Cardinal Emile Biayenda-22 mars 1977 : l’étrange nuit sur la colline

Le 22 mars 1977, le Congo-Brazzaville devenait le premier pays d’Afrique où un cardinal de l’Eglise catholique, archevêque de Brazzaville, était assassiné. Il avait 50 ans. Cet événement intervenait dans un contexte de coup d’état qui coûta la vie au président marxiste-léniniste, Marien Ngouabi, le 18 mars 1977 et à l’ancien président “socialiste bantou”, Alphonse Massamba-Débat, le 25 mars 1977.

22 mars 1977 ! Cette nuit-là, ” l’étrange nuit sur la colline, sur le Mont Ndjiri, et rien n’existe hormis le Corps. Hormis le Corps criblé d’épines.  En devenant un crucifié, Dieu fécondait comme un verger. La Terre où le plantait la mort” (Didier Rimaud), où le juste était conduit comme un agneau à l’abattoir. Moi, toi, nous, nous étions tous plongés honteusement dans un silence mortifère. “On le maltraite, et lui se soumet et n’ouvre pas la bouche, semblable à l’agneau qu’on mène à la tuerie, et à la brebis muette devant ceux qui la tondent; il n’ouvre pas la bouche.” (Esaïe53, 7)

Vers 17h30 du mardi 22 mars 1977,  un escadron de la mort avait enlevé l’archevêque de Brazzaville, en sa résidence de la cathédrale, pour le conduire à l’entrée de l’état-major général de l’armée, puis à Mpila, lieu de résidence des comploteurs et de l’ologarchie militaire, les nouveaux maîtres auto-proclamés du pays , et enfin au Mont Golgotha congolais : le Mont Ndjiri, lieu du supplice du Cardinal Emile Biayenda. Son seul crime : son amour fou pour son Eglise, et pour son peuple,  du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Saint Paul aux Corenthiens 1, 26-31 nous enseigne :” … ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est rien…”

Pourquoi revenir sur cette semaine folle et meurtrière du 18 au 25 mars 1977 ?  Nous sommes des fidèles du Christ le crucifié, mort et ressuscité. Nous sommes des fidèles de la mémoire du Cardinal Emile Biayenda. Le redire ici en cette date anniversaire, 22 mars 2020, est un devoir à l’endroit des jeunes générations, particulièrement celles qui sont nées en 1977 et qui aujourd’hui ont 43 ans. C’est l’Histoire d’une Eglise, d’un Peuple, d’un Pays. Oui, un homme d’Eglise avait été lâchement assassiné. 43 ans après, sa mémoire est toujours vivante non seulement dans le coeur des croyants, mais aussi des non croyants. Des activistes politiques, des militants de tous bords ne jurent que par le nom du Cardinal Emile Biayenda. Au palais du Peuple à Brazzaville, le vendredi 3 février 2017, Clément Mouamba, en présence de M. Denis Sassou-Nguesso et son gouvernement, et des corps constitués, n’avait-il pas prié le Cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’’Etat du Vatican, de demander au Pape François la possibilité de  béatifier le Cardinal Emile Biayenda? (La Semaine Africaine n°3663 du mardi 7 février 2017, page 2). C’est pour dire que cet Homme de Dieu fait partie de notre vie commune. Il reste un trait d’union entre toutes les tribus du Congo-Brazzaville.

Au cours de cette étrange nuit du 22 mars 1977, une escouade de militaires lâches ont oublié leur serment de soldat : défendre la Nation, protéger les citoyens. Ivres de rage, assoiffés de sang, ils avaient jeté leur dévolu sur un innocent, un homme  qu’ils ne connaissaient pas, que rien ne liait : ni dette d’argent, ni problème de femmes puisque l’archevêque de Brazzaville, prêtre de l’Eglise catholique, vivait scrupuleusement le célibat sacerdotal. Il n’était non plus un compétiteur politique. Il était l’Homme de tous les Congolais, l’ami des tous-petits et des vieux, un homme du terroir, qui aimait visiter les villages de son archidiocèse et d’autres contrées du Congo. Il passait ses vacances dans son village natal Maléla-Bombé dans le Pool. Un amoureux de la paix, de la concorde nationale. Père Lucien Heitz, spiritain, dit de  lui qu’il était “un homme façonné par la culture de son peuple, appelé à vivre en Jésus-Christ, en se faisant le pasteur de tous. Sa parole, sa vie, sa mort de Cardinal nous redisent que l’Homme n’existe vraiment que si en pleine conscience de sa valeur et dans le respect de celle des autres, il tisse entre tous des relations d’homme qui se reconnaissent frères sous le regard de Dieu.”

A la cathédrale où ils débarquent, ces hommes de basse besogne sont excités à mort. Ils passent du temps à trouver l’Archevêque de Brazzaville. Leur objectif est de vite l’enlever pour accomplir leur macabre mission : le tuer, tuer l’Homme d’Eglise. 

Que fait le Cardinal Emile Biayenda avant de se présenter à ses futurs meurtriers ? Grâce aux témoignages reçus des diverses personnes  venues lui demander de quitter la ville ; il sait que sa mort a été programmée. Le samedi 19 mars 1977, son majordome lui demande, s’il n’était pas possible qu’il aille se réfugier ailleurs. Après un petit temps de silence, il répliqua « Dynamite » : «Ce que tu me dis là, est impossible. Pourquoi partir de Brazzaville ? Qu’ai-je  fait pour fuir ? Suis-je responsable de ce qui vient de se produire ? Ne vois-tu pas que, si je fuyais, l’Eglise sera persécutée et mes prêtres massacrés ? Je préfère donner ma vie pour sauver mon Eglise et mes confrères. Va, rentre chez-toi ! » Le lundi 21 mars à 17h, je m’adressais, moi-même, à lui en bas de sa résidence à la cathédrale en ses termes : “ Monseigneur, à la cité, des gens se préparent à venir vous enlever pour aller vous tuer. “ Sa réponse me déconcerta par son caractère étonnamment détaché : “ Oui je suis au courant, mais je reste ici. Ceux qui cherchent à venir me prendre, savent où je demeure.” Puis il poursuivit : “ Rentre à la maison, c’est bientôt l’heure du couvre-feu.“ Son visage était illuminé. Je crois avoir été témoin oculaire d’une scène insolite; celle de la Transfiguration d’un homme, telle que l’Evangile du deuxième dimanche de Carême nous le décrit  dans Matthieu 17, 1-9 : “ Son visage resplendit comme le soleil…” .

C’est fou ! cette obstination à refuser de fuir. Il ne sait pourtant pas quand est ce que ses bourreaux viendront le chercher ! Puisqu’il refuse de fuir, il se met en condition par la prière. Pas une prière bruyante telle que l’ont imposé de nos jours certaines assemblées chrétiennes, mais une prière silencieuse. “Le silence précède  et prépare ce moment privilégié où nous avons accès à Dieu, qui alors, peut nous parler face à face comme nous le ferions avec un ami.” (Cardinal Robert Sarah, in La Force du Silence, Editions Fayard, octobre 2016, p 220.)

Enfin lorsque le Cardinal apparait, le sergent Ohando, le chef du commando, prend la parole et s’adresse à lui en ces termes : “ Les autorités veulent vous entendre à l’Etat-major. Nous sommes donc venus vous chercher pour vous y conduire. Montez donc dans notre véhicule. “  Mensonge ! L’Abbé Louis Badila (1930-1990), vicaire général de l’archidiocèse, et à ce titre principal collaborateur du cardinal, s’oppose à cette proposition. S’ensuit une dispute : le chef du commando veut que le Cardinal Emile Biayenda monte dans le véhicule de l’armée. Ce à quoi le vicaire général s’oppose en retorquant :” Pour les visites officielles, j’accompagne toujours le Cardinal dans notre voiture officielle.” Le Chef du commando, craignant que sa proie lui échappe, insiste d’avantage. Lorsque le Cardinal  rompt le silence, c’est pour dire à son Vicaire Général :” Abbé Louis, je vais monter dans leur véhicule.”En sortant de son silence pour monter dans ce corbillard, le Cardinal Emile Biayenda vient de signer son arrêt de mort.

Du point de vue humain, cette rédition du Cardinal peut paraître anodine. Sur le plan divin, c’est toute une autre lecture qu’il faut voir dans ce geste, celui du sacrifice. Il s’offre totalement au Christ, son Maître. C’est en toute liberté que le Cardinal Emile Biayenda accepte de se rendre aux mains de ses ravisseurs, accomplissant ainsi une prophétie qu’il avait faite lui même, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1975, la nuit de Noël, en la cathédrale Sacré-Coeur de Brazzaville :” En Jésus-Christ, nous découvrons que la liberté est la joie de pouvoir donner sa vie aux autres  jusqu’au don total de soi”. Voilà que le Cardinal monte dans le véhicule de la mort pour un voyage sans retour.

La destination première, l’Etat-major de l’armée, n’est plus celle-là. Le véhicule de la mort file droit sur la route nationale 2. En passant par cette route de la Tsiémé, le Cardinal se remémore cette fameuse nuit du vendredi 12 février 1965 où,  encadré par des hommes en armes, il est conduit  pour l’épreuve dite du baptême du Jourdain.En fait une séance de torture. « On se dirige donc sur la rivière. J’avais les mains en menottes. En route, nous sommes arrêtés par la JMNR, ils s’expliquent et passent. Puis, ils reprennent la route, traversent la Tsiémé, puis continuent.  Je pensais qu’ils allaient me tuer, mais voilà qu’ils s’arrêtent à un autre petit ruisseau : Mikalou. Ils sont quatre ou cinq… » L’histoire va-t-elle se répéter ? « Cette nuit-là du 16 février 1965, se rappelle le Cardinal (alors abbé) les gifles que j’ai reçues, déclenchèrent mes maux de dents. J’entendais ensuite bien mal. Un des policiers me met en caleçon. Il me fait allonger dans l’eau. Je dois rouler dans le sens du courant, lui se chargea de frapper sur les parties du corps émergeant. De temps en temps, il me tient la tête dans l’eau pour m’étouffer et ne me dégage que sur la lutte que me donne de livrer l’instinct de conservation de la vie. »

Après avoir dépassé  le lieu-dit  Itatolo (qui héberge l’un des cimetières de la capitale dans le sixième arrondissement de Brazzaville), l’escadron de la mort arrive au petit village de Ndjiri. C’est là que le chef du commando dit au chauffeur de tourner à  droite…(témoignage du sergent Mamoye à la Conférence nationale souveraine en 1991). La suite est connue…par pudeur, je vous en dispense.

A propos du Cardinal Emile Biayenda, il n’est pas rare d’entendre dire qu’on lui tira dessus ou qu’on lui coupa les tendons. Qu’en est-il réellement ? Mgr Michel Kouaya-Kombo (1929-2016), paix à son âme, nous rapporte ce témoignage : “ C’est moi qui ai nettoyé sa dépouille à la morgue, avant de la classer dans un casier de la morgue municipale. Je ne vis sur lui aucune trace de balle. Une chose est vraie, c’est qu’il eut du sable plein la gorge et les narines. On eut dit qu’il fut enterré vivant. Sauf si notre pasteur, dans la discrétion qui le caractérisait, voulut jusqu’au bout dissimuler miraculeusement les traces de son martyr, pour protéger, même ses bourreaux qui n’étaient d’ailleurs que des exécutants. Voilà un témoignage authentique sur tout ce que nous pouvons entendre dire concernant  la mort du Cardinal Emile Biayenda.”

Un autre fait que nous revélera l’abbé Michel Kouaya-Kombo,  le jour des obsèques du Cardinal, le dimanche 26 mars 1977. Bien avant la fin de la célébration, il partagea aux fidèles ce dont il avait été témoin à la morgue : le Cardinal avait le bras droit levé. L’abbé Michel Kouaya-Kombo tenta de remettre le bras sur la poitrine. Le bras revint dans sa position initiale. Il se reprit une deuxième fois, même réaction de ce bras pourtant inanimé. Puis prenant la parole, l’abbé Michel Kouaya-Kombo s’adressa au corps inanimé du Cardinal :” Monseigneur, maintenant nous avons compris ce que signifie ce geste du bras levé. Nous comprenons que vous avez voulu bénir votre pays et vos bourreaux. Maintenant, nous vous supplions d’abaisser le bras pour que les agents de la morgue continuent leur travail.  A cette supplication, le bras se mit en place sur la poitrine”. Dans la même veine, son majordome témoigna en lari en ces termes : “A la mort du Cardinal, quand on a lavé son corps à la sacristie, je crois avoir vu trois plaies : à l’orteil du pied droit (je confirme, car l’abbé Louis Badila m’avait montré la paire de chaussures noires du Cardinal portant un trou du côté de l’orteil droit), à l’aine, comme un coup de poignard,  puis à l’épaule. Chaque fois, le bras droit se relevait.”

Le « pardon », étymologiquement le « don au-delà »! Savoir pardonner même à ses pires ennemis, à ses assassins. L’amour du prochain et le pardon demeurent les fondements de l’Église de Jésus-Christ qu’il nous a légués à travers les Apôtres qui, à la suite de leur Maître, ont aussi payé le plus lourd tribut. Pierre et Paul furent assassinés, les autres disciples également. Et à la suite de ces premiers martyrs de l’Église catholique, le cortège des saints Innocents n’a jamais cessé de jalonner la vie de notre Église. Pour ne citer que les plus récents : le jeune prêtre polonais le bienheureux père Jerzy Popieluzsko (1947-1987), aumônier des ouvriers polonais. Enlevé, il fut atrocement assassiné par la police politique polonaise, à 34 ans. Mgr Oscar Roméro (1918-1980) assassiné le 24 mars 1980 à l’âge de 62 ans à San Salvador. La veille de son assassinat, il avait osé appeler les soldats salvadoriens à désobéir à des ordres injustes : « Un soldat n’est pas obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. »

Avant d’être ordonné prêtre, toujours en quête d’une spiritualité très profonde, Emile Biayenda avait adhéré en 1957 à la Fraternité sacerdotale Jésus Caritas de Charles de Foucauld. La caractéristique de ce moine hors du commun, était sa prière d’abandon, véritable acte de foi et d’abandon total à Dieu pouvant aller jusqu’au sacrifice de sa vie. Charles de Foucauld l’écrit vers 1896 lors d’un séjour en Syrie, pendant ces méditations. Cette prière tirée de l’Evangile de Luc 23, 34- 46 : « Père, pardonne-leur… »  se termine sur les paroles de « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains Mon Père, Je m’abandonne à toi, fais de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses de moi, je te remercie. Emile Biayenda a dû intérioriser cette prière au point d’être prêt à subir le martyr avec sérénité et foi en son Dieu, le mardi 22 mars 1977.

Le geste ultime du Cardinal Emile Biayenda invite tous les Congolais à la conversion, à l’apprentissage de l’amour fraternel, à la réconciliation de nos familles, de nos tribus gangrenées par le virus du tribalisme, des forces de sécurité terrorisant les citoyens, des partis politiques dont le discours sème la division et la désolation, des gouvernants qui ignorent la notion de bien commun. Que ces derniers ouvrent grandes les portes des prisons et autres lieux de détention. L’heure de libérer les détenus politiques est arrivée. Puisse ce geste de largesse être en ce 43ème anniversaire de la mort du Cardinal Emile Biayenda, le geste tant attendu par tous les Congolais. « Aux captifs la délivrance » (Luc 4, 18), nous invite Jésus-Christ. Puisse cet appel du Christ être entendu par les autorités de notre pays. 

« De tout mon cœur, j’ai voulu pardonner à ceux qui m’ont infligé cette injustice en pensant au Christ pardonnant du haut de la croix. » (Abbé Emile Biayenda en 1968). Dans cette étrange nuit du 22 mars 1977, puisant dans ses dernières forces, avant de remettre son âme entre les mains du Père céleste, le Cardinal Emile Biayenda, par son bras levé, a pardonné ses assassins, béni le peuple et le pays qu’il a tant aimés.

Gabriel SOUNGA-BOUKONO (ACEB-France)

Président de l’Association Cardinal Emile Biayenda-France. 22 mars 2020

Diffusé le 08 avril 2020, par www.congo-liberty.org

Ce contenu a été publié dans Les articles. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à Cardinal Emile Biayenda-22 mars 1977 : l’étrange nuit sur la colline

  1. Isidore AYA TONGA 100% Intérêt général dit :

    PEUPLE CONGOLAIS/CIVILS ET MILITAIRES: ON SORT QUAND… ET COMMENT DE DENIS SASSOU NGUESSO? https://www.youtube.com/watch?v=4YCJJym-Hew

  2. Samba dia Moupata dit :

    Aboya et Mamoye nous le disent que pendant cette boucherie , il y’a qu’ un seul donneur d’ordre Sassou Nguesso Dénis , donc l’assassin du cardinal . Nos prélats devraient arrêter de légitimer ce criminel de sassou et appeler à la révolte à l’instar de monseigneur Oscar Roméro .

  3. Anonyme dit :

    Pourquoi ce discours de pardon avec des gens qui ne peuvent s’amender et ne comprennent que la loi de la violence ?

  4. Dieu m'a dit. dit :

    Le Congo est en deuil depuis 1977. 43 ans après l’assassinat crapuleux des 3 hautes personnalités du pays: Marien Ngouabi président de la république en exercice , Cardinal Émile Biayenda Archevêque de Brazzaville, Massamba Débat ancien président de la république, sans oublier l’assassinat des cadres civiles officiers sous officiers et celui de nombreux autres congolais tués par l’unique et même auteur le tyran dictateur Dénis Sassou Nguesso. Le Congo ne connaîtra la paix que lorsque JUSTICE SERA FAITE. C’est à dire Sassou mis aux arrêts par tous les moyens soit il violents jugé et condamné à perpétuité. Ou alors renverser purement et simplement par un soulevement populaire légitime et légale. C’est un droit imprescriptible reconnu par les constitution congolaise, africaine sur les droits des peuples et des citoyens et par le droit canon de l’église catholique.

Laisser un commentaire