LES DECLARATIONS DEFAILLANTES DES DROITS DE L’HOMME EN AFRIQUE , par Jean Philippe FELDMAN

Au-delà même de leur application, la plupart des constitutions africaines sont défaillantes par leur forme même. Cela se traduit dans les deux dimensions fondamentales de ces textes : la protection de la sphère de la société civile et l’équilibre des fonctions de l’Etat.

En premier lieu, la sphère de la société civile n’est pas protégée. Les constitutions du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Congo, du Gabon et du Sénégal serviront d’illustrations.

Alors que la Constitution ivoirienne de 1960 se référait à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen française de 1789, celle de 2000 reprend la citation de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations-Unies en 1948, comme la loi n° 59-1 du 26 mars 1959 portant constitution, et elle y ajoute la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981. La Charte ivoirienne des droits et libertés s’analyse comme un catalogue de droits-créances :

droit à la vie, à la liberté, au développement, à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi, à un environnement sain, etc.. Le droit de propriété est garanti « à tous » en 15ème position ; le « droit à la libre entreprise », protégé « dans les limites prévues par la loi », se trouve en 16ème position. L’Etat et le légicentrisme sont omniprésents.

Quant aux « devoirs de l’Etat », ils sonnent comme des limitations de la liberté des individus et ils apparaissent comme une sorte de pendant avec les « devoirs » énoncés dans le second chapitre en six articles, à l’image du chapitre II de la Charte africaine. Enfin, l’article 30 de la Constitution énonce, à l’image de son homologue française, que la République est « sociale ».

Le préambule de la Constitution du Sénégal de 1963 proclamait l’attachement du peuple aux « droits fondamentaux », définis par la Déclaration française de 1789 et la Déclaration universelle de 1948. Il déclarait le « droit de propriété individuel et collectif » ainsi que des droits économiques et sociaux. Le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001 se réfère aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité Africaine, parmi lesquels la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Dans le corps de la Constitution, l’article 1er édicte que la République du Sénégal est « sociale » et, s’il permet les privatisations, l’article 67 autorise également les nationalisations. Dans le titre II relatif aux libertés publiques et à la « personne humaine », les articles 7 à 25 comprennent un catalogue de droits-créances : droit à l’éducation, au travail ou,dans l’air du temps, à un environnement sain. Les références à la loi pullulent.

Quant à l’article 23, il dispose que « des écoles privées peuvent être ouvertes avec l’autorisation et sous le contrôle de l’Etat »…

La Constitution congolaise du 18 février 2006 réaffirme, à l’alinéa 5 de son préambule, l’adhésion et l’attachement du peuple à la Déclaration universelle et,entre autres, à la Charte africaine. La Déclaration des droits et libertés fondamentales comporte un catalogue en 57 articles des diverses « générations » de droits de l’homme. Les droits-créances s’amoncellent : droits au travail et la protection sociale de l’article 36, à la culture de l’article 46, à la santé et à la sécurité alimentaire de l’article 47, à un logement décent, à l’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique de l’article 48, à la paix et à la sécurité de l’article 52, à un environnement sain de l’article 53, etc.. Toutefois, de même que les déclarations des pays socialistes, les conditions d’exercice de la plupart des droits sont fixées par la loi. Enfin, le chapitre 4 de la déclaration est consacré aux « devoirs » des citoyens, dont celui de payer ses impôts de l’article 65…

Quant aux constitutions du Bénin du 11 décembre 1990 et du Gabon du 26 mars 1991, elles élèvent à la dignité constitutionnelle non seulement la Déclaration française de 1789, mais encore la Déclaration universelle de 1948 et la Charte africaine.

Inscrire le « droit au travail » ou le « droit à l’électricité » dans les déclarations censées régir les pays les plus pauvres de la planète tient de l’humour macabre. On pourrait aisément se gausser de ces textes publicitaires qui égrènent tels des chapelets les « droits » les plus divers et les plus folkloriques, trouvés dans les textes récents des démocraties occidentales selon un « mimétisme » dont il sera parlé plus loin. Le grand penseur libéral du XXe siècle, Friedrich August von Hayek,ridiculisait l’inconsistance de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 à laquelle il ne manquait que le droit aux congés payés de l’abominable homme des neiges… Mais, il y a bien plus grave. Mal conseillés, les constituants africains consacrent des droits totalement contradictoires sans même s’en rendre compte. Mêler la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen française de 1789, d’inspiration libérale nonobstant son légicentrisme, avec des textes d’inspiration socialiste ne semble guère les émouvoir.

Le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 proclame l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, « comme la plus haute aspiration de l’homme », l’Assemblée générale des Nations Unies proclamant ce texte tel « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». Il s’en évince que les droits de l’homme se rapportent à une liberté qui n’est pas liée à l’individu dès sa naissance, mais qui est construite en tant que point d’arrivée. De façon marxiste, la liberté n’est donc pas naturelle, elle est une conquête. Le traitement réservé au droit de propriété est à cet égard révélateur. L’article 17-1 énonce que « toute personne aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété »… Comme le lecteur pouvait s’y attendre, la Déclaration est légicentriste et elle multiplie les droits-créances.

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – dont l’intitulé même est douteux – promeut l’« indivisibilité » des droits de l’homme, c’est-à-dire l’inclusion des droits « économiques et sociaux » dans les droits de l’homme de 1789. Ses articles 15 à 17 créent les droits au travail, à la santé et à l’éducation. Leur danger est avivé par l’interprétation « constructive » de la Commission africaine qui en a déduit les droits à l’alimentation, au logement adéquat, à l’eau potable et à l’électricité. La Charte invente également les droits souvent appelés de « troisième génération » : droits au développement économique, social et culturel de l’article 22, à la paix, à la sécurité de l’article 23 ou encore droit des peuples « à un environnement satisfaisant et global propice à leur développement » de l’article 24. Enfin, les articles 27 à 29 traitent des « devoirs » des individus envers autrui, la famille, la collectivité, l’Etat et la communauté internationale !

Il faut y insister : ce n’est pas parce qu’elle est dénommée « universelle » que la Déclaration des Nations Unies de 1948 est pour autant pertinente ; ce n’est pas parce qu’elle est « africaine » que la Charte de 1981 est convenable. En effet, les droits sont attachés à la nature de l’homme et ils ne sauraient se confondre avec de simples aspirations.

Jean Philippe Feldman

Agrégé des facultés de droit, Jean-Philippe FELDMAN est professeur des Universités
en France, et maître de conférences à SciencesPo (Paris). Il est également avocat à
la Cour de Paris (Cabinet Feldman).

Ce contenu a été publié dans Les articles. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire