Des silhouettes, des rêves partout dans les textes de Sauve-Gérard Ngoma-Malanda (2). Des textes qui viennent définir une autre forme de poésie picturale. Danse des silhouettes, une poésie au carrefour des styles couleur-maritime et hermétique de Tati Loutard et de Tchicaya U Tam ’Si qui, sans doute, ont eu à influencer l’auteur dans sa façon de flirter avec la muse.
Par l’intermédiaire du « je-discours », le poète dirige son regard sur l’Autre qu’il interpelle de temps en temps de l’intérieur. Dans ces interpellations, se découvre son regard sur l’être aimé, son regard sur la Nature dont l’aquatique (fleuve et mer) occupe une partie prépondérante dans le texte. La poésie de Ngoma-Malanda atteint son point névralgique dans les textes qui traite de sa douloureuse et éternelle séparation d’avec Elisabeth Baboté, sa génitrice, son « immortelle ». Elisabeth Baboté, cette femme qui lui doit la vie et par qui ses rêves sont devenus réalité.
Ngoma-Malanda : le poète des silhouettes entre rêve et espérance
Admirer des silhouettes et rêver devient le leitmotiv du poète presque dans tous ses textes. L’incipit de la première strophe du premier poème donne déjà le ton : « Danse ma vie/Dansent mes silhouettes dansent (…)/Mon squelette mes rêves/Danse ma vie danse » (p.20).
Aussi, le destin du poète va évoluer dans un mouvement dansant où se déclare son amour pour une certaine Nicole dans une danse de l’amour : « Danse l’amour danse/La vie est un panier à verbes pour conjuguer l’amour/J’en ai pris à bas-bruit pour aimer Nicole » (p.21).
Dans cette poésie, rêve, silhouettes et silence deviennent des compagnons de l’auteur en quête de « quelque chose » qu’il ne semble pas trouver : « Il ne germera pas des rêves dans les silhouettes du silence » (p.22). Mais si dans les silhouettes du silence, les rêves ne germent pas, se définissent l’espoir et l’optimisme du poète dans le texte intitulé « Les silhouettes de l’espérance ». Tout est espérance dans ce poème qui clame l’optimisme du poète. Et cela se remarque par l’isotopie de l’espoir avec la récurrence des mots « espoir » et « lumière », symboles de vie et de vitalité : « J’entends sonner les cuivres de l’espérance/Cinglants aboiements des clairons de nos espérances/Mon chant vers d’infinies lueurs/Etincelles de lumière qui ne brûlent pas mais éclairent/La soif de la quête du pèlerin » (p.24). Et comme chez la plupart des poètes, la soif du sensuel réagit aussi chez Ngoma-Malanda.
Intimité et poésie dans Danse des silhouettes
Le regard du poète nous dirige vers ses « silhouettes intimes » où l’amour platonique n’a plus de secret ; aussi éclate-il quand il déclare : « J’ai pissé dans la bouche de l’amour/(…) Me viendra-t-il de mes sicaires/Un prétendu pour rivaliser/La piété de ma virilité à revendre » (p.31). Mais de tous ses rêves d’amour, sa tendre Nicole prend la place capitale au milieu de ses silhouettes : « Mes rêves de martyrs m’ont poussé hors du drame/(…) Laissez-moi danser mes silhouettes solitaires/J’ai Nicole dans mon panier de rêves » (p.32). Le poète aime l’environnement dans lequel il puise son inspiration et la Nature y prend une place prépondérante. Au cours de ses brefs séjours dans l’Hexagone, Ngoma-Malanda se rappelle une richesse architecturale de Paris symbolisée par une de ses églises mythiques : « Mais d’où vient ce cri du saxophoniste inconnu/Qui (…) me ramène face à face à ce géant néoclassique/Saint Sulpice n’est plus que catafalque de mes prières » (p.72). Mais la Nature, c’est surtout l’aquatique qui arrose une grande partie des poèmes de l’auteur.
Le poète, un enfant du fleuve ?
Après une plongée dans les textes de Ngoma-Malanda, le lecteur constate que ce dernier porte en lui ce grand fleuve qui rappelle son pays et dont les eaux mouillent aussi la RD Congo : « Nous avons le fleuve et l’amour en partage/Qui de ton fleuve mon fleuve porte le nom Congo » (pp.35-36). Et tout ce qui épouse le milieu fluvial et marin vient, sans hésitation, s’accrocher à l’inspiration du poète : le pêcheur, l’oiseau des eaux comme le pique-bœuf, nous ramène dans l’univers poétique de Tati Loutard, ce grand poète de la mer et du fleuve. Belle image d’un enfant emporté par la colère des eaux : « L’enfant fut retrouvé exactement là où/Trois cours d’eau font l’amour avec le fleuve qui porte/Le nom de son pays » (p.49). En outre, dans le poème intitulé « Cocktail », on voit comment le fleuve coule dans toute sa puissance d’amour, créant un pont sentimental entre ses deux rives : « J’ai connu Gombé Matongé Beau Marché (…) Dans les entrailles de Lemba/Je n’ai jamais trahi le fleuve » (p.35).
Danse des silhouettes, une poésie qui interpelle l’homme dans toutes ses dimensions spirituelle et matérielle où amour et bonheur arrivent inéluctablement à faire face à « quelque chose » de plus fort, la mort dont on découvre la méchanceté et la cruauté quand elle nous arrache un être cher. Et Ngoma-Malanda va le réaliser quand sa tendre mère va le quitter pour Mpemba. Toute la deuxième partie du recueil nous plonge dans ses paroles pour sa mère. Ces paroles qui constituent l’une des plus belles pages de son inspiration rappelant l’amour d’un enfant qui pleure indéfiniment sa mère en se fondant sur ses racines ancestrales koongo. Aussi, le texte en kikoongo « Mâ Baboté », traduit magistralement en français par le professeur Auguste Miabéto, crée un point de convergence entre l’enfant plongé dans une tristesse incommensurable et la mère qui n’est plus tout en étant présente en lui. Ses paroles pour sa mère Elisabeth Baboté apparaissent comme les plus sublimes des vers de l’auteur. Paroles qui s’envolent du côté de Linzolo pour atteindre le Bas Congo-Zaïre avant de s’arrêter en Angola, la langue kikoongo étant au carrefour de ces trois pays qui constituaient le royaume Koongo : « Ni mu masêse na mu môngo/Ni kué kûtômbe » (p.66, traduction à la page suivante). Mais déjà à Linzolo où repose sa mère, le poète se souvient que cette contrée est aussi Terre sienne. Et c’est là où il exprime, post mortem, la grandeur maternelle de Mâ Baboté : « Le chorus des Scholas s’entendra au plus loin/(…) Pour ruminer les louanges d’Elisabeth/Généreuse comme le giron d’un bel amour/Mère immense comme la mer » (p.63).
Danse des silhouettes, par sa densité lyrique, par ses images crues et incisives et son débit qui combat la ponctuation, nous fait penser aux classiques de la poésie congolaise tels Tchicaya U Tam’Si, Tati Loutard et Maxime Ndébéka. Ce livre prouve que l’auteur est maintenant un poète véritablement confirmé après ses premiers pas avec Rêves sur cendres. Et comme le spécifie agréablement son préfacier, « succédant à Rêves sur cendres, Danse des silhouettes se décline à la manière d’une fantasmagorie dans laquelle, tel le montreur de marionnettes, son auteur manipule une série de figurines (…) qui nous entraînent à leur suite dans une étrange chorégraphie ». Et ce constat du professeur Jacques Chevrier sied bien avec Danse des silhouettes fur et à mesure que l’on tourne ses pages. Aussi, faut-il apprendre à danser avec ces silhouettes que nous dessine Sauve-Gérard Ngoma-Malanda dans son nouveau recueil pour découvrir qu’il est plus qu’un poète.
Noël Kodia, Critique littéraire et Analyste pour Libre Afrique
Notes
(1) Danse des silhouettes, éd. Ndzé, 2015 Bertoua, Cameroun. Distributions « Association Littéraire Francophone d’Afrique », Paris
(2) Sauve-Gérard Ngoma-Malanda est un écrivain du Congo Brazzaville. Chroniqueur culturel et producteur-animateur à la Télévision Congolaise, il est actuellement Conseiller au Ministère de la Culture et des Arts de son pays. Après un premier recueil de poèmes Rêves sur cendres, en 2011 chez L’Harmattan, il vient de confirmer son talent avec Danse des silhouettes
Je suis la respiration du fleuve et le souffle de le mer.
j’ai grandi sur les sables chaud de Maloango!
Puis sur le sol en sangloter de Brazzaville j’ai vu mourir
le sourire du Congo….
Comment oublier ta mort moribonde mère?
L’espoir arracher par le crie meurtrier de la guerre!
Je suis cet enfant sans père…
Cet enfant en quête d’une autre terre!