Jusqu’où ira l’élite ‘mercenarisée’ au Congo ? Curiosités politico-juridiques du ministre-juriste Okiémi , Par FELIX BANKOUNDA MPELE

Tel dictateur, tel ministre de la Communication, restera, certainement, dans les annales politiques congolaises, l’une des lois d’airain du régime autocratique congolais que les analystes, pendant longtemps, ne manqueront de souligner, non sans  risquer l’ulcère. On croyait avoir atteint le fond de la bêtise avec les prédécesseurs du ministre-juriste, les tristement célèbres Ibovi et Akouala qui ne cessaient de défrayer la chronique nationale et internationale, notamment par des déclarations macabres des ‘nettoyage’ des quartiers de Brazzaville par les milices du général[1]

L’exploit et le rôle du ministre actuel de la Communication, Bienvenu Okiémi, juriste-publiciste, on l’a dit, c’est de démontrer qu’il pouvait aller plus loin  dans ces affres, de les justifier par tous les moyens, et à tout prix : un créneau sur lequel une grande partie de l’élite congolaise, dans ses différentes facettes, est, depuis, et de plus en plus, en compétition. Ainsi, dans un long entretien à l’ancien mensuel  Africa international, sous l’intitulé ‘Les confidences d’un ambassadeur, écrivain de renom et homme de culture,H.L..’ (n°326, août 1999), moins de deux ans après le coup d’Etat, et en pleins massacres dénoncés par toutes les organisations humanitaires habituelles sans exception, l’ambassadeur congolais, qui avoue qu’ « il y a eu ma rencontre et de longs entretiens avec le président. Voilà comment j’ai accepté ma mission », souligne, sans état d’âme : « Nos conditions ne sont pas excessives… Ils doivent reconnaître les institutions et renoncer aux armes », et que par ailleurs, « nous devons faire confiance aux institutions démocratiques » ! Ahurissant !

C’est toujours avec véhémence, et sans scrupules,  que le ministre congolais de la Communication, lui, s’y prend, notamment par le laminage des principes les plus élémentaires du droit, la manipulation, le déni et le cynisme. Ainsi, sur la chaîne nationale de télévision congolaise, une année après sa nomination comme ministre de la Communication, esquissant un certain bilan annuel  de son action, il n’hésite pas à souligner que grâce à lui, à son savoir-faire, « on ne parle plus de l’affaire des disparus du Beach » ! Une aussi dramatique affaire ! Inaugurant l’émission « Odyssée de la démocratie » de la chaine de télévision nationale, c’est, ne cessait-il de répéter, « selon la volonté du Chef de l’Etat…, et pour le président de la République… », qu’il menait son action ministérielle, ne cessant de souligner « l’enracinement de la démocratie au Congo avec la volonté du Chef de l’Etat ». L’intérêt général, le peuple congolais et la nation sont tout simplement étrangers dans l’objectif de ce ministre. Certes, comme on l’a dit, il n’a pas le monopole de cette omission au Congo. En automne 2010, soit quelques mois plus tard, au cours de la même année, en débat avec Mr Miérassa, qui lui demandait pourquoi le Congo ne ratifie pas les conventions internationales, et notamment la Déclaration de Bamako sur la démocratie en francophonie, le ministre, sans vergogne, rétorque que « cela ne changerait rien » alors que cela obligerait le Congo à s’aligner sur le droit électoral des pays francophones qui impose notamment l’érection d’une commission électorale indépendante, revendiquée pourtant par le général Sassou dans l’opposition au printemps 1997. En novembre 2010, sur la gravissime affaire des ‘biens mal acquis’, et suite à la décision de la Cour de cassation française du 9 novembre 2010, demandant la poursuite de l’enquête, le ministre-juriste oppose avec force « Où sont les preuves », là où l’étudiant en première année de droit constatera tout simplement que, statuant comme juge de droit, le juge de cassation ne traite pas du fond et se borne à vérifier la conformité de la décision au droit et autoriser le traitement de l’affaire au fond. Dans la même allocution, l’imperturbable ministre, bon serviteur de l’homme, souligne que « le président »  n’a qu’un appartement, «une goutte d’eau sur le marché parisien de l’immobilier  »,  alors que dans une interview diffusée moins d’un mois auparavant par la chaîne franco-allemande Arte le 19 octobre 2010, le général Sassou reconnaissait au moins deux acquisitions immobilières en France! La dénonciation par l’ex-juge Eva Joly, candidate EELV à la présidence de la république française, des crimes de son patron, pas vraiment démenties par l’intéressé puisqu’il souligne lui-même qu’ « Au cœur même du conflit, je n’ai pas hésité à tirer sur Owando parce qu’il me fallait prendre cette ville, même si c’est un peu chez moi … » (Jeune Afrique, 1980-1981, du 22 décembre 1998 au 4 janvier 1999), le ministre, une fois de plus, et sans état d’âme martèle que « Denis Sassou-Nguesso n’a jamais tué personne au Congo » ! A l’infini, on relaterait les œuvres du laborieux ministre qui, par là-même, expose et illustre le profil, la psychologie et les aspirations d’une majorité de l’élite africaine, et du Congo-Brazzaville en particulier.

Parmi les nombreuses anecdotes que cite l’ancien agronome français, et candidat écologiste à la présidentielle de 1974, René Dumont, aujourd’hui décédé, dans son cinquantenaire et célèbre ouvrage « L’Afrique noire est mal partie », il est une qui illustre cette attitude dont on aurait pensé que le temps aidant, la situation aurait évolué : il souligne que professant dans un établissement d’Afrique de l’ouest, quand il parlait d’intérêt général, l’ensemble des étudiants ricanaient en lui répondant que ‘l’intérêt général n’existe pas en Afrique’. Il ressort en effet, et de plus en plus, qu’au Congo, l’exercice d’une haute fonction publique s’effectue non pas au nom de l’intérêt général, au nom du peuple mais au nom et dans l’intérêt de celui qui le nomme, avec les contreparties que cela suppose bien évidemment  « L’urgence de l’éthique et de l’insoumission ». « La vérité, obligation cardinale » (infra) selon les termes de ce ministre, est en réalité la dernière des préoccupations dans un régime résolument ancré dans la dictature comme celui du Congo. Le comportement, les pratiques s’assimilent ainsi, en raison des graves conséquences humaines et financières, au mercenariat auquel, consciemment ou pas, l’élite congolaise adhère sans complexe, au détriment  des intérêts vitaux de la société bien entendu : le but est de satisfaire et d’être fidèle à la volonté et aux ambitions du chef, évidemment prioritairement inspirées et déterminées par la conservation du pouvoir, sur lesquelles s’apprécieront logiquement le maintien à la fonction et les contreparties. Les expressions et extraits précités démontrent ainsi la pugnacité d’un ministre à remplir les objectifs, contre la vérité et l’évidence, surtout quand il gère la communication.

C’est la dernière apparition du ministre-juriste, son interview à la chaîne Africa 24, le 3 mai, à propos des derniers événements du Congo, les explosions du 4 mars, l’immense drame qui les a accompagné, la gestion chaotique « La rançon d’un pouvoir pillé et criminel » et les arrestations de deux avocats, Me Malonga et Hombessa, qui motive cette réaction.

« On doit des comptes au peuple congolais », dit –il, dans une rengaine peu habituelle, peut-être en raison de l’importance de la tragédie populairement vécue, mais plus certainement pour  justifier auprès du journaliste les arrestations arbitraires. Car, rendre  compte n’est en effet pas très courant au Congo, notamment en matière de transparence et de probité des élites. Sur ce point, on sait notamment que  l’article 48 de la Constitution du régime imposant la déclaration des biens avant et après l’exercice des fonctions n’est toujours pas à l’ordre du jour, et occasionne le pillage décomplexé des ressources par l’élite  et la généralisation de la corruption.  Le réflexe courtisan de la  référence systématique et quasi religieuse au président n’est, toujours, jamais loin : « je n’ai pas manqué à une obligation cardinale : la vérité à tenir aux Congolais, une exigence gouvernementale, une exigence du président de la République… » ! Le problème est que la vérité n’est pas cette ‘obligation cardinale’ qui habite ‘le président’ qui a plutôt habitué  ses concitoyens à des contre-vérités sidérantes : s’engageant, « en priorité » à « renforcer la démocratie et défendre les droits de l’homme et les libertés fondamentales par le respect scrupuleux de la Constitution » lors de sa déclaration de candidature en 1992, froidement, il étranglera celle-ci, et avec elle des dizaines de milliers de Congolais pour le reconquête armée et l’exercice d’un pouvoir démocratiquement perdu ! Si au début des événements de Brazzaville l’été 1997, le général clame face aux accusations de coup d’Etat qu’ « …on m’accuse d’avoir voulu faire un coup d’Etat ! C’est absurde, […] Le but n’est pas la prise de pouvoir » ( Libération, 10 juin 1997, p.7), quatre mois après il s’autoproclame président de la République. Par ailleurs, si dans l’opposition, le général théorise les élections, en ne les admettant que sous la houlette d’une ‘force internationale’ (Mémorandum), ou que « Pascal Lissouba ne peut que redevenir un simple candidat et non plus un candidat président, comme cela les chances seront égales pour tous » (La Croix, 16 juin 1997, p.6), bien évidemment ce qu’il oppose au candidat élu ne s’applique plus au président autoproclamé…

C’est  sur le fait que l’affaire, les événements du 4 mars, concerne l’armée, « un service public de l’armée » selon le ministre, qu’a été fait le choix d’une procédure particulière : « j’ai entendu parler d’opacité…il s’agit d’une procédure administrative…Avant d’en arriver à une enquête judiciaire, d’engager la responsabilité pénale des uns et des autres, il faut savoir d’abord ce qui s’est passé dans le service public de l’armée » et, qu’à propos de l’arrestation de colonel Tsourou : « il n’y a pas eu d’arrestations arbitraires… Il s’agit de faire que les procédures applicables au Congo-Brazzaville soient respectées… Dans notre pays le ministère d’avocat n’est de plein exercice que si nous sommes dans le cadre d’une procédure pénale » !

Et pourtant, la privation de liberté que constitue l’arrestation du colonel précité constitue une mesure pénale et que, à cet égard, les procédures évoquées par le ministre ne sauraient se placer au-dessus de la Constitution du régime, et de la Charte congolaise des droits et libertés à laquelle se réfère le préambule dudit texte qui, clairement, à l’article 9,interdit toute mesure privative de liberté sans bénéfice d’une procédure régulière, et du «droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit définitivement établie par une juridiction compétente » . L’exception n’est, à cet égard, admise que dans l’hypothèse des circonstances exceptionnelles (la guerre). Faut-il, dans ce sens, comprendre une reconnaissance implicite par les autorités congolaises, de l’Etat d’exception perpétuel que constitue la réalité du régime congolais depuis le 15 octobre 1997? Ou faut-il en déduire que dans un régime prétendument « démocratique », la ‘pyramide juridique’ n’est plus debout et donc que la hiérarchie des normes, principe élémentaire de droit et base de l’Etat de droit pourtant évoqué par le ministre-juriste n’existe plus !

Sur l’arrestation des deux avocats, répond le ministre,  « Me Malonga et Me Hombessa ont voulu organiser une conférence de presse dans un domaine appartenant à l’armée…or le code pénal du Congo l’interdit à condition d’avoir une autorisation. Ces deux-là n’avaient pas une autorisation ». En plus, « Me Malonga n’est plus inscrit au barreau.., il est avocat mais il n’a plus la qualité d’exercice de la fonction d’avocat ». Les remarques du journaliste, selon lesquelles ces avocats n’ont pu se déplacer au domicile du colonel interpellé que parce qu’il leur a été interdit d’organiser leur conférence de presse dans un hôtel  de la place, et que par ailleurs ils ont le soutien de leurs collègues qui s’est manifesté par la grève, sont restées sans réponse !

Sur la responsabilité des ministres  et d’autres personnalités intéressées qui devait entrainer la démission immédiate évoquée par le journaliste, le ministre répond par l’esquive: « cela relève de la conscience des uns et des autres ». Et pourtant il est établi que l’une des caractéristiques d’une société non-démocratique est le manque de responsabilité et, qu’au contraire, un signe de santé démocratique réside dans l’honneur et la responsabilité, même sans faute, des dirigeants, dans l’hypothèse d’une grave défaillance. En réalité, dans le cas de la société politique congolaise, la fréquence et l’accumulation massive des crimes de sang a quasiment vacciné et solidarisé ses dirigeants et, logiquement, généré un ‘pacte de sang’ dont la mise en cause par la démission d’un dignitaire du régime aurait pour conséquence la rupture de la chaîne, et donc le risque d’effondrement du régime. L’irresponsabilité des dirigeants, au Congo-Brazzaville, malgré la multiplication des affaires, est ainsi une constante et une autre loi d’airain de son système politique, et dispose encore, avec la pérennisation de la dictature, de beaux jours devant elle.

Sur les tortures subies par Me Malonga, le ministre, égal à lui-même, se refugie dans la signature par le Congo-Brazzaville de la « Convention des N.U.  de 1984 …interdisant la torture et les atteintes à la dignité humaine » ! Autrement dit, signature vaut vérité et effectivité et que, puisque la quasi-totalité des Etats africains a souscrit à cette convention, la torture est une simple vue de l’esprit en Afrique, y compris en Lybie et évidemment au Congo-Brazzaville! Sacré juriste ! Il ajoute par ailleurs qu’au contraire des « faits que moi j’apporte, vous avez ce que la défense de Me Malonga apporte et…une dimension politique….Le but c’est de faire une sorte d’instrumentalisation de cette affaire à  des fins politiques » ! La défense et Me Malonga seuls seraient ainsi aptes à l’instrumentalisation et pas le pouvoir, alors que celui-ci, son chef, y compris dans l’accession aux affaires, a brillamment démontré son expertise en la matière.

Le martèlement,  in fine,  par le ministre de la Communication, de l’affirmation selon laquelle « Le droit est une grande exigence et ne doit pas souffrir de dérogation », ou que « le Congo est un Etat de droit. Nous tenons à la règle de droit … parce que c’est la seule solution portant organisation d’un pays. Nous y tenons énormément », choquera le simple bon sens, et surtout, crucifiera tout juriste-publiciste, qui est pourtant le profil de formation du ministre congolais de la Communication. Que le général congolais, régulièrement débarqué par les urnes, soit revenu au pouvoir par la petite porte, installé par des forces armées et financières internationales et par les mercenaires, est un fait avéré unanimement reconnu et souligné par tous, y compris par les Nations Unies (Résolution 867, du 29 octobre 1997) et par le Parlement européen (Résolution du 12 mars 1998). Le coup d’Etat, que ne dément pas l’étranglement d’une Constitution régulièrement adoptée, et le démantèlement de toutes les institutions démocratiques qui, pour une première fois dans l’histoire constitutionnelle du pays,  n’avaient rien à voir avec Lissouba qui l’aurait agressé, démontrent, superbement, si besoin est,  la nature du régime : un pouvoir autoproclamé. Que, depuis 1997, le Congo ne soit pas revenu à l’ordre démocratique, et que les institutions soient régies par un ordre constitutionnel octroyé, c’est-à-dire un droit crée par le général Sassou lui-même et son clan, est une autre évidence qui, constitutionnellement, et rigoureusement, fait du régime politique congolais, un Etat d’exception institutionnalisé. Autrement dit, pouvoir autoproclamé, le régime congolais est aussi un pouvoir auto validé parfaitement antinomique à l’Etat de droit que l’irresponsabilité entretenue (Disparus du Beach, Biens mal acquis, pillage décomplexé et obscène des ressources nationales, grande corruption, événements du 4 mars 2012 notamment) démontre à souhait, et que ne saurait méconnaitre tout juriste honnête et digne de ce nom. En tout état de cause, les événements de mars ont rappelé et révélé l’impossibilité d’asseoir sereinement un régime politique sur une escroquerie immense « De l’escroquerie politique »

Sans doute, aujourd’hui, plus qu’ hier sous le monopartisme, l’heure au Congo est à l’expertise dans le déni, l’accumulation du patrimoine et la compétition dans la fidélité au chef. Sans doute encore que les as, dans ces domaines, essaiment au sein de l’élite congolaise. Il faut espérer, dans son intérêt et de ce qui reste de l’honneur  du cher ministre, qu’il se ressaisira, s’inspirera de l’histoire politique française notamment, au risque de paraître, dans cette sinistre besogne, à l’image de ce professeur de droit public (Joseph Barthélémy), ministre  sous l’Occupation, qui s’était illustré par des manipulations du même genre, comme l’as des as dans la bêtise politico-juridique…



[1][1] Cf. notamment, « Au Congo-Brazzaville, les douloureuses cicatrices d’un drame humanitaire », et « La quête angoissante des parents des fils des disparus, enlevés ou assassinés par la garde présidentielle », in Le Monde, 26 février 2000, p.2

Par le juriste et constitutionnaliste Felix-Bankounda Mpele

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Une réponse à Jusqu’où ira l’élite ‘mercenarisée’ au Congo ? Curiosités politico-juridiques du ministre-juriste Okiémi , Par FELIX BANKOUNDA MPELE

  1. NATTY Congo dit :

    BRAVO BRAVO ET BRAVO AU MOINS IL YA DES PERSONNES QUI RAFRECHISSE LES MEMOIRES DES CONGOLAIS DE PARIS QUI CONTINUENT A FAIRE LE JEU DES MACAQUES ET CET OKIEMY MAITRE DE CONFERENCE A REIMS PRODUIT DE BOURGI QUI SANCTIONNA SA THESE DE MBOCHISTION AVEC MENTION A OSER DONNER DES LECONS PARCE QU ILS LEUR RESTE DES ARMES A TSAMBISTSO

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