Une succession de courriers électroniques que l’auteur-narrateur envoie à une certaine Marie pour lui raconter un récit qui se fonde sur les relations on ne peut plus sulfureuses entre son peuple et le colonisateur blanc. Un récit qui se lit comme une série d’aventures historiques et romanesques. Et l’auteur de le rappeler à sa première correspondante Mireille avant de nous plonger dans le vif du sujet : « Tout ce que je peux te dire c’est que ce roman est tout simplement imaginaire » (p.16). Tout au long du récit, se côtoient fiction et réalité pour nous livrer à la fin un texte qui rappelle certaines réalités historiques du continent. Ici, l’auteur nous donne une autre dimension spirituelle de la présence de Jésus-Christ à travers le destin mystique d’un fils du Kongo, Simon Kimbangu. Avec ce dernier, les Noirs, en commençant par ceux de son natal de l’ex-Congo Belge, se découvrent à travers les « miracles divins » de celui qui sera leur prophète.
Rencontre du Noir avec le Blanc : la civilisation nègre esquintée
Considérés comme des étrangers quand ils foulent la terre africaine, les Blancs sont pris pour des descendants du ciel car ne ressemblant pas du tout aux Noirs. A cette première rencontre, ils ont une mauvaise image du Noir car le confondant déjà à un macaque, à un sauvage que l’on devrait civiliser. Aussi faut-il d’abord le mâter, le vaincre et le dompter. Et le texte de nous rappeler « le commencement des douleurs » du Noir par l’intermédiaire de l’histoire du jeune Nkounta, pourchassé à travers la forêt, attrapé avec violence et enchaîné par les négriers. Se réalise pour ce dernier un voyage sans espoir de retour de l’autre côté du grand fleuve : « Le jeune garçon ne pouvait savoir que le destin lui avait fait croiser ce jour la route des négriers ! (…).De l’autre côté de la forêt (…) mouillait leur embarcation (…). Un voyage au bout duquel l’enfer lui tendrait les bras » (p.50). Mais sur ce continent où ils essaient de s’imposer, les Blancs ne sont pas bien accueillis car semant la terreur en enlevant hommes, femmes et enfants. Que pouvaient faire les sagaies et les flèches des Noirs devant le feu des fusils des envahisseurs ? La suprématie de l’armement du Blanc va provoquer la capitulation de l’autochtone. Mais ce choc de cultures qui a provoqué tristesse et désolation, va quand même emmener quelque chose de « positif » en Afrique : « Grâce aux étrangers(…), les villageois connurent plein de bonnes choses, notamment l’école et l’hôpital » (p.68). Dans la présentation sociologique et sociétale du continent, l’auteur nous dévoile l’Afrique des mystères que l’on rencontre rarement dans les livres d’histoire. L’Afrique qui fait la somme du fantastique et du merveilleux marquant l’esprit cartésien du Blanc. L’Afrique des sorciers qui sont en grande partie responsables du malheur du continent comme le stipule l’auteur : « Les sorciers sont en grande partie responsables des malheurs de l’Afrique (…). Ils font et défont les choses » (p.79). Aussi, pour lutter contre ce pouvoir des Noirs, les Blancs vont se servir de l’Eglise car il faut les débarrasser des démons de l’enfer, ces Noirs considérés comme des « anges déchus tombés du ciel il y a des millénaires avec Satan le Diable à leur tête » (p.88). Et c’est à peu près à partir de cette période que l’Eglise s’implante au pays de Kimbangu.
Le Noir et l’Eglise catholique
A partir de ce moment, une problématique de Dieu dans les oppositions Blanc-Noir et ange-démon se révèle quand il faut christianiser les Nègres. Pour le Noir, Dieu serait responsable de son triste destin : « Pourquoi diantre [Dieu] avait-il voulu que les anges du mal soient des Noirs ? » (p.89). L’Eglise catholique aura du mal à s’imposer au pays de Kimbangu. Pour les villageois, les vrais créateurs sont leurs génies qui les protègent et qui sont source du vent et de la pluie. Ils s’opposent au type de vie que veulent leur dicter les Blancs à travers l’Eglise en leur demandant par exemple de se débarrasser de leurs fétiches et totems : « Nous ne pouvons pas (…) trahir nos aïeux(…). Jeter sans raison valable l’héritage le plus grand des nos parents (…) nos totems, nos fétiches » (p.93). Dans cette confrontation entre Noirs et Blancs, ces derniers découvrent quand même quelques valeurs du villageois comme la beauté de la négresse : « Ils avalaient difficilement leur salive au passage de nos femmes ! Leur gracieux et harmonieux déhanchement les captivait corps et âme ! » (p.127). Après l’Eglise catholique, viendra la Protestante, deux entités chrétiennes qui vont se disputer l’Afrique. C’est grâce à l’Eglise évangélique protestante que les Noirs auront droit à la Bible ; les catholiques leur en faisaient la lecture tout en défendant de la toucher. Et c’est pendant le règne de ces deux Eglises qu’arrive au monde en Afrique, du côté de l’Afrique centrale le 12 septembre 1887 un fils du Kongo au nom de Kimbangu baptisé plus tard Simon. Un personnage dont le destin va marquer l’histoire de la religion chrétienne en Afrique et au-delà des continents.
Le prophète Simon Kimbangu, tel qu’il est présenté par l’auteur
Histoire de chez moi est la vie mystique et mystérieuse du prophète Simon Kimbangu, telle qu’elle n’a jamais été contée. Kimbangu, c’est l’étrange destin d’un homme qui se voit interpelé par la Voix du Seigneur, la Voix de Jésus-Christ. A partir de la guérison miracle d’une fille au nom de Diana, Kimbangu se découvre un homme extraordinaire. Commence alors sa notoriété de son village suite à cette guérison mystérieuse qui étonne tous les habitants de Nkamba et alentour. Ceux-ci, en quête de guérison et de solution à certains problèmes, vont s’adresser à Kimbangu : « Il en venait de partout. Ils avaient tous un seul objectif : rencontrer Kimbangu » (p.153). Et ce dernier va les émerveiller par ses guérisons miracles. Il fait parler les muets, fait entendre les sourds et fait marcher les paralytiques, chose que ne pouvait faire l’Eglise catholique. Aussi, les malades sont emmenés à Nkamba et les morts ressuscités étonnent les villageois et les catholiques. A partir de cette lumière divine qui est descendue sur Nkamba, se réalise l’Eglise de Kimbangu qui inquiète l’administration coloniale, l’autorité de cette dernière étant mise en cause par les Noirs. C’est la chasse à l’homme qui commence et qui perturbe l’organisation sociale de cette contrée de l’ex-Congo Belge. Kimbangu, considéré comme un bandit, est menacé par le pouvoir colonial en complicité avec les Eglises protestante et catholique. : « Les Eglises protestante et catholique s’allièrent avec l’Etat pour arrêter le banditisme de Nkamba » (p.167). Les actions humanitaires de Kimbangu ne sont pas appréciées par les Blancs et certains responsables ecclésiastiques. Il est même accusé de vol dans l’entreprise où il travaille, au moment de la paye. Arrêté dans son village par un certain Morel envoyé par l’administration, Kimbangu se laisse faire pour éviter un bain de sang à son peuple. Il est menotté. Et quand est donné l’ordre de le mâter, il est mystérieusement libéré par l’ange de Dieu : « Et l’ange du Seigneur brisa ses chaînes et lui demanda de s’enfuir » (p.256). Nkamba sera sous occupation de la force publique pour empêcher Kimbangu d’y retourner. Mais il continue de prêcher et de guérir de village en village jusqu’au 12 septembre 1921, quand il se décide de se livrer à l’administration coloniale qui était à sa recherche. Il annonce alors aux villageois surpris que son heure avait enfin sonné car le Seigneur lui avait demandé de se rendre à ses ennemis, malgré tous les supplices qui l’attendaient. Emprisonné avec certains de ses compagnons, il sera condamné à mort. Aussi, son corps reviendra mystérieusement à Nkamba, trente neuf ans plus tard, presque deux mois avant l’indépendance de l’ex-Congo Belge, le 2 avril 1960. Ce village va drainer des touristes du monde entier à la recherche de la vérité comme l’avait prophétisé Dieu : « Telle est la volonté de Dieu (…). Des visiteurs de toutes les races du monde (…) y viendront à la recherche de la vérité » (p.270).
Histoire de chez moi, un style romanesque particulier
Une suite d’épisodes en fragments épistolaires dont les plus importants retracent l’étranger destin de Simon Kimbangu, telle est la technique scripturale d’Alexis Bongo. Historien ? Sociologue ? Anthropologue ? Poète ? L’auteur-narrateur mène son récit en respectant les principes élémentaires de ces quatre genres d’expression où s’annoncent agréablement les réalités historiques, sociologiques, anthropologiques sans pour autant mettre en cause la littéralité et récit et le linéaire des événements rapportés. Et l’élément poésie est caractérisé par la répétition de certains segments narratifs à quelques endroits du texte ? Des refrains parfois accouplés des exclamations qui donnent une certaine musicalité au récit. Démonstrations : « L’Afrique n’aime pas le silence ! L’Afrique bavarde à la longueur de journée ! L’Afrique chante ! L’Afrique danse ! L’Afrique parle en travaillant ! L’Afrique ne peut pas supporter le silence ! L’Afrique est un concert incessant de sons divers ! Il n y a pas d’Afrique sans bruit ! Pas d’Afrique sans musique !» (p.66). Et un peu plus loin : « C’est le produit des esprits et des génies ! Des génies des sources, des ruisseaux et des fleuves ! Des génies des profondeurs de la terre et des hauteurs des cieux ! Des génies du vent, de l’eau, de la Terre et du feu ! » (p. 73). Et encore quelque part dans l’énoncé narratif : « L’homme, quel qu’il soit (…) ne peut rivaliser Dieu ! Il ne peut vaincre Dieu ! Il ne peut détruire l’œuvre de Dieu ! Il ne peut arrêter l’évolution du plan de Dieu ! Ce que Dieu a décidé est inéluctable. » (p.265).
Avec Histoire de chez moi, Alexis Bongo nous (re)plonge dans une période merveilleuse de l’Afrique centrale. Histoire de chez moi, un effet-miroir du destin du prophète Simon Kimbangu, l’apôtre noir de Jésus-Christ en Afrique. Une histoire curieusement délaissée comme le spécifie l’auteur : « C’est à croire que tous les historiens s’étaient concertés et avaient convenu de ne jamais en parler dans quelque livre que ce soit ». Et c’est lui, l’homme du « Chemin de la Renaissance Africaine » qui l’a retranscrite pour mettre en relief le message du prophète Kimbangu, message qui va de la réalité à la vérité.
Noël Kodia, Critique littéraire et Analyste pour Libre Afrique
Alexis Bongo, Histoire de chez moi Tome I, éd. Diasporas noires, coll. Vies, Paris, 2014, 270 p.