remise en eau du lac Tchad si nécessaire pour sauver les peuples du centre de l’Afrique, une centaine de millions de personnes. Dans cette perspective la société Transaqua avait aussi un grand dessein, de prendre 5% de l’eau du bassin du Congo, de son débit, de toute façon perdu aujourd’hui à la mer et alimenter le lac Tchad avec un canal d’environ 2000 km, artère d’échange de biens, de navigation et de développement agricole et agro-industriel. Voilà ce que disaient les experts en 1980 déjà : « les unités de mesure des coûts d’investissement » — parce qu’on a dit que ce projet était pharaonique. Évidemment il coûterait plusieurs dizaines de milliards, mais pour trouver 1000 milliards aujourd’hui pour donner aux banques européennes, ça c’est pas pharaonique et on le donne tout de suite ! On l’a donné en décembre et février sous forme d’un prêt à 1% à 3 ans, on l’a donné à la fin de l’année dernière et au début de cette année. Donc écrivaient les gens de Transaqua : — « les unités de mesure des coûts d’investissement ne se résument pas à des millions ou des milliards de dollars, mais à l’absence de guerre, aux millions d’êtres humains sauvés de la faim et bénéficiant enfin d’une vie digne, de la paix sociale, et tous parvenant ainsi à une conscience internationale retrouvée. »

Nous avons aussi proposé un plan, nous-mêmes, d’aménagement des chotts tunisiens et algériens en les alimentant eu eau douce. Il y a le grand projet du canal de Jonglei qui a été arrêté lorsque les divers impérialismes se sont battus sur le dos du peuple du Soudan. Il y a un projet d’un ingénieur égyptien pour faire un canal doublant le Nil et irriguant le désert. Bref il y a tous ces projets qui sont là dans les tiroirs et qu’on applique pas parce qu’il y a cette oppression financière. 

{Deuxième point il faut rêver mais ne pas rêvasser.} Pour créer une plate-forme de développement reposant sur la création scientifique, l’innovation technologique et surtout la participation des peuples. Il faut un nouvel état d’esprit qui soit réellement révolutionnaire, non au sens de destruction et de vengeance, mais pour écarter ceux qui se mettent au travers de la route. Faire briller à nouveau le soleil des indépendances ou le faire briller, je dirais, peut être pour la première fois, c’est le terme qui était utilisé par Nkrumah, exige autour de ces projets créateurs de réunir les diasporas africaines, leurs amis et les peuples d’Afrique pour arrêter l’atomisation du continent. Ici me vient à l’esprit le mot de panafricanisme bien entendu.

Troisièmement pour construire il faut sortir du monétarisme et passer à un système de crédit public, associer des banques nationales pour parier sur l’avenir. Ce crédit doit être engagé dans une véritable coopération entre pays du Nord et du Sud, et il exige un changement partout. Il faut pour cela arrêter de rêvasser et prendre vraiment des mesures de salut public à l’échelle du monde pour lesquelles {nous devons nous battre, et nous battre ensemble.} 

  • Première mesure c’est couper les banques en 2, dont je pense nous sommes ici tous les deux, les représentants des deux partis politiques ici présents, nous sommes d’accord pour mettre hors d’état de nuire la finance folle et pouvoir procéder avec un système de crédit public. Cela veut dire laisser couler tous ceux qui ont spéculé, sans les renflouer, contrairement à ce que fait l’Europe aujourd’hui. Les laisser tomber en faillite et sauver les peuples et les économies qui en ont été victimes, à partir d’une association de banques nationales sous contrôle des peuples, c’est à dire des forces vives de chaque pays.
  • Deuxième mesure, arrêter les spéculations sur les monnaies par un système de crédit public organisé, fondé sur des taux de changes fixes entre monnaies d’Etat. Aujourd’hui les mégabanques et les monnaies du monde sont donc en état de faillite virtuelle. Tout le monde le dit dans les couloirs de ces banques. Il faut donc recréer de la monnaie-crédit pour les grands projets avec une monnaie qui ait une valeur physique en arrêtant le jeu des faux monnayeurs et des usuriers. Il s’agit, pour éliminer les crocodiles financiers, d’assécher le marigot où il ne cessent de prospérer en rétablissant des principes et des lois.
  • Troisième mesure arrêter les exigences de démantèlement des droits de douane qui protègent les industries et les agricultures africaines. Arrêter donc ces soi-disant Accord de Partenariat Economique, les APE, qui sont en fait ce que vous avez décrit, des partenariats d’échange inégaux. 

Enfin mettre en place un moratoire sur la dette des principaux pays africains, on n’en sortira pas sans cela, et je dirais qu’il faudra mettre un moratoire aussi sur la dette en Europe en séparant les créances légitimes qui sont liées à la production et éliminer toutes les créances illégitimes liées au jeu et à l’exploitation. Eliminer ce contre quoi se battait Thomas Sankara,. Il faudra d’ailleurs faire de même en Europe je le répète car les pyramides de dettes, si elles ne sont pas éliminées, ne sont remboursables dans le monde, et en particulier en Europe, qu’au prix du sang des peuples par une inflation et une déflation, qui est déjà là. {La Grèce, c’est l’Afrique qui vient en Europe.}

Il nous faut donc penser haut et loin. Sur l’Afrique je voudrais terminer par une citation de Cheikh Anta Diop que j’aime beaucoup, dans son introduction à Civilisation ou Barbarie, où il dit :« On mesure alors combien est impropre au fond la notion si souvent ressassée d’importation idéologique étrangère en Afrique. Elle découle d’une parfaite ignorance du passé africain. Autant la technologie et la science, au sens moderne, viennent d’Europe – pour reparler de ce dont on a discuté – autant dans l’antiquité le savoir universel coulait de la vallée du Nil vers le reste du Monde, et en particulier vers la Grèce qui servira de maillon intermédiaire.» – C’est les travaux de Cheikh Anta Diop et de Théophile Obenga – « par conséquent aucune pensée, aucune idéologie, n’est par essence étrangère à l’Afrique qui fût la terre de leur enfantement, c’est donc en toute liberté que les africains doivent puiser dans l’héritage intellectuel commun de l’humanité en ne se laissant guider que par les notions d’utilité et d’efficience. » Ca vaut pas seulement pour l’Afrique mais pour nous tous, car en participant ensemble à un projet offensif, c’est là que nous serons fidèle à Jospeh Tchuindjang Pouémi. Pas en pratiquant la servitude volontaire ou le pillage sans scrupule mais en retrouvant cette vision d’égalité et de fraternité nous permettrons enfin à nos cultures, parce que, un secret qui n’est un secret pour personne, le métissage est déjà là, mais il faut savoir dans quel sens il ira. Donc nous permettrons enfin à nos cultures de réellement se connaître, de se féconder et de s’enrichir mutuellement dans un futur qui doit avoir rompu ces maux, ces doubles maux, que sont le capital fictif, le capital des faux monnayeurs, et l’indépendance également fictive … {nous devons retrouver la réalité.}

Discours prononcé le 19 octobre 2012

Par Jacques Cheminade, candidat à l’élection présidentielle française de 2012.

Fondateur du parti Solidarité et Progrès

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