La relation des auteurs de la diaspora avec leur pays, définit un autre type de romans. De la littérature dite engagée des années d’avant les indépendances, la littérature congolaise s’est imposée une autre mission : elle traite en général le choc des cultures que l’exilé rencontre dans le pays d’adoption. Mais parmi les romans de ces trois dernières années, il y a Chêne de Bambou de Liss Kihindou qui sort des sentiers battus du roman dit traditionnel pour traiter le thème de l’immigration. : immigration d’une Africaine en Europe au niveau référentiel et immigration d’un roman dans un autre roman au niveau littéral. Ce livre fait découvrir un nouveau paysage littéraire congolais car marqué par le modernisme et la civilisation du pays d’adoption. S’y découvre une autre façon d’écrire le roman à travers la technique de la mise en abyme qui caractérise le récit par la présence du récit épistolaire moderne, le message électronique.
Femmes et immigration : la correspondance entre Miya et Inès
Miya, au carrefour des civilisations africaine et occidentale, essaie de montrer à son amie Inès restée au pays qu’elle est marquée par les réalités sociales et sociétales de la France. Les difficultés financières pour ses études obligent l’héroïne de contracter un mariage de raison et non d’amour pour avoir ses papiers. Aussi le voyage « migratoire » qu’elle effectue dans certaines œuvres littéraires à travers les lectures des autres, la pousse à s’intéresser à l’écriture. Miya va se transformer aussi en écrivaine en défendant, à certains moments, la civilisation occidentale dont elle a découvert certaines vertus. C’est sur le plan social que Miya semble émerveillée quand elle devient mère : « Les mères seules bénéficient d’une attention particulière » (p.52). Malgré quelques « malentendus » dus à la séparation qui les a éloignées l’une de l’autre, les deux amies se complètent dans leurs discussions tout au long de leur correspondance. Le texte bascule d’un cran quand Miya rappelle à Inès son amour pour la famille restée au pays. L’échec qui s’est dessiné au niveau de sa vie professionnelle (échec au concours) et qu’elle ne voudrait pas annoncer à la famille, transforme Miya. Seule, son amie Inès sera mise au parfum de cette situation qui la pousse à se convertir à l’écriture. Elle envoie à Inès pour lecture et impressions un texte autobiographique. A partir de ce moment, le récit de Liss Kinhindou prend une autre dimension qui épouse le pouvoir du littéral.
Niveaux narratifs dans Chêne de Bambou
Après lecture du récit, le roman Chêne de Bambou nous fait découvrir une narration à deux niveaux. Le récit premier défini par la première narration (N1) qui dévoile le destin de Miya, du pays jusqu’en France, destin qu’elle relate tout au long de sa correspondance avec Inès. Le récit premier s’efface du trajet diégétique du roman quand celle-ci se découvre écrivaine. Le texte autobiographique qu’elle a écrit et qu’elle a envoyé à Inès, définit une autre narration au second degré (N2). Il y a similitudes entre les situations événementielles rapportées par Miya quand elle séjourne en France et le destin de l’héroïne de son texte intitulé « Chêne de bambou » écrit pendant son séjour en France. Aussi, le récit écrit par Miya apparaît comme une mise en abyme dans le récit premier appartenant à l’auteure qui se confond à certains moments à la narratrice première. Et le lecteur d’apercevoir une double narration. On semble croire que le titre même de Chêne de Bambou appartient au récit premier dont la narration-monologue qui nous annonce l’incipit suivant : « Je suis arrivée tôt le matin vers six heures. J’avançais d’un pays mesuré, prenant le temps de scruter les visages des personnes venues accueillir leurs parents » (p.9). Ce même titre définit aussi le manuscrit que Miya envoie à Inès pour lecture : « Le plus important, c’est connaitre tes impressions. Alors dis-moi ce que tu pense de ce début de roman intitulé Chêne de Bambou » (p.244). Et, à travers le projet de ce manuscrit, le texte met en relief les relations éditeur/auteur avec toutes les difficultés qu’éprouve ce dernier dans la publication de son œuvre comme le déclare Miya : « Franchement, après avoir sué pendant des jours et des nuits pour accoucher de ce livre, il fallait encore que je fasse suer mon portefeuille ? Est-ce que ce n’était pas à l(éditeur de mettre tout en œuvre pour faire découvrir et vendre le livre, et d’assurer ainsi de récupérer largement les sommes qui auraient été inverties au départ ? Pourquoi est-ce que ce doit être encore à l’auteur de s’occuper de cela ? » (p.283). Chêne de Bambou, un roman dans le roman qui ne dit pas son nom. Liss Kihindou serait-elle influencée par le récit dix-huitiémiste qui privilégie la narration à la première personne tel Emile ou De l’éducation de Rousseau et le roman épistolaire comme Les Lettres persanes de Montesquieu et Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos ?
Pour conclure
Avec le roman de Liss Kihindou, le regard du critique ne se situe plus essentiellement entre l’écrivain et l’histoire rapportée. S’y dégage une autre relation entre le lecteur et l’écriture du texte en tant que matériau, une autre façon de donner une lecture plurielle au roman.
Noël Kodia-Ramata, essayiste et critique littéraire