« La Curée des Mindjula » , premier roman de Daniel Matokot

LIVRE

Sur les pas de Sony Labou Tansi

« La Curée des Mindjula » (1), premier roman de Daniel Matokot

Un récit dont le sujet est fondé sur la profanation des tombes et l’exhumation des cadavres. Un texte qui lit poésie et fantastique où le héros Ti-Muntu nous relate ses propres aventures au cours desquelles il se confronte à la société des Mindjula. « La curée des Mindjula », un roman qui rappelle l’écriture acide et pimentée de Sony Labou Tansi

Adepte du mwana foot dans une société hétéroclite, le jeune Ti-Muntu vit avec son oncle Double Tête car orphelin de père et de mère, son oncle et sa femme n’ayant jamais eu d’enfant. Et quand les Mindjula s’apprêtent à attaquer le pays du héros à la recherche d’un soit disant possesseur du « Cœur du Läa », Double Tête envoie son neveu à Mankou. A partir de ce moment, le destin du traverse plusieurs péripéties. Les rebelles Mindjula sont pourchassés par un hélico qui survole Bifouiti. Double Tête et sa femme Corps de Sirène prennent le chemin de l’exil. A Mankou où se trouve le héros et où vient de mourir le chef du village, plane après les funérailles de ce dernier, l’ombre fatidique des Mindjula. L’autre oncle du héros, Les Ventres, prend les dispositions pour éloigner celui-ci de Mankou. Mais dans sa « fuite », Ti-Muntu surprend l’équipe des Mindjula dans l’exercice de leur sordide besogne. Surpris à son tour et menacé de mort, il est défendu par son oncle Les Ventres qui serait membre de la confrérie des Mindjula. Mais pour les autres, celui qui a le malheur de croiser les Mindjula doit périr car il risque de trahir. Ayant échappé des griffes de ses assaillants, il se réfugie au village où le couple qui l’a reçu lui demande de quitter les lieux le lendemain car personne n’a jamais échappé à la furie des Mindjula. Mais le bijou mythique et mystérieux qu’il porte à son cou change son destin. Aussi tombe-t-il dans un rêve fantastique plein de rebondissements. A son réveil, il retrouve ses hôtes et son oncle qui l’a mis sous la protection de son ami Neuf Lèvres jusqu’à ce qu’il soit sauvé de la hargne des Mindjula. « La Curée des Mindjula », un roman intéressant au niveau du fonctionnement de sa textualité.

Spécificité des personnages

Les personnages de Daniel Matokot sortent de l’ordinaire que nous livre la plupart des romans congolais où les patronymes des personnages épousent le social et le vécu quotidien de ces derniers. En dehors du nom de « Ti-Muntu, fils d’Ununu, descendant de Kimbembe, du clan de ceux de kawunga » qui nous rappelle l’Africanité de ce dernier, tous les autres personnages sont « chosifiés » par la volonté de l’auteur. Peut-être pour sortir des sentiers battus de la nomination des personnages de roman, sortie déjà annoncée par Sony Labou Tansi dans « La vie et demi » avec Le Guide providentiel et la loque-père. Presque tous les personnages que l’on rencontre dans les aventures de Ti-Muntu ont des patronymes qui s’apparentent à des sobriquets, des appellations qui semblent épouser leur portrait personnalisé. L’appellation par exemple de Double Tête est révélatrice pour l’oncle du héros car, enseignant de carrière, « Les élèves (…), maintenant hauts cadres de l’administration et de la politique, lui ont donné le surnom de Double Tête » (p.36). Aussi pourrait-on supposer que les surnoms de tantine Cœur de Sirène, l’autre oncle du héros, Les Ventres, l’ami de ce dernier Neuf Lèvres, le sheriff Triple-Revolver de Bifouiti sont en rapport avec leurs portraits physiques et moraux. Sur ce dernier personnage, on peut lire : « Le sheriff de la ville s’appelle Triple-Revolver. La première arme est utilisée pour descendre ses ennemis, la deuxième pour tirer dans le dos de ses amis, la troisième sert à consoler les veuves de ses victimes » (p.57). Des personnages-portraits, une fantaisie qui sied bien avec le texte qui se théâtralise à travers le comique de mots qu’ils engendrent.

Rire carnavalesque et satire sociale dans « La Curée des Mindjula »

De l’incipit à la fin ; le texte de Matokot apparait plus théâtral que narratif. Dans un langage sec et incisif, il met à nu quelques vices et défauts de la société africaine de son époque. Presque toutes les couches sociales n’échappent pas à la caricature de l’auteur. Le politique, le fonctionnaire, le peuple nous font rire dans certains de leurs portraits et comportements rocambolesques. Du social, le récit nous révèle « burlesquement » le manque de sérieux de l’acteur politique : « L’année dernière [aux examens et concours] on a ajouté sur la liste le nom du deuxième bureau d’une personnalité politique. Illettrée, la dame n’a jamais mis les pieds dans une salle de classe » (p.40). Comique de mots et de situation lors de son interpellation par un agent du service central des fraudes. Comme le spécifie le narrateur : « Le boukoutage, l’art de brouter [la chèvre broute l’herbe à l’endroit où elle est attachée] est devenu le sport favori des enseignants » (p.42). Et c’est avec un humour acide qu’il dévoile comment les conducteurs de taxi-brousse en règle sont paradoxalement mal vus par les policiers. Une triste réalité au sud du Sahara : « Les agents de l’ordre ne verbalisent que lorsqu’un chauffeur a ses documents en règle. – Ce sont tes papiers que mes enfants vont manger ce soir ? Suis-moi au poste. Ton compte est bon. Un billet de banque (…) glissé dans le creux de la main permet de circuler librement » (p.57).

« La Curée des Mindjula », un texte à trois dimensions

En dehors du fantastique que fait naître la présence des Mindjula, ces personnages craints pour leurs pouvoirs mystiques et leurs rites de profanation de tombes et d’exhumation de cadavres, le roman de Matokot navigue entre théâtre, récit et poésie. La prolifération des dialogues noue emmène dans la théâtralisation du texte. Et dans le récit des aventures du héros, l’auteur se découvre poète comme on peut le constater dans cette description : « La voûte du ciel s’écroule. Les nuages s’estompent en nappe de brume (…). Elles referment l’écoutille du temps et de l’espace, retardant le moment fatidique, jamais désiré du dernier soupir » (p.25). Du style de l’auteur, on peut dire que « La Curée des Mindjula » nous présente un texte théâtralisé, un théâtre violemment lyrique à l’image de celui de Sony Labou Tansi.

Conclusion

Avec « La Curée des Mindjula », se découvre une autre « race » d’écrivains qui apportent une novelle touche de peinture à la littérature congolaise. Avec sa façon d’écrire le kongo en français, l’auteur du roman « La Curée des Mindjula » comme son père spirituel Sony Labou Tansi (2), par l’utilisation obsédante des congolismes et néologismes, a esquinté la langue française qui a perdu une partie de sa virginité. Il lui a enfanté d’autres bâtards sémantiques pour enrichir le vocabulaire francophone. Et le guide de lecture que nous propose l’auteur en additif de l’ouvrage apparait comme un bon support pour lire ce dernier sans difficulté aucune. Avec Matokot, se prépare, en, gestation, l’inachevé de Sony Labou Tansi.

Noël KODIA

  1. D. Matokot, « La Curée des Mindjula », éd. L’Harmattan, coll. Encres noires, Paris, 2011, 99p.

  2. Lire « Le rire carnavalesque chez Sony Labou Tansi », éd. L’Harmattan, (Etude critique), Paris, 2011, 118p.

Ce contenu a été publié dans LIVRES A LIRE. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire