Extrait
« C’était là, au niveau de ces clubs, qu’on se partageait les nouvelles sur divers aspects de la vie et sur toute l’actualité concernant la ville ou le pays. Le vin rouge y coulait à flots, les joueurs se cotisant parfois pour assurer la dose d’alcool journalière. Au cours d’une des parties, Houyivane fut particulièrement médiocre. Il donnait l’impression de ne plus rien
comprendre au jeu. Son partenaire qui connaissait bien son talent finit par comprendre que quelque chose n’allait pas et que Houyivane devait avoir des soucis, ce qui l’empêchait de se concentrer sur le jeu. Après avoir été asticoté pendant longtemps par ses partenaires de jeu, il finit par avouer que sa situation maritale devenait intenable et qu’il ne savait plus
comment résoudre l’imbroglio qui existait dans ses rapports avec Zibline, d’un côté, et Landou, de l’autre.
– Ah ! ça alors ! Mais tu te tortures pour si peu de choses ! s’exclama un de ses partenaires. Tu es un homme et tu as le
droit d’avoir autant de femmes que tu veux. D’ailleurs, la loi dans notre pays te permet d’en avoir jusqu’à quatre. Alors pourquoi t’embêtes-tu avec deux femmes ? Installe-toi dans la maison avec toutes les deux et tu leur imposes ta discipline en tant que chef de la maison.
– Tu n’es pas obligé de faire face aux formalités du mariage avec Landou qui est déjà dans ta maison, argumenta un autre. Elle vit avec toi sous le même toit depuis tant d’années, ce n’est pas maintenant qu’elle va te quitter. Et elle peut s’estimer heureuse d’être dans ta maison, car il y en a plusieurs à qui on loue de petits studios dans la ville, et elles s’en
contentent bien dans la position de deuxième ou troisième « bureau ». J’ai moi-même deux maîtresses que j’entretiens dans la ville et j’évolue ainsi allègrement entre mon épouse et mes deux « bureaux », c’est quand même moi le chef.
– Reste calme et ne cède pas à la pression d’une femme. Aussi bien celle qui est dans ta maison que celle qui est dehors,toutes les deux doivent se soumettre à toi et tu fais ce que tu veux, renchérit un troisième. Affirme-toi comme le seul maître à bord et ne te laisse pas dominer, ces femmes te doivent soumission et rien d’autre.
Houyivane ne put soutenir le débat avec ses collègues et il choisit de demeurer silencieux. Les arguments qu’il venait d’écouter ne l’avaient pas du tout convaincu et il réalisait qu’il n’avait pas le même mode de vie que ses collègues.
Cependant, il n’avait pas de meilleure approche pour sortir de la situation dans laquelle il se trouvait. Manquant de concentration et troublé par les arguments de ses collègues, il cessa de jouer et fut, en tant que spectateur, encore plus préoccupé par sa situation jusqu’à la fin de la séance.
Profitant de sa position de chef de famille, désormais débarrassé des charges professionnelles, Houyivane prenait le temps d’écouter plusieurs parents quand il n’était pas occupé par le jeu de cartes. Il recevait beaucoup de visites chez lui et passait beaucoup de temps à discuter avec des proches, parlant de tout et de rien. Souvent, on venait le consulter pour demander conseil, car avec son âge avancé et la grande expérience qu’il avait accumulée dans la vie, il savait donner de bons conseils aux gens.
Au regard de la situation présente de Houyivane, Landou voyait s’envoler un rêve et croyait de moins en moins que le mariage avec lui soit encore possible. Elle se disait que, si, lorsqu’il était professionnellement actif et suffisamment nanti de moyens financiers, il n’avait pas pu l’épouser, comment le ferait-il maintenant qu’il était retraité et diminué
financièrement ? Elle réalisa aussi qu’elle avait attendu ce mariage pendant une très longue période et que maintenant elle était vieille et ménopausée, elle ne pouvait plus se permettre de quitter Houyivane et aller chercher un autre époux. Elle était alors résignée et s’apitoyait quotidiennement sur son sort.
Le couple en était là, chacun gérant en silence son fardeau. Houyivane et Landou passaient parfois des journées entières assis dans la maison, sans se parler, chacun préoccupé par son problème. La mine qu’ils affichaient traduisait clairement leur préoccupation intérieure ; seuls les jurons et les gestes d’agacement trahissaient l’impuissance de chacun, quant à la résolution du problème. » (p.84/85)