Félix BANKOUNDA MPÉLÉ
Universitaire, Juriste et Politologue, Consultant
En quelques cent-soixante pages exactement (à l’exclusion des quatre de la préface), dont trois chapitres, Ousmane Ndiaye réussit un exploit, presque un petit miracle : résumer toute la problématique de la démocratie en Afrique francophone principalement, les discours qui s’y rapportent, les courants qui l’ont traversé depuis les indépendances, les expériences, les échecs et rares réussites, les obstacles, puis tracer les itinéraires et profils des grands acteurs et, surtout, esquisser un diagnostic.
Sujet de grande actualité, essentiellement à partir de la ré-apparition et de l’explosion des coups d’État en Afrique de l’ouest en 2020-2021, et les courants, vigoureux, qui s’y sont greffés en vue de les légitimer, voire de les généraliser sur le continent, l’auteur n’a rien ménagé pour venir à bout de l’imposture politique et théorique. Pour cela, il s’est bien outillé, mais s’est surtout bien servi de sa longue expérience de terrain, sa connaissance personnelle et directe des hommes et des faits, des arcanes de la politique, des graves événements qui ont jalonné l’histoire politique du continent des quatre dernières décennies principalement, des astuces des acteurs politiques. C’est plutôt normal et compréhensible. Ousmane Ndiaye est journaliste et, ce statut, avec les fonctions successivement occupées, jusqu’à celle de rédacteur en chef Afrique de TV5 Monde il y a à peine quelques mois, avant d’être journaliste indépendant, lui ont donné l’occasion régulière d’être au coeur de l’information, dans les lieux des événements et même au parfum des signes, alertes et premières informations de certaines crises. C’est donc en connaissance de cause, et suffisamment armé, qu’il s’est résolu à l’écriture de « L’Afrique contre la démocratie : Mythes, Déni et Péril », aux Éditions Riveneuve, sortie le 10 juillet dernier.
D’un point de vue méthodologique, ce qui frappe le lecteur, tout au long de l’évolution de l’ouvrage, c’est le contre-pied de l’approche haliographique. Ici, c’est une indépendance d’esprit bien affirmée qui transparaît. Ce qui n’est pas toujours très courant dans le continent où, bien souvent, on semble ménager certaines personnalités, les icônes ou, au contraire, basculer dans l’attitude inverse de la critique en règle.
Pour défendre sa thèse de l’antériorité de la démocratie à la colonisation en Afrique, et de son inhérence à toute société, que le courant actuel et dominant, celui de la lutte contre l’impérialisme et le néo-colonialisme, lie et considère au contraire comme un produit, une résultante et un piège de la colonisation, l’auteur ne s’est pas limité aux seuls termes du débat. Les pratiques et comportements des acteurs, de différents profils, sont convoqués, passés au crible, pour démontrer comment, moins que la faute à la démocratie mise en cause, ce sont souvent ces acteurs qui, soit l’ont instrumentalisé et manipulé dans le sens de leurs intérêts, soit l’ont carrément évacué de toute sa substance. Et, ces acteurs, ce ne sont pas seulement les politiques. Ce sont aussi, principalement, les intellectuels, les journalistes et les puissances étrangères. Ainsi, pour arriver à sa démonstration, Ousmane Ndiaye, tour à tour, met en évidence et dénonce les incohérences, les calculs et inconséquences de nombreux de ces acteurs, de façon directe, ciblée et pointue, avant de s’attaquer à la démolition des thèses de la démocratie dite importée ou imposée.
DU CRIBLAGE DES ICÔNES DU PANAFRICANISME ET LEURS (PSEUDOS) DISCIPLES…
Celui qui, au sommet Union Européenne/Union Africaine, à Bruxelles en février 2022, avait réussi à hérisser le poil de l’éternel chef de l’État et dictateur du Congo-Brazzaville, Sassou-Nguesso, quarante-un ans cumulés au pouvoir aujourd’hui, en lui demandant, de façon directe et droit dans les yeux, « Vous envisagez une sortie, une retraite ? », y va ici de la même méthode, pour décrire les comportements et actions des acteurs, politiques et autres, fossoyeurs et contempteurs de la démocratie en Afrique. Quelle que soit leur notoriété. Il observe et détecte sa cible. L’ausculte. N’hésite souvent pas à la cajoler au départ. Puis, il braque et foudroie. Froidement. Sans trembler et, surtout, sans jamais la louper. Rapidement, il passe à la suivante pour réussir à fournir, en définitive, une collection des portraits dont on conviendra qu’elle est prodigieuse.
Ainsi, et pêle-mêle, parmi les icônes politiques, vraies idoles du moment dans la problématique de la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme, le grand théoricien du panafricanisme, auteur de «Africa must unite » notamment, premier et ancien président du Ghana, Kwamé Nkrumah « est saisi par le démon de la mégalomanie et le culte de la personnalité » (p104). De telle sorte que son panafricanisme s’illustre en pratique « dans un nationalisme qui légitime la répression, l’autoritarisme, les outrages et les outrances » (idem). Sékou Touré, père fondateur et premier président de la Guinée Conakry, quant à lui, « malgré sa rhétorique panafricaine…a plongé son pays dans la misère et la terreur » (p103) ; et de poursuivre que, outre sa « traque des opposants », « le panafricanisme de Sékou Touré ne fut que discours et symboles. Touré a même vendu l’idéal panafricaniste au bloc de l’Est » (idem). Thomas Sankara, « père de la nation Burkina Faso moderne » (p136), que « dans toutes les capitales africaines, la jeunesse réclame », n’en reste pas moins « autoritaire, laissant peu de place à la contradiction…transforme le Burkina Faso en une dictature,…(il) traque les intellectuels ‘dissidents’ » (p.137)..
Et de conclure à propos de ces icônes : « Ces premiers héros du panafricanisme…ont tous échoué mais l’inventaire critique n’est pas le point fort des tenants du panafricanisme…Pourtant que de dérives et de responsabilités questionnables » (p102).
Les opposants historiques ne sont pas en reste. Alpha Condé (pp.66-78), président renversé de la Guinée Conakry en septembre 2021,, « un tribun…(avec) son verbe vibrionnant…ne sera sûrement pas Mandela mais le fossoyeur des illusions démocratiques de son pays » (pp.68-71). De Laurent Gbagbo (pp.77-78), président renversé également, après une violente crise électorale, « indubitablement, dans sa stratégie de conservation du pouvoir, il a entretenu non seulement la violence verbale mais aussi physique avec son bras armé des Patriotes Blé Goudé » (p.77). Enfin, l’ex-président du Sénégal, Abdoulaye Wade (pp.78-82), dont « La ruse est la caractéristique de la pratique politique » (p.80), et qui « incarne le rêve démocratique du pays dans les années 1980,…Grisé par sa réélection en 2007…entreprend le projet de dévolution monarchique du pouvoir et…sort de la scène par la petite porte» (p.80-82). Il est classé parmi les grands fossoyeurs de la démocratie dans son pays,
Voilà comment certains opposants historiques du continent, en Afrique francophone, ont, en définitive, suscité les désenchantements, et participé au basculement actuel, à alimenter le néo-panafricanisme et sa radicalisation. Et on y apprend, par ailleurs (p.69), qu’ils ne dédaignaient pas ce que le professeur Georges Burdeau appelait « La politique au pays des merveilles »[1]. Mais, c’est un secret de polichinelle que c’est une pratique généralisée auprès des dictateurs dans le continent, dans l’ambition de la satisfaction maximale de leurs fantasmes[2].
Les journalistes ne sont pas épargnés. Alain Foka notamment, journaliste-star du continent, avec à son actif une brillante carrière sur des chaînes internationales et, surtout, ayant animé de célèbres émissions, entré pour cela dans la légende, est de ceux-là. Démissionnaire de RFI et France 24, devenu lui-même propriétaire de certains médias et lanceur en équipe du mouvement Manssah en 2024, vraie machine de guerre médiatique pour « Repenser et transformer l’Afrique, …sauver le continent » contre « l’Occident…(et sa) démocratie qu’il veut nous imposer », participe, selon l’auteur, au « populisme médiatique » (p.22). Mais d’autres, très engagés, comme Nathalie Yamb et Sémi Kéba (qui n’est pas journaliste), sont également pointés et dénoncés.
Parmi les intellectuels, l’alter-mondialiste Aminata Dramane Traoré, auteure d’une « réflexion majeure pour comprendre comment l’Afrique est prise dans le piège de l’économie libérale mondialisée » (p.117), est très personnellement indexée : « vous minorez et ignorez parfois les dynamiques et responsabilités internes en cours…(et) paradoxalement l’Occident et la France deviennent le centre de votre discours » (p.118) note Ousmane Ndiaye. L’égyptologue congolais, le professeur Théophile Obenga, lui, « prend congé tout simplement de la pensée,…se met en miettes….Hors sol et aérien, Obenga prophétise. L’égyptologue cède la place au devin » (p.112-113). Bien plus, ce dernier, au contraire de son éminent ‘maître’ Cheikh Anta Diop, aime bien flirter avec les dictateurs du continent, et manie avec maestria le double discours de la critique et de l’allégence. L’auteur de « L’histoire sanglante du Congo-Brazzaville »[3] notamment, n’hésite ainsi pas à s’afficher et se faire décorer par celui qui est un acteur majeur et sans égal de ce qu’il décrit ! Se révélant partant, à l’image de la grande majorité de l’élite de son pays, comme un surdoué de l’équilibrisme et de l’opportunisme politiques. Pas pour l’intérêt public évidemment, on s’en doute.
L’auteur pense et écrit, et à juste raison, que ces personnalités et grands acteurs ont participé ou participent, par leur incohérence ou inconséquence, sur la question démocratique dans le continent, à son brouillage, à la confusion dans laquelle se trouvent aujourd’hui embourbés les plus jeunes, à la légitimation des dictatures dans le continent, avec toutes les conséquences qui les ont toujours accompagnées. Et, leur modèle, régulièrement vanté et exhibé comme emblème d’une sorte de « dictature éclairée », c’est le Rwanda et son éternel, indéboulonnable, président, qui a réussi à vaincre et jeter à la poubelle, comme d’autres, la limitation des mandats pourtant formellement prévue au départ. Un modèle que l’auteur définit comme ayant viré à la kagaméphilie.
Mais, la question essentielle et de fond sur laquelle Ousmane Ndiaye a centré son ouvrage, par-delà les éminentes personnalités, c’est la démonstration de l’irréalité, parce que fausses, des thèses proclamcées tambours battants par les détracteurs de la démocratie aujourd’hui dans le continent.
…À LA MISE EN PIÈCES DES THÈSES DE LA DÉMOCRATIE IMPORTÉE
Dès les premières pages, avant de se saisir, pièce par pièce pour les démolir, des arguments des contempteurs de la démocratie en Afrique, il affirme et écrit que : « Tout est ici bâti sur du faux »(p. 14)
L’idée de départ des néo-panafricanistes, fondamentale et en cela liée aux pères fondateurs, est que c’est la colonisation ou l’impérialisme qui est à l’origine des maux du continent, le sous-développement, la misère, les humiliations et autres. Il y aurait donc un déterminisme de l’Occident sur les problèmes africains qui, s’il est de temps en temps nuancé en théorie, est en pratique considéré comme la cause quasi-exclusive du marasme du continent noir.
Or, il se passe que, entre le moment où le panafricanisme est né et systématisé et le moment où les néo-panafricanistes entrent en jeu, il s’est passé beaucoup de temps, plus d’un demi-siècle, et que, notamment, de célèbres panafricanistes ont été aux affaires. La configuration mondiale n’est plus non plus totalement la même, avec la percée de la mondialisation, le triomphe du libéralisme économique dans le monde et ses répercussions sur le monde des idées, précisément sur la question démocratique. Ce qui, logiquement, pour l’Afrique et les Africains, devrait entraîner un peu plus de questionnements, des débats, des remises en cause. Principalement, aboutir à un panafricanisme rationalisé et plus adapté, tirant les meilleures leçons du passé, pré-colonial comme post-colonial, face à une Afrique qui n’est plus tout à fait la même, mais aussi face au nouveau contexte international.
Non seulement ces leçons, au plan de la théorie du panafricanisme et des pratiques politiques au sein du continent, ne sont pas clairement et honnêtement effectuées mais, en plus, il y a une simplification accrue des problématiques. Entraînant au bout du compte la caricature, la radicalisation, les incongruités, les inconséquences que l’auteur de « L’Afrique contre la démocratie » a, habilement et rigoureusement, décortiquées.
À commencer, et principalement en raison du fait que c’est le thème majeur et formel de l’ouvrage, par le déni ou le relativisme démocratique, parce qu’il s’agirait de la démocratie occidentale, au bénéfice d’une « démocratie à l’africaine ». Les néo-panafricanistes, curieusement, encensent celle-ci comme une doctrine nouvelle, alors qu’en réalité il s’agit d’un véritable serpent de mer, depuis les premières années des indépendances, sans que celle-ci n’ait jamais pu être formellement démontrée et mise en œuvre. Sinon sous la forme d’une authentique et indiscutable dictature, comme le régime du maréchal Mobutu dans l’ex-Zaïre entre autres, sous l’idéologie officielle de « L’authenticité Zaïroise » l’a magistralement démontré. On connaît, et on se rappelle la devise, « Un seul pays, un seul peuple, un seul chef ». Ou encore que « Deux coqs ne peuvent pas chanter dans le même poulailler ». Et, on sait comment cela s’était souvent terminé pour les coqs réclacitrants ! Enfin, la bêtise : « On ne m’appellera jamais ex-président Mobutu » !
Plus ou moins similaire, on connaît la situation de Gnassingbé Eyadéma au Togo, dont la dynastie va vers sa sixième décennie, sans perspective légale et rationnelle d’une alternance, avec la monumentale supercherie du changement de régime par le biais de la nouvelle Constitution du 6 Mai 2024. Constitution dont le seul objectif a été encore de concentrer l’essentiel du pouvoir entre les mêmes mains, et de dribbler définitivement la limitation des mandats. C’est donc à juste raison que Ousmane Ndiaye constate et rappelle que « Le projet de ‘démocratie à l’africaine’ relève souvent de la stratégie politique pour garder le pouvoir. De fait, à chaque fois qu’elle a été brandie, c’est pour les régimes autocratiques et contestés » (p.93).
En plus, l’expérience des trois premières décennies des indépendances, avec l’institution quasi généralisée du parti unique quelques années seulement après les indépendances, comme mode d’organisation politique adapté au contexte africain pour l’impérative construction nationale, est encore si vivace dans ses déboires et retentissants échecs, qu’il y a de quoi se demander si les théoriciens de la ‘démocratie à l’africaine’ n’ont pas perdu la mémoire ! Trois décennies durant, cette théorie n’a eu comme seule forme que le parti unique et les présidents à vie, avec leurs échecs. Et, après l’éviction formelle de ce système et l’émergence du multipartisme que les mêmes acteurs, en gros, ont contribué à saboter en le vidant de sa substance, c’est la revendication du retour case-départ, avec plus ou moins la même catégorie des acteurs et leurs relais ! Les mêmes causes ne devraient, à y croire, pas produire les mêmes effets !
C’est sans doute l’occasion de rappeler que la limitation des mandats est la résultante logique du fonctionnement pratique des systèmes politiques africains, avec souvent des présidents à vie pendant les trois premières décennies post-indépendance, que l’on essaie de juguler. Autrement dit, elle est, ici, le fruit d’un droit constitutionnel endogène africain, pour tenter de venir à bout d’une pathologie politique. Cela n’empêche pas les néo-panafricanistes de prétendre que c’est le fait de l’Occident, alors que la Constitution française de la Cinquième République qui sert souvent de modèle ne la mentionnait pas dans sa rédaction originelle et au moment de la rédaction des Constitutions africaines post-printemps africain des années 90. Il faudra attendre la réforme constitutionnelle de juillet 2008 pour que la France renoue avec ce dispositif, inauguré sous la Deuxième République en 1848, avec les déboires qu’il a suscités et donc son abrogation, pour ne réapparaître que sous la Constitution de la Quatrième République en 1946. C’est assez illustratif d’un débat biaisé !
Un des arguments essentiels de l’auteur, et imparable, sur la question démocratique, est d’être allé chercher dans l’histoire précoloniale de certaines sociétés africaines, documents à l’appui. Entre autres chez les Léboue, les Nawlés et les Imazighen (cf. pages 87-98), pour démontrer la pré-existence à la colonisation des formes d’organisation démocratiques. Et, de toutes façons, aujourd’hui, les recherches et nombreux documents ont mis en évidence cette réalité que la thèse d’une Afrique qui serait incompatible avec la démocratie ou aurait importé la démocratie, relève soit de l’ignorance, ou apparaît comme une provocation ou une insulte. Tout juste, doit-on parler et chercher à trouver une organisation plus appropriée qui doit, évidemment, formaliser et préserver les droits et besoins essentiels des africains dont on ne voit pas comment ils seraient fondamentalement différents de ceux des habitants d’autres continents, y compris les occidentaux. Autrement dit, l’Afrique ne peut pas échapper et n’est pas en dehors de l’universalité. Elle a, forcément et sous réserve d’inventaire, à donner et à recevoir. Et, à cet égard, même l’un des plus grands autocrates du continent, en la personne du théoricien de l’Authenticité, le maréchal Mobutu, parlait à propos des rapports de son pays avec l’Occident, de « La société du donner et du recevoir ». Et, objectivement, on voit mal comment il en irait autrement.
Ainsi donc, et bien mieux, sur cette question de la démocratie en Afrique qui serait de source occidentale, l’auteur assène que « La pratique démocratique en Afrique précède de loin la colonisation. Elle ne saurait donc en être l’expression ou la continuité. Bien au contraire, la colonisation fut même la forme la plus achevée de la négation de la démocratie en Afrique (p.15)…La colonisation est immensément anti-démocratique » (p.92)
De la part des nouveaux putschistes et juntes dans le continent, il est facile de comprendre, comme cela a été exactement le cas pendant les trois premières décennies post-indépendance, que l’argument d’une « démocratie à l’occidentale » qu’il faut rejeter en faveur d’une « démocratie à l’africaine », relève d’une stratégie de légitimation de leurs putschs et de leur régime. Comme ne le dément d’ailleurs pas la forte similitude du discours : dénonciation de l’incapacité et de l’incompétence des civils, promesse de ne pas y rester puis changement et retournement de veste, présidence transitoire puis autoproclamation comme président, accaparement de tous les pouvoirs, etc. Cependant, grosso modo, pour les néo-panafricanistes et pourfendeurs de la démocratie, ce choix, s’il n’est pas inspiré par de bas intérêts et calculs habituels, souffre du gros handicap de n’aborder cette question majeure dans le continent que par le biais du militantisme et de la propagande, au mépris autant de la recherche que des méthodes idoines, scientifiques et éprouvées. D’où les flagrantes méprises, contradictions et incohérences, dont on peut esquisser quelques indications peu banales, qui mettent leurs prétentions à mal.
D’abord, l’ambition primordiale, selon eux, serait de « rejeter la démocratie occidentale qu’ils veulent nous imposer ». Il n’est pas nécessaire d’être juriste ou politiste chevronné pour voir et comprendre, qu’il n’existe de point commun à la démocratie dite occidentale, en gros, que le régime représentatif, les partis politiques et les votes qui permettent de départager les parties en présence. Éléments auxquels viennent s’adjoindre, pour le meilleur et rationnel fonctionnement de l’État et le respect des droits des citoyens, la nécessaire Séparation des pouvoirs et son corollaire, l’État de droit.
Pour le reste, les différences sont manifestes, et l’on peut soutenir que la démocratie américaine n’est pas la démocratie française, de la même façon que la démocratie anglaise est différente de la démocratie allemande, suisse ou belge notamment. Autrement dit, et simplement, la démocratie est un principe et son organisation est très variable. Or, les pourfendeurs de la « démocratie occidentale » n’ont jamais réussi à dire concrètement ce qu’ils rejettent de ces cinq aspects communs ci-dessus cités. La réalité c’est que l’on ne voit pas comment, dans les Etats modernes, l’on pourrait se passer du régime représentatif et des votes. Il y a la question des partis politiques et, à cet égard, personne ne peut, par les temps qui courent et même avant, soutenir que les sociétés africaines soient des sociétés unanimistes. La diversité des idées dans l’organisation ou la gestion de la société, la manière de les faire valoir et de les appliquer passent forcément par des organisations politiques, c’est-à-dire des partis dont l’observation de l’Occident là également démontre que la pratique politique régulière et continue seule a réussi à les façonner, à mettre de l’ordre, sans rien forcer. Autrement dit, son organisation c’est une question qui relève de l’histoire et de la sociologie de chaque État. Quant à la question de la séparation des pouvoirs et de son corollaire qu’est l’État de droit, question importante autant pour l’efficacité de l’État que pour les droits et libertés des citoyens, l’on est là au coeur même du choix de société, où les pourfendeurs de la prétendue « démocratie occidentale » devraient dire clairement, soit qu’ils ne sont pas pour la sauvegarde des droits et libertés des citoyens, soit définir d’autres et meilleures techniques pour cela. Ce qui n’est toujours pas le cas.
Ainsi, cette question de l’opposition et du rejet de la « démocratie occidentale » en faveur de la « démocratie africaine » met en évidence, à la fois, la démagogie du discours, les méprises et, surtout, pourquoi la « démocratie à l’africaine » n’a jamais vu le jour, et ne le verra certainement jamais, sinon sous les oripeaux de la dictature. Théorisée ou défendue de manière négative à partir de l’inexistant ou de l’incertain, c’est-à-dire un modèle unique et commun à l’Occident, alors qu’une simple mais sérieuse observation démontre dans les sociétés concernées, d’une part un faisceau d’éléments communs à tous les États modernes et respectueux des droits des citoyens et, d’autre part, une organisation politique spécifique à chacun d’eux, la théorie de « la démocratie africaine », dans cette logique, ne réussit qu’à prouver son incertitude, son inexistence et son impasse!
Ainsi, et à titre indicatif, le Mali de la junte actuelle, issu du double coup d’État de 2020 et 2021, ouvertement anti-colonialiste et anti-impérialiste déclaré, dans sa Constitution librement rédigée et adoptée le 18 juin 2023 (et promulguée le 22 juillet 2023), n’a pas réussi à démontrer sa rupture avec ces cinq points communs aux pays de l’Occident, mais aussi d’autres, quoique rares, pays africains démocratiques[4]. Seule différence, la junte ne l’applique pas, ou fait le contraire de ce qui y est mentionné, notamment la dissolution des partis alors que ceux-ci sont garantis par la Constitution ; ou encore la proclamation par la junte elle-même du président de la transition comme, désormais, président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable, sans passer par l’élection, sinon par une loi de révision dont la légalité est pour le moins contestable ! Deux flagrantes décisions illégalles, au mépris de la Constitution librement proposée par la junte elle-même et adoptée, mais aussi de la Charte africaine de la démocratie, de l’élection et de la gouvernance régulièrement ratifiée par le pays !
On l’a compris, la « démocratie à l’africaine », le plus souvent, pour certains acteurs politiques, les dirigeants africains, en place surtout mais pas exclusivement, c’est un refus ou l’expression d’une allergie à l’encadrement juridique de l’exercice du pouvoir, dont les difficultés de respect de la limitation des mandats constituent l’illustration la plus visible[5]. De la même façon que l’on a compris toute la manipulation et l’exploitation faite par les contempteurs de la démocratie en Afrique du fameux Discours de La Baule de François Mitterrand, en juin 1990, en soutenant qu’il avait imposé la « démocratie occidentale » ! Alors que, clairement, en dehors du moment et de l’unilatéralisme de la déclaration, globalement, les États africains ont, le plus souvent, sauf expertise volontairement recherchée ou subtilement proposée, librement rédigé leurs textes fondamentaux.
Mais, sur la philosophie et l’interprétation de ce Sommet, on est encore loin des convergences. Ousmane Ndiaye, comme bon nombre d’autres avant lui, écrit que « L’action politique de François Mitterrand a plutôt entravé les processus de démocratisation sur le continent ». Autrement dit, il a fait du De Gaulle sans lui car, écrit Cheikh Anta Diop de celui-ci, à propos des indépendances ; « .Le génie du général de Gaulle a été de délier les liens avant qu’ils ne puissent rompre »[6]. Ceci expliquerait, dans les deux séquences, les indépendances ainsi que le « printemps africain » comme on l’a appelé, des fictions mais aussi les ingérences tant décriées et dénoncées par les néo-panafricanistes. Ou encore, la lecture démocratique à géométrie variable, comme le déterminant de leur lutte contre l’impérialisme et la « démocratie occidentale ».
L’auteur ne dénie pas ces ingérences, mais nuance et complexifie, et à juste raison, la lecture, en martelant qu’il y a ce qui relève des ingérences extérieures, et ce qui est de la responsabilité endogène (pp.16, 31), et qu’il faut nécessairement reconnaître pour esquisser des solutions.
N’est pas non plus la moindre des incongruités, l’inaptitude des pourfendeurs de la démocratie en Afrique, ou ce que l’auteur appelle leur «l’obsession » à tout vouloir expliquer systématiquement par le biais de l’Occident ou de la France, tout en ne cessant de marteler la rupture. Démontrant par là une relation schisophrénique, avec tous les maux qui vont avec. Moins que rationnelles et réfléchies, les positions de beaucoup, et peut-être de la majorité des Africains, sur des questions pourtant proprement africaines, sont souvent déterminées négativement sur l’expression de la France, à l’image du réflexe de Pavlov. Il faut, ainsi, systématiquement, faire le choix contraire de celui exprimé par la France, sans chercher à comprendre ou complexifier la lecture de la situation. Parce qu’ils sont déjà convaincus que la position française est toujours contre leurs intérêts, contre l’Afrique.
C’est en tout cas ce positionnement, ce réflexe qui permet de comprendre, dans une large mesure, l’alignement massif sur les juntes et pays de l’AES, et pourquoi il n’y a pas eu le même enthousiasme pour les putschs de la Guinée-Conakry, du Tchad et du Gabon. Tout simplement parce que le pouvoir politique français a exprimé ou a semblé exprimer une critique, ou au contraire une distance par rapport à ces nouveaux pouvoirs. L’auteur ne manque d’ailleurs pas de relever la perversité de ce positionnement : « À force de ne poser la question démocratique qu’à travers le prisme déformant de l’impérialisme ou du néo-colonialisme, on perd de vue totalement son historicité. En rejetant la démocratie au nom de la nécessaire décolonisation, on renforce l’occidentalocentrisme » (p.93). Cela, jusqu’au point où ils en arrivent même à ne plus bien pointer la responsabilité propre de leurs dirigeants, voire à la banaliser sinon que comme « traitres », ou « suppôts de l’occident », souligne-t-il :« Oui, il existe bien des facteurs qui relèvent du postcolonial, qui sont des entraves à la démocratie…Mais tout aussi important, voire plus, il y a ce qui relève des dynamiques propres aux sociétés, aux dynamiques internes, sociétales, économiques et politiques » (p.31)
Enfin, la grande épine sous les pieds des néo-panafricanistes et contempteurs de « la démocratie occidentale » et son corollaire, improbable, « la démocratie à l’africaine », c’est qu’ils n’arriveront jamais à expliquer pourquoi cette démocratie qu’ils rejettent vigoureusement semble marcher ailleurs, dans certains Etats autres que francophones, et même au Bénin et au Sénégal qui sont francophones !
Est aussi difficilement explicable par les néo-panafricains, ou par les nouveaux putschistes eux-mêmes, le fait qu’ils n’appréhendent la gestion du pays où ils ont acquis le pouvoir, sous aucune autre forme que celle de la confusion où la détention de tous les pouvoirs. Or, il en était déjà le cas sous les trois premières décennies en Afrique post-coloniale, dans les pays où règnait le monopartisme, mais aussi comme on le pratique dans toutes les dictatures du monde. Si leur initiative était si désintéressée, détenant déjà le pouvoir militaire qui, dans des États encore fragiles comme le sont encore les États africains, est quasi suprême, rien ne les empêchait, ou plutôt il serait plus rationnel de laisser la gestion stricte des affaires de l’État, après en avoir déterminé comme ils l’entendent les règles de gestion, aux civils. Puis d’en assurer le contrôle étroit, selon leur entendement. Mais, sans doute encore, que la saine et historique théorie de la Séparation des pouvoirs est d’origine occidentale, et n’a pas non plus sa place en Afrique. Qu’ainsi, au nom de la lutte anti-impérialiste et anti-coloniale, l’Afrique doit continuer à mettre tous les œufs dans le même panier, et que les expériences en la matière dans le continent, avec leurs multiples et lourdes perversions, ne servent à rien !
Pour conclure :
On pourrait, en définitive, ne pas tout à fait s’accorder avec Ousmane Ndiaye sur certains points de vue, comme et à titre indicatif, sur ce que furent les conférences nationales et leur portée. Il est difficile de soutenir et démontrer, dans l’absolu, que « Les conférences nationales, malgré elles…ont ouvert le processus des fausses démocratisations où le parti unique se mue habituellement en parti-État » (p.61-64) et, qu’ainsi « Le bilan est maigre ».
En fait, il y a des cas où, comme au Bénin et au Congo-Brazzaville, celles-ci ont bien balisé la voie vers la démocratie, dans la limite de ce que l’on peut attendre de ce genre d’instance. La preuve, elles ont abouti à la sortie des pouvoirs en place, par l’abdication du sortant à sa présentation aux urnes dans la foulée (Bénin), ou par la sanction par celles-ci (Congo-B). Ici, le sortant ne devant son retour, après son éviction dès le premier tour à la seule élection disputée de l’histoire politique du pays en 1992, que par une fracassante et sanglante entreprise, en 1997. En fait, globalement, depuis 1990, le primat des considérations de pouvoir avec ce qui y est lié, sur celles de la démocratie, pour les principaux protagonistes, est à l’origine de la plupart des dérives, perversions et échecs. C’est davantage cela qui explique les rechutes autocratiques, et non les conférences nationales en tant que telles. Ailleurs, et par comparaison, les états généraux de 1789 en France par exemple, n’empêchèrent pas bon nombre de rechutes et de ratés, comme, et à titre indicatif, sur la question du suffrage universel et sur celle de l’égalité humaine, qui ne se firent que bien plus tard. Quand on sait la place de ces deux aspects sur la question démocratique, par comparaison qui n’est évidemment pas raison, on peut dire que c’est ailleurs qu’il faut chercher mais pas fondamentalement dans les conférences nationales. L’auteur ne manque d’ailleurs pas de faire état d’une « démocratie sans démocrates », et c’est bien vu et dit.
Cela dit, l’apport de cet ouvrage est important. Par son indépendance d’esprit, par son expérience et par une méthodologie rigoureuse, Ousmane Ndiaye réussit à sortir l’importante question de la démocratie en Afrique de l’approche étroite et perverse, simpliste et caricaturale, des militants et des acteurs habituels un peu trop intéressés, parfois passionnés. De la même façon qu’il réussit à relever les maux et pathologies qui, depuis toujours, en raison d’une insuffisance d’analyse, minent les systèmes politiques africains, dont l’hyper-personnalisation ou le culte de la personnalité, les éternels boucs émissaires, l’éternel recommencement, les incongruités chroniques, l’alignement un peu trop facile sur d’autres nouvelles puissances étrangères, passant ainsi et souvent de charybde en scylla. Il y fournit également les éléments qui permettent à ceux qui veulent aller plus loin et sincèrement, dans l’établissement/rétablissement et l’enracinement de la démocratie en Afrique. Démocratie qui, d’une façon ou d’une autre, ne pourra pas continuer à faire l’économie d’un bilan à tous égards martelé par l’auteur, et de nécessaires réformes dans son organisation, dans chaque État selon son histoire et sa sociologie, mais aussi en fonction de l’idéal panafricain. Nul doute que, dans cet esprit et cet idéal, l’une des actions qu’il faudra impérativement mener, fondamentalement, c’est de « Repenser le président africain »[7] car, son organisation actuelle est tout à fait antinomique autant à l’efficacité de l’État africain unitaire d’aujourd’hui, à la démocratie qu’au projet panafricain.
Félix BANKOUNDA MPÉLÉ
Universitaire, Juriste et Politologue, Consultant
SOURCE : Droit et Politique en Afrique
[1]Georges Burdeau, La politique au pays des merveilles, Paris, PUF, 1978
[2]Cf notamment : Peter Geschiere, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala (Les Afriques),2005. Puis, « La sorcellerie au coeur du pouvoir’, in Jeune Afrique, 10 Juillet 2012
[3]Théophile Obenga, L’histoire sanglante du Congo-Brazzaville (1959-1997), Diagnostic d’une mentalité politique africaine, Paris, Ed. Présence Africaine, 2000
[4]Cf. À cet égard la thèse édifiante de Sory Baldé, La convergence des modèles constitutionnels, Publibook, 2011. Par l’analyse des méthodes de conception, d’appropriation, de réception et d’implantation ou consoidation des institutions politiques dans le continent, l’auteur démontre que le processus de construction de la démocratie en Afrique subsaharienne est bien plus complexe que la simple et mécanique importation du modèle démocratique occidental, tel qu’il est critiqué.
[5]Notre étude : « Présidentielles africaines : perpétuelle illusion constituionnelle », in Revue Politique et Parlementaire, numéro double, 1071-1072, 2014.
[6]Cheik Anta Diop, Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique Noire , Paris, Présence Africaine, 1974, , p7
[7]Notre étude : »Repenser le président africain », in Revue Politique et Parlementairee, numéro 1058, 2011

comme d habitude les noirs parlent beaucoup surtout pour denoncer par contre des solutions aux problemes reels sont absentes de leurs reflexions dommage comment parler de democratie quant la plupart des militaires et fonctionnaires sont formes a l est de l occident et dans les pays revolutionnaires?comment changer leurs visions si ce n est en votant pour des constitutions republicaines ,comment detruire la haine en nous envers ceux qui pourraient nous permettre de nous developper economiquement.personellement comme les americains l ont fait pour le communisme, en afrique les insultes ,les accusations fallacieuses contre les pays etrangers a l afrique devraient etre interdites et Sanctionnees severement.
A la presse congolaise indépendante, impartielle et inclusive qui fait un excellent travail.congoliberty,Congo page,zenga mambu,dac-presse, sacerinfos etc.
Continuez à informer le public congolais.Ne cédez pas à la pression des gens du Pct.Du courage et des bonnes choses à tous.
de quoi vit cette presse et surtout quelles sont les resultats de leurs excellent travail?le bossu ne voit peut etre pas malgre les mirroirs sa bosse reelle.